Un réquisitoire fondé sur des données officielles
Dans cet essai, André-Victor Robert ambitionne de dépasser les déclamations politiciennes auxquelles nous sommes habitués, pour analyser la situation française à partir des données officielles des organismes nationaux, européens ou internationaux, sans négliger pour autant les limites de tout appareil statistique, que l’auteur aborde d’ailleurs avec honnêteté.
André-Victor Robert s’appuie également sur les publications scientifiques, parlementaires ou universitaires relatives aux questions qu’il aborde. D’où un important appareil statistique et référentiel, puisque tout ce qu’il avance est sourcé, mais présenté heureusement de façon pédagogique et lisible.
L’auteur prend donc le Système à son propre piège, en se fondant sur ses propres données.
Un essai unique en son genre
La France au bord de l’abîme peut se lire comme une sorte de dictionnaire argumenté du déclin français mais aussi comme un programme d’action.
Car André-Victor Robert ne se contente pas de décrire : il trace aussi des perspectives de renouveau pour mettre un terme à l’effondrement français. Des perspectives sans démagogie en outre car l’auteur précise à chaque fois quels obstacles institutionnels ou juridiques il faudrait lever. Et il ne cache pas qu’il sera parfois très difficile de remonter la pente tant notre situation est critique.
La France au bord de l’abîme est donc un livre unique en son genre : précis, documenté, sourcé, synthétique, concret et opérationnel. Bref, tout ce qui manque en général à l’univers politico-médiatique officiel…
La crise française est systémique
Mais pourquoi le titre La France au bord de l’abîme ?
Parce que les domaines qu’analyse l’auteur avec précision – l’Éducation nationale, la productivité du travail, les comptes publics, le commerce extérieur, l’immigration, le marché du travail, l’énergie, l’Europe ou les institutions – présentent tous une même inclinaison catastrophique. Car la crise française revêt désormais un caractère systémique.
Ainsi « en matière de croissance et de productivité, la France est de plus en plus pénalisée par les performances médiocres de son système éducatif[2] », ce qui la différencie notamment de l’Europe du Nord et la rapproche des pays du Sud. En outre, un redressement du système éducatif « même engagé dès à présent, ne portera ses fruits en termes de croissance et de niveau de vie que très progressivement[3] » : il est donc probable que le niveau moyen de formation des générations arrivant sur le marché du travail continuera de baisser dans les dix ou vingt prochaines années… Comme si cela ne suffisait pas, depuis la réforme des 35 heures, la classe politique a pris le parti de promouvoir la réduction de la durée du travail comme modèle de société.
À rebours du discours officiel, André-Victor Robert prouve donc que la crise sanitaire « est venue dégrader une situation économique déjà peu reluisante[4] ».
La convergence des catastrophes
La France au bord de l’abîme démontre que les crises françaises sont contenues les unes dans les autres, comme des poupées russes.
Ainsi, les faibles gains de productivité pèsent non seulement sur le niveau de vie mais aussi sur la compétitivité des entreprises, et donc sur notre commerce extérieur, en déficit depuis 1999, et finalement sur l’emploi. Et le déficit du commerce extérieur a évidemment pour contrepartie un endettement accru de la France, puisque, dans la zone euro, le levier monétaire ne peut plus être utilisé.
Si l’on ajoute à ces constats préoccupants le fait que le solde primaire[5] de nos finances publiques est nettement moins bon que celui de nos voisins, malgré un niveau élevé de prélèvements obligatoires, « la France est à la merci d’une remontée des taux d’intérêt qui l’exposerait à un risque de défaut de sa dette souveraine[6] ».
Pour André-Victor Robert, la France présente en effet la particularité, en Europe occidentale, d’un niveau élevé de dépenses publiques en proportion du PIB, de forts prélèvements publics et d’une forte insatisfaction des usagers. Et à la différence de ses voisins, notre pays a choisi de financer ses dépenses publiques à la fois par l’impôt et par l’endettement, et cela dans des proportions inégalées. Comme l’écrit l’auteur, « on ne pouvait pratiquement pas faire pire ; c’était presque inconcevable d’atteindre un résultat aussi calamiteux et pourtant nos dirigeants l’ont fait[7] ».
Les mauvais choix politiques français
Ce constat, André-Victor Robert le renouvelle malheureusement lorsqu’il aborde d’autres domaines : la France accumule en effet les mauvais choix.
L’immigration ? Les flux migratoires sont « maintenant hors de contrôle[8] » et notre pays est bien peu regardant quant à la qualification des immigrants, lesquels peinent de plus en plus à s’intégrer (« on ne parle même plus d’assimilation qui n’est plus qu’un lointain souvenir[9] »), que ce soit sur le marché du travail, en termes de dépendance aux prestations sociales ou de comportement. Alors que depuis la chute du mur de Berlin l’Allemagne s’efforce au contraire d’attirer sur son sol les travailleurs les plus qualifiés de l’Europe de l’Est.
L’Europe ? La France est contributeur net au budget européen (dix milliards par an en moyenne), elle a pris le parti d’en « rajouter » systématiquement sur les règlements européens, et notre pays soutient maintenant un « plan de relance » qui lui coûtera plus qu’il ne lui rapportera. « Comment notre gouvernement a-t-il pu accepter un plan de relance aussi contraire aux intérêts nationaux ? », s’interroge André-Victor Robert.
L’énergie ? La France a misé à la fois sur les éoliennes et le nucléaire, deux sources entre lesquelles il n’y a pourtant aucune complémentarité. De fait, « les milliards dépensés dans notre pays pour l’équiper en éoliennes ont été dépensés en pure perte[10] »….
Les concessions d’autoroutes ? Bien que peu favorables au budget, elles ont pourtant été renouvelées en 2016 comme si de rien n’était, le pilotage public du dispositif apparaissant des plus défaillants.
La France, homme malade de l’Europe occidentale ?
Pour André-Victor Robert, au terme de son enquête détaillée et argumentée, « la situation de la France s’est considérablement dégradée au cours des dernières décennies et la France fait pâle figure comparativement à la plupart des autres pays d’Europe de l’Ouest[11] ». Et chacun commence à s’en rendre compte, malgré tous les mensonges du système, dont l’auteur démontre la vanité.
Il y a quand même une bonne nouvelle, écrit-il ironiquement : nos résultats sont tellement mauvais qu’il ne devrait pas être trop difficile de faire mieux ou moins cher, notamment en nous inspirant de ce que font nos voisins.
Ce n’est finalement qu’une question de volonté politique, de volonté populaire, et souvent de simple bon sens et d’humilité. Comment expliquer par exemple que nos gouvernants soient incapables de négocier à Bruxelles une réduction de notre contribution, comme le font par exemple nos voisins allemands, danois et néerlandais, et comme l’ont fait en leur temps les Anglais ?
La France au bord de l’abîme pose donc évidemment et souvent fort explicitement la question de nos élites dirigeantes, si imbues d’elles-mêmes mais manifestement si éloignées de l’intérêt national et si incapables de garantir le bien commun.
Au moment où se profilent les élections européennes, l’ouvrage d’André-Victor Robert, La France au bord de l’abîme, nous incite donc à la réflexion et surtout à l’action.
N’est-il pas temps, en effet, d’envoyer un sévère avertissement électoral à tous ceux qui nous poussent vers l’abîme ?
Michel Geoffroy 23/05/2024
Notes
[1] Robert (André-Victor), La France au bord de l’abîme – Les chiffres officiels et les comparaisons internationales, L’Artilleur, 2024, 22 euros.
[2] Ibid., p. 101.
[3] Ibid., p. 95.
[4] Ibid., p. 107.
[5] Hors intérêts de la dette.
[6] Robert (André-Victor), op. cit., p. 131.
[7] Ibid., p. 344.
[8] Ibid., p. 239.
[9] Ibid., p. 240.
[10] Ibid., p. 392.
[11] Ibid., p. 446.
https://www.polemia.com/la-france-au-bord-de-labime-le-requisitoire-edifiant-dun-economiste/