L’éditorial de François Marcilhac
Comment ne pas comprendre le cri de douleur de la veuve de l’adjudant Comyn, accusant « la France » d’être responsable de la mort de son mari, tué en service commandé par une chance pour la France multirécidiviste ? Oui, « la France » l’a tué si on entend par là un pays et ses lois, ou plutôt la non-application de ses lois. Comme l’a fort bien résumé Vincent Trémolet de Villers dans Le Figaro de ce jeudi 29 août, mort non pas « pour la France », mais « par la France », ou plutôt mort pour les citoyens d’un pays indifférent au sacrifice de ceux qui risquent et, parfois, donnent leur vie pour eux – et donc mort aussi de cette indifférence, comme si ce risque allait de soi.
Mais ce que sa vie brisée autorise la veuve du gendarme à dire ne saurait dédouaner autrui, surtout s’il a pour activité d’éclairer ses concitoyens, de botter en touche en faisant mine de dénoncer « les causes profondes de l’exaspération des Français » : il s’agit d’ailleurs non pas « d’exaspération » (le fameux sentiment d’insécurité ?) mais de sécurité concrète, de « violence du réel », comme le reconnaît Vincent Trémolet de Villers, de vie et de mort.
Botter en touche c’est pourtant ce qu’il fait, en même temps, dans l’éditorial déjà cité et intitulé « Les larmes et la colère ». Certes, il dénonce ce « sentiment de toute-puissance » des criminels « qui repose sur les deux piliers de l’idéologie propagée par la gauche radicale : je ne suis pas coupable puisque je suis une victime ; la loi française est illégitime, puisque ‘la police tue’ ». Mais attribuer à la seule gauche radicale la responsabilité de la situation actuelle est un peu court, même si cela peut rassurer le lecteur moyen du Figaro. D’ailleurs, au moment où Emmanuel Macron cherche, en vain semble-t-il, à décrocher les socialistes (voire les écologistes) de LFI, ne conviendrait-il pas de compter aussi parmi les complices idéologiques avérés de cette gauche radicale, le premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure qui, sur RTL, ce même jeudi 29 août, après les condoléances d’usage, a commenté ce meurtre avec la langue de bois progressiste : « Mettre les gens en prison n’est pas non plus une réponse satisfaisante » ?
Surtout, alors qu’elles sont connues, comment ne pas cibler les responsabilités politiques, à l’origine non seulement de ce drame mais, plus profondément, de la situation actuelle de la France en matière d’insécurité ? Est-ce parce qu’elles mettraient en cause ce consensus de la démission d’un pays légal qui, depuis plusieurs décennies, droite et gauche confondues, poursuit en matière de laxisme pénal, d’idéologie permissive au sein même de la magistrature, d’appauvrissement des moyens donnés aux forces de l’ordre, de manque de places de prisons, de non-application des OQTF — obligations de quitter le territoire français —, d’invasion migratoire, la même politique ? Serait-il indécent de rappeler au lecteur moyen du Figaro que c’est sous Chirac, Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui abolit la prétendue double-peine et que, devenu président, jamais l’immigration ne fut aussi importante ? Serait-il malvenu de rappeler à ce même lecteur les démissions sociétales continues de cette droite libérale, macron-compatible, dont son quotidien est le représentant ? Oui, c’est bien ce consensus de la démission, fondé sur des responsabilités politiques concrètes, qu’il faudrait dénoncer clairement si l’on veut à la fois respecter les larmes d’une veuve et la colère légitime d’un pays réel qui, lorsqu’il vote mal, est diabolisé et mis hors champ du fameux arc républicain — dont fait, en revanche, pleinement partie, le temps des élections, cette même gauche radicale.
Mais voilà, évoquer, ne serait-ce qu’à demi-mots, ces causes réelles de « la violence du réel » serait briser un tabou. Voire, sembler favoriser un discours populiste, ce qui, pour le lecteur moyen du Figaro serait pire qu’une faute politique : une faute de goût. Alors on préfère parler d’« échec politique », sans préciser lequel, ou encore de « défaite collective », ce qui ne mange pas de pain, voire reprendre à la gauche le thème de la responsabilité de « la » société : mais quand la gauche a l’habitude de pointer l’injustice de la société pour expliquer, voire justifier, la délinquance, le libéral visera une « société incapable de protéger ceux qui la protègent, impuissante à punir ceux qui la menacent ». Dans l’un et l’autre cas, c’est botter en touche devant les larmes d’une veuve, c’est parler pour ne rien dire devant la colère du pays réel, surtout au moment où 11 millions de membres de cette même société sont déboutés de leur citoyenneté pleine et entière parce qu’ils ont mal voté — c’est-à-dire ont voté, ou du moins cru voter,contre ce même laxisme, contre ce même consensus de la démission, ce qui est impardonnable. Mais que voulez-vous, ma bonne Dame, la vraie cause, c’est ce « mal français », qu’il est d’autant plus facile d’invoquer que, sans avoir jamais besoin de le définir, il permet de tout expliquer et de clouer le bec aux importuns. Le lecteur moyen du Figaro peut se rendormir tranquille. Sa cécité politique n’aura surtout pas été inquiétée puisque, au fond, la vraie faute est à « pas de chance ».
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