Chronique de Paysan Savoyard (n° 321 – Juin 2024)
Tous les courants politiques, en France comme dans les autres pays européens, sont favorables à ce que les pays européens coopèrent. Deux modèles cependant s’opposent pour concevoir l’union des Européens : l’Europe fédérale, les Etats-Unis d’Europe ; ou bien l’Europe des nations. Cette opposition est fondamentale sur le plan des principes. Et pourtant ce débat, c’est ce que nous voulons montrer dans la présente chronique, apparaît aujourd’hui « à côté de la plaque ».
- Europe des nations ou Europe fédérale
Il existe deux façons de concevoir ce qu’il est convenu d’appeler « la construction européenne », engagée depuis les années 1950 : il peut s’agir d’édifier soit une Europe des nations soit une Europe fédérale. Le débat est présent depuis les débuts de la construction européenne et reste non tranché.
L’Europe peut constituer, première option, une Europe des nations. Dans ce cadre il n’y a pas de « supranationalité » : les Etats européens choisissent d’organiser leur coopération dans différents domaines, plus ou moins nombreux, de l’action publique. Ces coopérations peuvent être « à géométrie variable », chaque Etat pouvant décider de participer à l’une des coopérations mais pas à l’autre. Les décisions sont prises par les Etats, qui restent souverains. Dans les domaines vitaux de la politique étrangère, de la défense et de la monnaie les décisions sont nécessairement adoptées à l’unanimité des Etats, afin de ne pas contraindre l’un d’entre eux à mettre en œuvre une décision à laquelle il serait opposé. Les organes de l’Europe sont de simples administrations et en aucun cas des organes de décisions supranationaux. Cette conception de l’Europe des nations correspond à ce que l’on appelle une « confédération ».
La seconde conception est celle des Etats-Unis d’Europe, c’est-à-dire d’une Europe fédérale. Dans une fédération, les Etats se dessaisissent de certaines de leurs compétences au profit d’une institution supranationale, l’Etat fédéral. Les compétences généralement remises à l’Etat fédéral sont la défense, la politique étrangère et l’économie, notamment la monnaie. Les autres compétences, celles qui touchent la vie quotidienne, la santé, l’éducation, la police, la justice, restent pour l’essentiel de la compétence des Etats fédérés.
Au plan international, il n’existe actuellement aucune confédération. On rencontre seulement soit des Etats unitaires, comme la France ou la Grande-Bretagne, soit des fédérations. De nombreux Etats du monde occidental sont des fédérations, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, ou encore la Suisse, en dépit de son nom officiel de « confédération helvétique ».
Aux débuts de la construction européenne, il s’agissait de mettre en œuvre une coopération entre Etats, d’abord dans le domaine du charbon et de l’acier, puis dans le domaine du commerce, en tendant vers un marché commun. Les questions de défense, de politique étrangère et d’autres domaines essentiels, tels que la fiscalité ou la fixation des salaires, restaient de la compétence stricte des Etats. Depuis les années 1980, l’évolution à l’œuvre va dans le sens de la supranationalité. Par exemple, le mode de décision à la majorité qualifiée concerne un nombre de domaines croissants, au détriment de l’unanimité. L’hypothèse consistant à supprimer le mode de décision à l’unanimité est désormais envisagée. La plupart des gouvernements européens souhaitent une évolution fédérale, à commencer par le gouvernement allemand et le gouvernement français. Quant aux institutions européennes, à commencer par la commission, elles poussent en direction de l’Europe fédérale et cherchent à étendre leurs pouvoirs au détriment des Etats membres.
Les partisans d’une Europe des nations et ceux des Etats-Unis d’Europe, s’opposent de façon souvent brutale : le débat autour du traité de Maastricht, en 1992, a ainsi marqué l’opposition nette entre souverainistes et partisans de l’Europe fédérale. Il faut relever que ce débat se déroule le plus souvent sur des bases malsaines. Les partisans de l’Europe fédérale avancent masqués et ne déclarent pas officiellement leur objectif. Ils n’hésitent pas, en outre, à violer les traités pour avancer dans la direction qu’ils souhaitent. Par exemple, au moment du Covid, ils ont mis en place une politique européenne de lutte contre l’épidémie, alors que les traités indiquent que la santé constitue une compétence nationale. Par exemple encore, la BCE a contracté un emprunt européen afin d’apporter une aide aux économies nationales fragilisées par le Covid : ce dispositif d’emprunt européen n’est pas prévu par les traités. Le forfait principal des dirigeants européens reste l’épisode de la constitution européenne. Alors que dans certains pays, dont la France, le projet de constitution qui prévoyait une évolution des traités dans le sens du fédéralisme avait été rejeté par référendum, en 2005, les gouvernements européens, à commencer par celui de N. Sarkozy, se sont entendus pour appliquer quand même, par le biais du traité de Lisbonne de 2007, les dispositions de la constitution avortée.
Terminons ce paragraphe sur ce dernier point : les souverainistes dénoncent l’évolution vers la supranationalité et le dessaisissement croissant des Etats. Or il faut voir que ces processus sont mis en œuvre par les gouvernements des Etats membres eux-mêmes ou avec leur accord.
- Visant à dissoudre l’Europe dans la mondialisation, la construction européenne est une escroquerie
Comme on vient de le voir, le débat entre les deux façons de concevoir l’Europe se déroule le plus souvent dans l’hypocrisie, la dissimulation, le non-respect des vœux des populations, le non-respect des traités. Mais là n’est pas le plus grave. Les promoteurs de la construction européenne prétendent vouloir édifier une Europe plus forte, plus indépendante, plus protectrice, répétant à l’envi ce slogan qui fait mouche : « A plusieurs nous sommes plus forts ». Or il s’agit là d’une escroquerie : comme nous avons déjà essayé de le montrer dans de précédentes chroniques, les promoteurs de la soi-disant union européenne ont en réalité pour objectif de dissoudre l’Europe dans un grand tout mondial. Depuis cinquante ans les dirigeants de l’UE et les gouvernements européens poursuivent des politiques de dissolution de l’Europe dans la mondialisation, le libre-échange et la concurrence mondiales.
Il faut voir tout d’abord que ce n’est pas le principe de solidarité entre Européens ni leur protection qui constituent les fondements de la construction européenne mais leur inverse : la libre concurrence constitue le principe cardinal et le principal moteur de la construction européenne. Entre pays membres, il s’est agi, comme on le sait, de mettre en place un « marché commun » en supprimant les barrières douanières et les frontières économiques : ce marché commun est régi par le principe de la libre concurrence. Dans cette perspective, les Etats et les institutions européennes ont décidé la fin des monopoles publics et la mise en concurrence des entreprises publiques qui en bénéficiaient. Ils ont créé par exemple des systèmes de concurrence dans les secteurs des réseaux (par exemple en créant de toutes pièces un marché européen de la distribution d’électricité). De même ils ont décidé l’interdiction des subventions publiques aux entreprises nationales, puisqu’elles viennent fausser la libre concurrence entre entreprises européennes. Il faut également souligner que la construction européenne a organisé une concurrence salariale entre les différents pays membres : c’est ainsi qu’il n’existe pas de salaire minimal européen. De même encore, les traités européens laissent s’organiser une concurrence fiscale au sein de l’union européenne. Il existe quelques règles de taxation minimale en matière de TVA, mais pour l’essentiel les pays sont libres de leur politique fiscale : l’Irlande a pu ainsi attirer de nombreuses entreprises étrangères en pratiquant une taxation très faible des bénéfices. Dans ce contexte de libre concurrence salariale et fiscale, les entreprises européennes ont pu délocaliser leur production dans les pays européens où les coûts salariaux sont les plus faibles et la fiscalité la plus avantageuse.
L’élargissement de l’Europe aux Etats du Sud puis de l’Europe centrale doit s’analyser à cette aune. Il a permis non seulement d’augmenter la taille du marché commun mais également d’accroître l’intensité de la concurrence, les nouveaux adhérents bénéficiant en particulier de faibles coûts salariaux. Ces élargissements ont ainsi multiplié les opportunités de délocalisations. Les décideurs européens ont même mis en place un système de travail détaché qui permet aux entreprises des secteurs non délocalisables, comme le BTP, de tirer elles-aussi parti de l’existence de mains d’œuvre à bas coût. Résumons ce point : l’Union européenne est l’Europe de la concurrence, c’est-à-dire du dumping social et fiscal, au bénéfice des entreprises ; au bénéfice également des salariés des entreprises à bas coût ; au détriment en revanche des salariés des pays de l’ouest européen, fondateurs de la construction européenne.
Il faut maintenant souligner le point essentiel. Les décideurs européens ne veulent pas seulement abolir les frontières en Europe et développer la concurrence entre Européens : ils veulent abolir les frontières européennes elles-mêmes et intégrer l’Europe au marché mondialisé. On peut mettre en évidence trois types de décisions prises dans cette perspective ces dernières décennies. L’Europe, premièrement, a participé depuis l’origine aux politiques d’abaissement des barrières douanières à l’échelle mondiale, dans le cadre des négociations de l’OMC. L’UE, deuxièmement, a passé de nombreux accords de libre-échange avec des pays non européens (tels que le Canada, récemment la Nouvelle-Zélande, bientôt le Mercosur). L’UE, troisièmement, a instauré la liberté des mouvements de capitaux internationaux, non seulement au sein du marché commun mais également vis-à-vis du monde entier, rendant ainsi techniquement possible les délocalisations dans les pays à bas coûts non européens. On le voit, l’Europe ne veut pas s’en tenir à l’édification du marché commun européen : elle entend contribuer à la mise en place d’un marché mondial.
C’est dans le même esprit que les décideurs européens promeuvent une liberté des mouvements de populations, non seulement en Europe mais à l’échelle mondiale. La commission européenne proclame ainsi régulièrement que l’Europe a besoin de l’immigration mondiale, aussi bien sur le plan économique que démographique. Dans cet esprit, l’UE tient à organiser l’accueil des migrants clandestins et à les répartir dans les différents pays.
Concluons ce paragraphe (nous avons déjà développé la question dans de précédentes chroniques). Les décideurs européens n’ont pas pour objectif de construire une Europe unie, les Etats-Unis d’Europe, comme ils le laissent entendre et comme le croient les électeurs européens soucieux d’unité européenne. Ils ont en réalité pour but final, ainsi que le montrent les différentes décisions et orientations que nous avons exposées, d’intégrer l’Europe dans l’économie mondialisée, de la dissoudre dans la mondialisation. Résumons d’un mot. L’Union européenne est un projet de dissolution des nations : il ne s’agit pas de construire une nouvelle nation, les Etats-Unis d’Europe, mais de la dissoudre dans un ensemble mondial, ou du moins occidental.
Il faut mettre en évidence un dernier élément. Les Etats-Unis sont les principaux promoteurs de la mondialisation, comme on le sait, et sont tout à fait favorables, à la construction européenne fondée sur ces bases (pour ne pas dire qu’ils l’inspirent et la guident). Ils sont favorables à la mondialisation parce qu’ils la dominent à leur profit : ils dominent le marché mondial grâce à leur puissance économique, à leur monnaie, tout en sachant protéger leur propre marché. Dès lors ils sont évidemment favorables à la dissolution des vieilles nations européennes, afin de renforcer leur vassalité. Leur objectif stratégique est d’éviter à tout prix la construction d’Etats-Unis d’Europe indépendants. Il va sans dire que les analyses et les intérêts américains sont relayés en Europe par les dirigeants européens, qui consciemment ou non, se comportent comme les agents zélés de la puissance américaine.
- Le débat sur les institutions est aujourd’hui à côté de la plaque
Pour notre part nous serions favorables à une évolution vers les Etats-Unis d’Europe : constituant une civilisation menacée, il serait logique que les Européens, pour mieux se défendre, mettent en commun leur politique étrangère et leur défense. L’Europe que nous souhaiterions serait indépendante des Américains, et alliée à la Russie, elle-même européenne. Cette évolution vers le fédéralisme sera nécessairement difficultueuse, puisqu’elle concerne des pays constitués pour certains depuis plus de mille ans : l’Europe n’est à pas un pays neuf, comme l’étaient les Etats-Unis au moment de leur constitution. Un épisode datant d’une trentaine d’années et curieusement oublié (nous y reviendrons peut-être dans une prochaine chronique), illustre la difficulté de l’évolution vers le fédéralisme : au milieu des années 1990 le gouvernement allemand avait proposé tout simplement la constitution d’une fédération franco-allemande. Cette proposition avait été rejetée par le gouvernement français, dirigé alors par… les socialistes, ceux-là mêmes qui proclament tous les jours leur enthousiasme pour la construction européenne.
Il nous semble cependant que le débat institutionnel, Europe des nations ou Etats-Unis d’Europe, au-delà de son intérêt de principe, est en réalité, en l’état actuel des choses tout à fait secondaire. Pourquoi ? Parce que, quelles que soient les institutions, ce qui importe ce sont les politiques suivies et les objectifs des dirigeants. On peut avoir l’un ou l’autre système et poursuivre des politiques d’intérêt général ou au contraire des politiques catastrophiques. Prenons le sujet essentiel de l’invasion migratoire. L’Angleterre n’a pas toujours été partie prenante de la construction européenne et en est aujourd’hui sortie : elle a conduit une politique d’immigration de masse depuis les années soixante et elle l’a poursuivie, avant, pendant et depuis son adhésion à l’Europe. La France, elle, a toujours été membre de la construction européenne et a suivi la même politique. Quant à l’UE, ses porte-paroles proclament tous les jours leur volonté de poursuivre l’immigration de masse en Europe.
Ce qui importe autrement dit c’est le contenu des politiques et pas le contenant institutionnel. Actuellement le problème n’est pas de savoir s’il faut progresser vers une Europe plus intégrée, mettre en place une politique étrangère commune ou une défense européenne. Le problème est que l’UE, ses institutions et la plupart des gouvernements des pays membres sont partisans de la poursuite de l’immigration de masse. Dans la situation actuelle, le débat sur les institutions apparaît dès lors comme un faux débat.
Les dirigeants européens, les responsables des institutions de l’UE et les principaux gouvernements européens veulent construire une Europe fédérale, afin de détruire les Etats. Une fois le cap franchi, ils passeront à l’étape ultime : la dissolution achevée de l’Europe dans la mondialisation. Mais entre-temps, l’Europe aura été envahie et sa population remplacée par une population nouvelle, venue d’Afrique et d’Orient. Là est le débat urgent. Peu importe l’évolution institutionnelle choisie. Qu’elle constitue une Europe de la coopération entre Etats souverains ou une Europe fédérale, peu importe dans l’état actuel des choses : l’enjeu vital est que les Européens décident enfin d’arrêter l’invasion.
Voir également ces chroniques :
L’UE, ennemi des peuples européens et de leur civilisation