Par Michel Michel
Il est bien connu que l’actuelle génération renâcle à s’engager. Toutes les institutions qui exigent de se donner un cadre d’obligations, des objectifs à long terme, ou mieux encore de découvrir sa vocation, ce pour quoi on a été appelé, toutes ces institutions sont en crise.
Les démographes savent que nous faisons de moins en moins d’enfants, que les couples craignent de se marier et les mariages sont de plus en plus éphémères ; les directeurs de ressources humaines ne provoquent plus d’espérance en faisant miroiter la transformation d’un CDD en CDI dont certains employés ne veulent pas…
Il y a deux générations. Au milieu du XXe siècle, la situation n’était pas brillante : on organisait sa vie sur des critères consuméristes, c’est-à-dire matérialistes ; on planifiait le nombre de ses enfants, grâce au « Planning familial », on se donnait des « plans de carrière ». Les anciens se souviennent des temps « bling-bling » autour des années 1980, de l’épopée de Bernard Tapie montré en exemple aux « jeunes loups aux dents longues », de la flambée des Écoles supérieures de commerce et du succès de films comme « La vérité si je mens », le crédit généralisé. Les hommes étaient réduits à un triste rôle de consommateurs mais ils se donnaient encore des projets, des projets de vie autour duquel ils parvenaient à structurer leur existence.
Ce qui est nouveau, c’est la chute de la croyance au mythe du progrès. Les Anciens croyaient au Ciel ; les Modernes, à partir du XVIIIe siècle, ont remplacé le Ciel par l’Avenir. « Les lendemains qui chantent » suffisaient à mobiliser la ferveur révolutionnaire, comme la carotte devant le bourricot.
Mais à la fin du XXe siècle, quand les soixante-huitards ont proclamé « nous voulons tout, tout de suite ! » la machine mythique s’est détraquée. Personne ne croit plus que « demain on rasera gratis ».
Le « t’es plus dans le coup papa », le succès de Sheila en 1963, a été remplacé par le « no future » des punks, quinze ans plus tard. À la science-fiction de bandes dessinées optimistes où les héros débarquaient sur une nouvelle planète, la débarrassaient de son dictateur ou de quelque théocratie rétrograde pour rejoindre la Confédération des Planètes démocratiques se substituent des dystopies du style « Le monde d’après la bombe », « La révolte des zombis, ou des robots » « l’Apocalypse, la fin du monde ».
Ce pessimisme sur l’avenir se révèle encore dans l’avènement de l’écologisme qui s’est appuyé sur l’idée que puisque les ressources de la planète sont limitées, un développement exponentiel infini est impossible.
Les gens savent que le mouvement de la technique continue de se propager inexorablement, mais quand leurs arrière-grands-parents étaient émerveillés par « la fée électricité », ils perçoivent à présent les innovations technologiques comme on perçoit le Golem dans les légendes du rabbin de Prague… où le serviteur artificiel est devenu si grand qu’il risque de s’effondrer sur son créateur. Et l’on commence à faire des pétitions pour qu’un moratoire soit institué sur l’intelligence artificielle et ses applications.
Les penseurs de la modernité croyaient naïvement qu’il suffisait de faire reculer ces limites, d’abattre les conditionnements, de libérer la volonté de toute entrave pour libérer l’humanité. Or ça ne marche pas ! L’homme doit nécessairement se confronter à ses limites.
On se plaint de ne pas pouvoir faire ce que l’on veut, mais en l’absence de résistances, l’homme ne sait même plus ce qu’il veut ! On feint de croire que la dignité et le bonheur viendraient de l’absolutisation de la liberté de l’individu. Au contraire, la mission de l’homme c’est de servir (les autres, sa famille, son œuvre, sa patrie…) « Ni s’asservir, ni se servir : servir » propose une devise compagnonnique.
AMOR FATI… il faut vouloir la condition (je veux dire les conditionnements matériels biologiques, culturels, historiques, familiaux, moraux) dans laquelle la providence nous a placés. Et même aussi aimer les combats dans lesquels le Bon Dieu nous a fait l’honneur de nous mettre à l’épreuve. C’est, je crois, ce que veulent dire toutes les sagesses du monde.
C’est dans l’exercice des devoirs d’état que peut se trouver une vie bonne. Encore faut-il mettre sa liberté à accepter cet état. Votre génération n’est pas plus mauvaise que celles qui l’ont précédée, mais elle n’a plus de cadres où développer ses vertus, car on lui a appris que la dignité était de se révolter contre son état.
Mais je sais que ce n’est pas le cas de nombre de jeunes qui sont engagés dans la Foi, la Patrie, le Roi, des métiers sérieux qui impliquent pas mal d’obligations et puis… finalement le mariage.
À chaque engagement notre mission se précise et c’est une belle aventure qui se dessine. Il faut tenir bon dans les épreuves.
Ainsi est-il possible de s’unir à bien d’autres résistances :
- celle du scout qui fait sa « promesse »,
- celle du compagnon du tour de France tenu par ses « devoirs »,
- celle du camelot du Roi assurant sa mission militante,
- celle du religieux qui s’engage par des vœux.
Ainsi, peut-on résister aux sables mouvants du monde et gagner l’estime de la communion des saints.