L'ampleur des dégâts
C’est vrai ça, avec 3.228,4 milliards de dette publique à la fin du deuxième trimestre 2024, contre 3.159,7 milliards à la fin du premier trimestre (soit près de 69 milliards de dette supplémentaire, le temps d'une saison), on se dit – peut-être naïvement – qu’on est en droit de savoir qui sont les créanciers de la France. Mais, semble-t-il, il paraît que la chose est plus compliquée qu’il n’y paraît. Il est vrai que tout devient compliqué, imbriqué dans ce vaste monde. C’est pour ça, d’ailleurs, qu’il nous fallait à la tête de l’État de véritables Mozart de la finance pour appréhender cette complexité décidément bien compliquée. À l’automne 2017, la fine équipe que l’on sait venant à peine de prendre la direction de l’orchestre, la dette « n'était que » de 1.700 milliards et la durée de vie moyenne de l’encours de cette dette était de 7 ans et 8 mois. Sept ans de malheur plus tard, cette dette frise les 3.300 milliards et la durée de vie moyenne de l’encours est passée à 9 ans et 2 mois… Par ailleurs, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), dirigée par Agnès Verdier-Molinié, rappelle que si, en 2020, la charge de cette dette représentait 13,5 % du déficit de l'État, en 2023, elle est passée à 27,9 % et, en 2027, elle pourrait atteindre plus de 50 %... Dans ce contexte, savoir qui nous tient par les cordons de la bourse ne réduira sans doute pas la dette, mais permettrait, peut-être, de prendre un peu plus conscience de l'ampleur, sinon des dégâts, tout du moins du problème. Vous ne croyez-pas ?
Plus de 53 % de la dette française détenue à l'étranger
Bon, mais qui détient cette dette astronomique ? Selon Vie publique, site Web placé sous l’autorité du Premier ministre, plus de 53 % de la dette publique française seraient détenus par des investisseurs étrangers, principalement des fonds de pensions et des banques. Un chiffre qui se réfère notamment à un rapport parlementaire déposé le 29 mai dernier par le député RN Kévin Mauvieux, lui-même s’appuyant sur les données communiquées par la Banque de France. Ce rapport souligne que « la part des non-résidents est même beaucoup plus importante si l’on soustrait les montants détenus par la Banque de France au titre des opérations de politiques monétaire ». On arriverait alors au chiffre de 72 %, en 2023. Toujours selon ce rapport, « en termes comparés, la France apparaît comme l’un des pays de l’OCDE dont la dette est le plus fortement détenue par des non-résidents ». Effectivement, si l’Allemagne est à peu près au même niveau que la France, le Royaume-Uni et l’Italie oscillent autour de 30 % quand les États-Unis sont autour de 20 %. Ne parlons pas du Japon, qui est en dessous de 20 %. Cela, c’est pour les données dans les grandes largeurs.
Impossible de connaître nos créanciers ?
Maintenant, si l’on veut savoir qui sont les créanciers qui se cachent derrière ces chiffres, cela est quasiment impossible. Certes, la mondialisation et l’extrême rapidité des échanges financiers expliquent en partie cette difficulté. Mais à cela, il faut ajouter une ordonnance bien française prise en 2014 qui a exclu les personnes morales de droit public des règles qui permettent désormais aux entreprises d’identifier leurs obligataires. En clair, l’État, sous le quinquennat de Hollande, s’est volontairement privé de la possibilité d’identifier ses créanciers ! Et ce, pour des raisons de compétitivité. « Une obligation de déclaration qui s’imposerait aux détenteurs de dette française, et uniquement à eux, nous ferait prendre un risque car ce serait un désavantage compétitif par rapport aux autres États […]. Les investisseurs n’aiment pas dévoiler leurs positions sur le marché, pour des raisons dont certaines me semblent légitimes », avait, à l’époque, expliqué aux Échos l’Agence France Trésor, gestionnaire de la dette de l’État à Bercy et chargée de traiter avec une quinzaine de banques, spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) et jouant les intermédiaires auprès des marchés. Certes. Ce qui est certain, c’est qu’avec 3.300 milliards de dette, la position de la France sur le marché mondial est plus que dévoilée…
Ainsi, à la question « Qui sont les créanciers d’une France ultra-endettée ? », il convient donc de répondre : « On ne sait pas. » Comme chantait Jean Gabin, « Je sais qu'on ne sait jamais. » Mais, paraît-il, si l'on comprend bien nos Mozart de la finance, ce n'est pas grave de ne pas savoir. Alors, dormez en paix, braves gens...