Les deux dernières années ont produit ce qui est, pour la plupart des gens du monde qui réfléchissent à ces choses, l’un des tournants géopolitiques les plus inattendus et stupéfiants de l’histoire moderne.
L’hégémon mondial qui régnait jusqu’à présent avait l’intention d’infliger à la Russie – son vieil ennemi – une défaite stratégique décisive qui lui offrirait le plus grand butin jamais pris et consoliderait ainsi sa base de pouvoir dans un avenir prévisible et au-delà.
L’empire imaginait que la Russie était au nadir de sa civilisation : faible, vulnérable et enfin mûre pour être cueillie.
Malgré les échecs désormais proverbiaux des empires qui l’ont précédé, les maîtres actuels de l’empire anglo-américain, en tandem avec ses États vassaux européens et une force mandataire volontaire en Ukraine, pensaient que “les choses seraient différentes cette fois“. Ils se sont convaincus que le différentiel de puissance entre la dernière itération de l’empire occidental et son prétendu adversaire russe était si prononcé qu’il garantissait la victoire sur “la station-service qui se fait passer pour un pays“.
Après s’être forgé une mesure logiquement fallacieuse qu’ils ont baptisée “produit intérieur brut” afin de mesurer la force relative des nations, ils se sont bercés d’illusions en croyant que leur “richesse” supérieure imaginaire garantirait l’invincibilité dans tous les domaines d’activité qui, dans leur ensemble, constituent le pouvoir réel.
Si la guerre actuelle n’a rien fait d’autre, elle devrait avoir définitivement détrompé les esprits superficiels de l’intelligentsia occidentale : une économie basée sur la financiarisation de TOUT n’est pas plus forte qu’une économie basée sur la production réelle de biens.
Un conflit de haute intensité, qui a duré deux ans, a révélé sans équivoque que les nations désindustrialisées sont totalement incapables de mener une guerre industrielle moderne.
Bien entendu, la désindustrialisation des soi-disant “démocraties occidentales” s’est déroulée sur plusieurs décennies, laissant derrière elle le mythe de “l’arsenal de la démocratie” plutôt que sa substance matérielle. Elle produit d’immenses profits pour une minorité de plus en plus réduite, tout en vidant de sa substance une classe moyenne prospère et socialement stable et en inaugurant un néo-féodalisme oppressif qui est aujourd’hui en passe de déconstruire l’ensemble de la culture occidentale.
De manière totalement imprévue, l’échec de plus en plus évident du plan mal conçu de l’empire pour diviser et conquérir la vaste Russie a mis en évidence les contradictions internes, l’incohérence idéologique et la vaste corruption endémique d’une civilisation capitaliste qui s’est irrémédiablement égarée.
Dans sa détermination à prouver qu’il pourrait faire ce qu’aucun hégémon occidental n’avait pu accomplir au cours des cinq derniers siècles, l’empire anglo-américain, qui s’érode rapidement, sera contraint d’avaler la pilule amère d’une défaite stratégique décisive dans les mêmes steppes d’Europe de l’Est où ses prédécesseurs se sont vus servir leur propre banquet de conséquences.
Et les Russes, comme à leur habitude, transmettront de nouveaux hymnes de victoire aux enfants des enfants des enfants, pour les générations à venir.
William Schryver
Source imetatronink
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
https://lesakerfrancophone.fr/la-pilule-amere-dune-defaite-strategique-decisive