Le sénateur de l'Ohio J.D. Vance est depuis le 15 juillet le colistier de Trump pour l’élection américaine de 2024. En 2016, il publiait son autobiographie « Hillbilly Elegy » écrite quand il n’était pas encore sénateur et Donald Trump pas encore entré en politique. Sortie pendant la campagne présidentielle qui opposait Trump à Hillary Clinton, elle était devenue un best-seller. J.D. Vance y raconte son parcours et met en lumière le déclin de l’ancienne classe ouvrière blanche américaine dont il est issu. Ces hillbillies (crétin des collines) de la Rust Belt et des Appalaches, traditionnellement démocrates, avaient plébiscité Trump et permis son élection surprise.
Hillbilly Elegy est l’itinéraire personnel de Vance, de son enfance jusqu’à son ascension sociale. Il est né et a grandi au nord-est des Etats-Unis entre Jackson, dans le Kentucky, village de 1000 habitants et Middletown, dans l’Ohio, petite ville de 50 000 habitants. Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, Ohio… ce large territoire appelé Rust Belt (ceinture de rouille) est une ancienne région industrielle, jadis prospère grâce à ses usines (papèterie, sidérurgie, aciérie) et mines de charbon. Il a subi les recessions économiques de plein fouet, le démantèlement de ses industries historiques, et est devenu une zone dévastée par le chômage et l’épidémie d’addiction aux opioïdes (voir à ce sujet l’excellente série Dopesick qui se déroule dans une petite ville minière du nord-est des États-Unis).
Issu d’une famille pauvre et dysfonctionnelle, l’adolescence de Vance est chaotique : un père qui l’a abandonné et qu’il connaît à peine, une mère toxicomane et incapable de se soigner, qui lui demande de lui fournir des échantillons d’urine pour passer ses tests professionnels, menace de le tuer alors qu’il n’a pas treize ans, puis tente de se suicider à plusieurs reprises. Elle fait vivre un calvaire à son entourage, en particulier ses enfants qui subiront l’interminable succession de beaux-pères et ne connaîtront que l’instabilité familiale, économique et affective.
Destiné à un avenir sombre, Vance en réchappe grâce au soutien de ses grands-parents, particulièrement celui de sa grand-mère, sa « mamaw », qui l’a élevé à la dure à la place de ses parents. Contrairement à la plupart de ses amis, il ne cède pas au fatalisme et grâce à une volonté de fer et beaucoup de travail, il réussit à l’école, intègre les Marines, puis l’université de droit de Yale – la plus réputée du pays-, dont il sort diplômé.
J.D. Vance était destiné à mener une vie de péquenaud, de redneck, de « deplorable » comme les a appelé Hillary Clinton, de « white trash » comme les nomment les élites américaines ; il est une anomalie, un rescapé du déclin invisibilisé et inexorable d’une l’Amérique que peu de gens connaissent et comprennent.
Au pays des white trash
Au-delà de son parcours personnel et du récit de sa trajectoire de vie, l’autobiographie de Vance donne une vision ethnographique de l’Amérique blanche dont il est issu. Ces descendants d’immigrés venus d’Irlande et d’Écosse ont contribué à la prospérité de l’Amérique et sont passés à travers les siècles de laboureurs à mineurs, puis à ouvriers et à métallurgistes et ont vécu, avec le déclin de l’industrie, la fin du rêve américain.
Dans ces États rongés par le chômage, la faible mobilité sociale, la pauvreté… la population est déclassée, désillusionnée, pleine de rancune. Des millions de Blancs de la classe ouvrière américaine, sans diplômes universitaires dont le sort n’intéresse personne et en premier lieu les élites politiques et médiatiques qui ne leur offre que mépris de classe, vont trouver en Trump un exutoire. Ce concentré de misère et cet abandon par les partis politiques convertis au libre-échangisme explique pourquoi ces Américains se sont tournés vers Trump. J.D. Vance met en lumière les origines de la colère des white trash, dont le seul point commun restant est le ressentiment.
La famille de Vance est représentative de ces populations ouvrières délaissées : le grand-père « Papaw » était ouvrier dans l’aciérie locale et un partisan du Parti démocrate, « le parti des travailleurs ». Avec le déclin de l’industrie, leur l’ascension sociale s’est arrêtée dans les années 80. Deux générations plus tard, les petits-enfants des ouvriers des années 50 et 60 sont devenus des trumpistes fervents, à force de déclassement et de paupérisation.
L’amour des siens n’empêche pas leur critique : Hillbilly Elegy est un livre sans complaisance et lucide sur l’Amérique blanche dont J.D. Vance est issu. Les problèmes de sa communauté vont bien au-delà des tendances économiques et politiques et Vance attribue les maux qui la rongent à une culture qui encourage de plus en plus la décadence sociale au lieu de la contrer. Il raconte la déperdition dans l’alcool, l’addiction aux narcotiques, les filles enceintes à 16 ans, l’obésité et la consommation délirante de sucre, les divorces ; il dévoile la fuite de ses compatriotes devant leur responsabilité, le renoncement : «Il y a un manque d’initiative. [–] Ils ont le sentiment d’avoir peu d’emprise sur leur vie, et ont tendance à blâmer tout le monde sauf eux ». Il se mue moraliste et dévoile la paresse de ses voisins qui maximisent leurs prestations sociales et démissionnent parce qu’ils « ne supportent plus de se lever tôt ». Il exhorte les siens à se bouger et à ne pas attendre des solutions politiques pour remédier à leur misère matérielle et morale.
Si vous voulez comprendre la situation des perdants de la mondialisation de l’Amérique profonde, connaitre les raisons de l’élection de Donald Trump, éteignez votre téléviseur et n’écoutez plus France Inter : c’est Hillbilly Elegy qu’il faut lire.
J.D. Vance, Hillbilly Élégie, éditions Globe, 288 pages, 22€
© Photo : Le 17 juillet 2024, le candidat à la vice-présidence J.D. Vance devant la Convention nationale républicaine de 2024 dans le Milwaukee.
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