La génétique comportementale est un champ de recherche peu connu du grand public. Son émergence fut rendue possible par les avancées extraordinaires en génétique lors de ces dernières décennies. Mais un monde peut séparer la réalité des laboratoires de celle des médias. La publication d’un ouvrage de vulgarisation permet justement de remédier à ce problème. En un peu moins de 300 pages, Robert Plomin, psychologue, généticien américain et pionnier de cette discipline, nous propose une synthèse de ses découvertes étonnantes. Cette synthèse est d’autant plus précieuse qu’elle offre de nouvelles perspectives de discussions sur ce qui fait le développement de l’individu. Tout milieu académique possède ses biais bien qu’il s’applique autant que possible par le débat et la confrontation des données à restituer la vérité. Le milieu universitaire français n’échappe pas à cette règle. Le prisme de l’analyse sociologique ou économique prime dans l’analyse des phénomènes sociaux au point d’en exclure bien souvent les potentielles autres pistes.
Le monde anglo-saxon est moins frileux à l’idée d’explorer les sujets qui fâchent. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir aussi ses problèmes. Plomin confesse volontiers que son livre n’a pas vu le jour plus tôt pour des raisons de climat politique défavorable. Les données étaient disponibles depuis un certain temps, mais la crainte de répercussions professionnelles l’a poussé à attendre un moment plus propice.
C’est désormais chose faite. Pourquoi le contenu de cet ouvrage est-il si difficile à traiter ? Parce qu’il entend bousculer notre conception de la personnalité humaine. La plupart des personnes pensent volontiers que l’intelligence, l’introversion ou l’extraversion, la probabilité de développer une maladie mentale, nos goûts culinaires ou encore notre orientation politique sont les résultantes de notre histoire personnelle et familiale. L’environnement dans lequel nous grandissons serait le premier facteur d’explication de notre trajectoire de vie.
Cette idée tenace est précisément celle que l’Architecte invisible veut remettre en question : Plomin affirme que l’ADN est le premier facteur explicatif de la majorité de nos caractéristiques mentales. Notre famille, l’école et notre environnement comptent, mais n’ont clairement pas le même poids dans l’équation. L’étude des enfants adoptés et des jumeaux séparés à la naissance indique que l’influence du milieu social diminue avec le temps jusqu’à être négligeable à l’âge adulte. Ainsi, des enfants adoptés dans des milieux différents auraient, en vieillissant, un QI plus proche de celui de leurs parents biologiques sans jamais les avoir rencontrés. La nuance tiendrait au fait que l’environnement est une conséquence de la génétique des parents et non la cause des traits de l’enfant. Ce sont les gènes qui sont transmis avant tout. Tout parent de plusieurs enfants réalise à quel point des frères et sœurs peuvent devenir très différents en vieillissant alors que leur éducation a été rigoureusement identique. Plomin nous apprend ainsi que la plupart de nos traits mentaux sont déterminés par des milliers de gènes ayant chacun un faible effet. Chaque enfant étant la résultante d’un mélange aléatoire de 50 % des gènes du père et 50 % des gènes de la mère, il est possible d’avoir une grande diversité d’enfants à partir de deux individus. Cependant, une tendance générale se dégage tout de même dans la fratrie. Il en résulte donc que les méthodes éducatives auraient relativement peu d’influence sur l’enfant et qu’il leur suffirait d’être des parents aimants et présents pour accompagner leurs enfants dans leur trajectoire singulière. En l’absence de carences graves, la génétique fera son œuvre selon son propre plan. La décision la plus importante à faire concernant l’avenir d’un enfant serait donc de loin, si l’on suit les conclusions de l’auteur, le choix du partenaire avec lequel nous fonderons une famille.
Ces découvertes ont naturellement des conséquences sur la manière de concevoir et d’organiser la société. Plomin plaide pour une prise en compte des différences individuelles et pour une adaptation de notre approche de l’éducation en conséquence. Le but de l’éducation ne devrait donc pas être de faire croire que n’importe quel enfant pourrait devenir n’importe quoi, mais au contraire, de l’aider à devenir ce qu’ils est déjà. L’épanouissement se trouverait dans le fait de développer ce pour quoi nous sommes bons et d’être valorisés pour cela plutôt que de persister dans une voie pour laquelle nous ne sommes pas avantagés. D’une certaine manière, Plomin prolonge et consolide le travail amorcé par Steven Pinker en 2005 dans son ouvrage Comprendre la nature humaine. La thèse n’a donc rien de nouveau, mais trouve ici des arguments inédits et autrement plus forts pour l’appuyer.
Les éléments avancés dans l’ouvrage, tout comme ses conclusions, ne vont bien sûr pas sans problèmes. Et de fait, l’auteur consacre tout un épilogue aux objections que ses adversaires lui adressent : ces résultats ne sont-ils pas une légitimation de l’eugénisme ? Ne donne-t-il pas raison au fatalisme ? La démocratisation des scores polygéniques ne va-t-elle pas entraîner des dérives avec, par exemple, des ajustements du coût des mutuelles en fonction des facteurs de risque génétique des individus ? Quid de la différence moyenne entre les groupes humains et entre les sexes ? Ne va-t-on pas mettre de côté la responsabilité des individus et des institutions et voir poindre un discours refusant toute explication économique ou sociale ? Ces épineuses questions font, dans l’ensemble, l’objet de réponses assez timides de la part de Plomin. On peut cependant espérer qu’elles alimenteront de futurs débats, incluant notamment leurs potentielles conséquences au niveau politique. Les données n’ont qu’une nature descriptive, tirer des conclusions morales de ses travaux relève en soi déjà de la prise de position politique. Il sera donc intéressant d’en suivre les développements futurs, car une appropriation de ces données est possible par les deux côtés du spectre politique qui en viendront à des conclusions radicalement différentes.
En résumé, l’Architecte invisible forme probablement aujourd’hui une des contributions les plus ambitieuses pour comprendre la démarche réductionniste de la génétique comportementale, ses concepts fondamentaux et les problèmes qu’elle soulève. Les résultats apportés par Plomin sont précieux en ce qu’ils ouvrent la voie à une prise en compte nouvelle des données biologiques dans le développement psychique. Un ouvrage synthétique qu’il convient donc de confronter aux publications existantes pour espérer aboutir à une meilleure compréhension de la part de l’inné et de l’acquis dans les différences des individus et de leurs parcours de vie.
Marc Vigné 01/08/2024
Robert Plomin, L’Architecte invisible. Comment l’ADN façonne notre personnalité, Paris, Perrin, 2023.
https://institut-iliade.com/larchitecte-invisible-de-robert-plomin/