Selon Alexandre Mendel dans Conflits :
Longtemps considérés comme acquis à la gauche depuis Johnson, les Afro-Américains s’affranchissent de plus en plus de leur « dette électorale » à l’égard des démocrates. Trump, le businessman, figure de la culture hip-hop, est le républicain le plus populaire dans cette communauté depuis plus de cinquante ans. L’arrivée de Harris semble toutefois freiner cet élan.
Quand, en août, devant un parterre de reporters de l’association des journalistes noirs américains, Donald Trump s’interrogeait sur l’ethnicité de Kamala Harris, « indienne » (ce qu’elle est par sa mère) ou « noire » (son père était d’origine jamaïcaine), la presse s’étranglait. « Raciste ! », « diviseur ! », « Trump ne peut se retenir » La question avait pourtant un véritable fond politique. À quoi joue Kamala Harris quand, en meeting devant un public majoritairement noir, elle prend l’accent afro-américain qu’elle n’a jamais eu : et pour cause, elle n’est pas l’une des leurs. Pas davantage que Barack Obama qui, lui aussi, modulait ses intonations pour passer pour ce qu’il n’a jamais été : un noir américain, et non le fils, métis, d’un universitaire kenyan et d’une Américaine blanche. Que ne ferait-on pour gagner les voix de ce segment de l’électorat !
Capter les voies des noirs
La mise à la retraite anticipée de Joe Biden, poussé à abandonner sa candidature – une première dans l’histoire – ne s’explique pas uniquement par les incapacités cognitives du toujours actuel président des États-Unis. En juillet, Trump caracolait à 20 points dans les sondages auprès de l’électorat noir. Un record depuis plus de cinquante ans (depuis Nixon, en fait). Trump récoltait déjà 8% de leurs suffrages en 2016 et même 12 % en 2020. Beaucoup… depuis que Lyndon Johnson a fait voter les droits civiques et mis fin – dans la souffrance pour les démocrates du sud, longtemps esclavagistes – à la ségrégation. On prête encore au successeur de Kennedy la phrase suivante pour convaincre les sénateurs du sud, ces dixiecrats, conservateurs et racistes qui voyaient d’un mauvais œil ce bouleversement sociologique dans leurs États : « J’ai assuré au Parti démocrate le vote des nègres pour les deux siècles à venir. » Apocryphe ou pas, cette citation s’est, dans les faits, vérifiée. Le Parti démocrate est bien devenu le parti des noirs américains.
Mais cette adhésion massive de la communauté afro-américaine a perdu de sa superbe. Jusqu’en juillet, Trump marchait dangereusement sur les plates-bandes d’un parti qui ne cesse de perdre de son aura depuis la fin du second mandat d’Obama. Ce dernier s’adressait d’ailleurs à ses (faux) « frères de couleur » en ces termes douteux, en 2016 : « Ce serait une insulte personnelle si vous ne votiez pas pour Hillary Clinton. » Dans la même dynamique de cette « dette de vote » (comme disent les démocrates eux-mêmes), Joe Biden avait affiché un dédain égal en 2020 : « Si vous votez pour Trump alors vous n’êtes pas noirs » (« you ain’t black », ajoutant au dédain, cet emprunt à la syntaxe afro-américaine).
La loyauté des noirs à l’égard du parti de Johnson n’est plus aussi évidente depuis Donald Trump. Et signe peut-être la fin de ces « plantations démocrates », expression utilisée à droite pour railler cette règle qui veut que les noirs votent systématiquement à gauche sans même considérer les programmes.
Culture du hip-hop
Non, Trump ne remportera pas le vote des Afro-Américains. Mais il va encore progresser. Trump bénéficie d’un avantage que n’avaient pas ses prédécesseurs républicains : c’est un New-Yorkais, un pur produit, dans les années 1980 et 1990 de la culture hip-hop. Le faire passer, avec insistance pour un nécrophobe, est un non-sens et même un mensonge. Avant d’opérer son virage populiste au début des années 2010, Trump était un démocrate et même l’éphémère candidat centriste du Reform Party pour la présidentielle de 2000. La présentatrice (et multimilliardaire comme lui) Oprah Winfrey devait même rejoindre son ticket à la vice-présidence ! Les stars du rap se l’arrachaient, il apparaissait dans des clips.
Cette culture est restée. Donald Trump le sait, lui qui a osé, en mai dernier, tenir un rassemblement dans le Bronx, dans ce quartier paupérisé, habité par des Latinos et des Afro-Américains, dans l’État de New York, qu’il ne remportera jamais. Le maire démocrate, Eric Adams, a beau être noir, il n’a pas beaucoup fait pour sa communauté… Au contraire ! C’est à Harlem, principalement, que le flot de migrants arrivés ces deux dernières années – conséquence du statut de ville sanctuaire de New York – a été installé gracieusement, dans des hôtels privés et appartements, sous le regard d’une population qui a l’impression que les démocrates se servent du quartier pour mettre la poussière sous le tapis.
Et puis Trump est cet homme d’affaires qui rassure les « small business owners », ces petits commerçants, souvent d’épiceries, de stations-service, inquiets pour leur sécurité, mais également pour leurs impôts. C’est d’ailleurs l’inflation qui reste le sujet d’inquiétude numéro 1 chez les Afro-Américains. Peu importe que les médias l’aient décrit comme un raciste… Celui qui vote avec son portefeuille. On se rappelle la phrase, écrite sur un mémo pour Bill Clinton, alors candidat en 1992, par son conseiller Jim Carville : « It’s the economy, stupid ! » (« C’est l’économie qui compte, imbécile ! »). Elle est encore davantage valable aujourd’hui pour les noirs américains qui font face à des loyers plus élevés et des primes d’assurances santé toujours plus dispendieuses.
Enfin, il y a un autre aspect de Trump, dont tous les républicains parlent en privé, sans jamais l’évoquer en public : le candidat du GOP est désormais un condamné pénal qui pourrait passer par la case prison. Bref, il serait aussi, de ce point de vue, devenu l’un des leurs quand les Afro-Américains constituent 37 % des prisonniers aux États-Unis alors qu’ils ne sont que 12% de la population.
Kamala Harris freine la progression
L’arrivée de Kamala Harris semble avoir considérablement freiné la progression de Trump au sein de la population noire. Là où, face à Biden, il pouvait titiller les 25 %, il n’est plus qu’à 10 %. Considérable écart dans des États pivots où les Afro-Américains sont nombreux, comme la Caroline du Nord, la Géorgie ou le Michigan. Et comme si les difficultés n’étaient pas assez nombreuses en ce moment pour Trump, Mark Robinson, candidat noir républicain au poste de gouverneur de Caroline du Nord, soutenu par Trump (qui le qualifiait encore récemment de « Martin Luther King sous stéroïdes), est en ce moment-même au cœur d’un scandale. CNN a révélé les messages que ce dernier postait sur un site pornographique, sous pseudo, entre 2008 et 2012, se désignant comme « un nazi noir », vilipendant le pasteur King ou se prononçant pour le « rétablissement de l’esclavage ». Dur d’y voir le meilleur représentant républicain pour les Afro-Américains.
https://lesalonbeige.fr/les-electeurs-noirs-de-moins-en-moins-democrate/