« Ce n’est pas normal que ça se reproduise »
L’histoire se répète. Le 12 janvier 2018, à la station Châtelet-Les Halles à Paris, Andy Brigitte, 22 ans, est tué dans les couloirs du RER. Le jeune Martiniquais est poignardé aux yeux de tous par Christian I., originaire du Congo. Deux ans et demi plus tard, la cour d’appel de Paris déclare le suspect pénalement irresponsable au moment des faits sur la base d’une expertise psychiatrique qui avait conclu à « une probable maladie schizophrénique évolutive depuis plusieurs années sans prise en charge médicale jusqu’à actuellement ». S’il n’avait pas été jugé pour ce meurtre, les magistrats avaient toutefois ordonné son hospitalisation en unité psychiatrique. Mais six ans après, voilà que Christian I. récidive, cette fois-ci contre un militaire. « Ce n’est pas normal que ça se reproduise, s’indigne la mère d’Andy Brigitte, au micro de RTL, ce 16 juillet, quelqu’un comme ça, on ne le remet pas dans la nature. Sincèrement, je ne comprends pas. »
Une incompréhension partagée par de nombreux Français, comme le résume le député (RN) de la Somme Jean-Philippe Tanguy : « Je ne comprends pas comment une personne condamnée pour meurtre n’est pas internée en psychiatrie et suivie de manière très stricte. » D’autant plus que cette attaque à la gare de l’Est n’est pas sans rappeler d’autres tristes affaires. En mai 2023, une infirmière du CHU de Reims est ainsi poignardée à mort. Son assaillant, un homme d’une cinquantaine d’années, avait déjà blessé quatre personnes dans un centre de travail et devait être déclaré pénalement irresponsable dans cette affaire. Plus récemment, en décembre dernier, l’auteur présumé de l’attaque au couteau sur le pont de Bir-Hakeim (deux morts et deux blessés) était lui aussi connu des services de police et de renseignement. Il avait par ailleurs fait l’objet d’une injonction de soins. Avant le passage à l’acte, ces médecins considéraient qu’il « allait mieux », malgré de nombreux signaux d’alerte. Autant d’exemples qui illustrent malheureusement les failles du système psychiatrique français.
Manque de moyens
Une personne jugée pénalement irresponsable est ainsi placée en unité psychiatrique, mais sans durée de soins définie au préalable. Comme le résume Pierre-Marie Sève, directeur de l’Institut pour la justice, sur son fil X, « à la différence de la prison, où la peine possède une durée précise, les malades mentaux n’ont pas de "peine". La durée de leur hospitalisation est donc très variable. Cela peut être 40 ans comme 18 mois. » Résultat : « tous les 6 mois, les médecins se réunissent et décident de la libération des malades. Je ne vous cache pas que la diminution continue du nombre de lits pousse plutôt à libérer les malades quand c'est possible. » En effet, outre une crise des vocations, la psychiatrie est confrontée à un manque criant de moyens.
En 2022, un quart des établissements psychiatriques ont ainsi dû fermer entre 10 et 30 % de leurs capacités d’accueil. Parent pauvre de la médecine, la psychiatrie a certes fait l’objet d’un plan de financement en 2019, mais demande toujours plus d’investissements afin d’accompagner et de suivre au mieux les patients. Pour ceux impliqués dans des affaires judiciaires et placés en unités de soins, Pierre-Marie Sève recommande donc « des moyens supplémentaires, certes, mais il faut plus ». « Sous prétexte que ces gens sont fous, on ne peut pas faire comme s'ils n'avaient pas commis de crime. Il faudrait donc envisager une durée minimale de soins, en fonction de la peine encourue », conclut-il.