Selon Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits :
Le premier point, c’est la victoire totale et complète de Donald Trump. Un véritable raz de marée. D’abord avec la conquête de la Maison-Blanche, où il gagne les grands électeurs et le vote populaire, ce qui n’avait pas été le cas en 2016. Sa victoire est donc encore plus large qu’en 2016. Ce raz de marée républicain s’exprime également dans la victoire au Sénat et à la Chambre des représentants. Les républicains sont d’ores et déjà majoritaires au Sénat et devraient l’être à la Chambre. Dans les deux cas, ils ont repris plusieurs sièges aux démocrates. À quoi s’ajoute le contrôle de la Cour suprême où les juges conservateurs sont majoritaires.
Deuxième point : c’est la défaite des commentateurs et des « experts ». La plupart des commentaires tenus ces dernières semaines se sont révélés faux. Non par erreur d’analyse, mais parce que beaucoup sont davantage dans la propagande que dans la volonté de comprendre les États-Unis. Ils annonçaient une élection très serrée, « sur le fil du rasoir », il n’en fut rien. Cette large victoire est le meilleur schéma pour la démocratie américaine. Il aurait été tout à fait redoutable que l’élection soit aussi serrée qu’en 2016 ou en 2020, avec des cascades de contestations. Ou pire en 2000, quand il fallut attendre plusieurs semaines pour avoir les résultats. […]
Dès mi-octobre, les démocrates ont compris qu’ils avaient perdu l’élection présidentielle, ce qui n’empêchait pas les commentateurs et les experts habituels de dire que ça allait être très serré.
Attribuer l’étiquette de « nazi » ou de « fasciste » à Trump et à ses électeurs ne résout pas le problème politique et empêche de comprendre les motivations du vote. L’aveuglement idéologique a fait le reste. À ce stade, on peut se demander si c’est seulement de l’incompétence ou si c’est aussi du mensonge.
Troisième point : la défaite intellectuelle des démocrates. Jouer la carte de la morale, expliquer qu’il faut voter pour Obama parce qu’il est noir, pour Clinton parce que c’est une femme et pour Harris parce qu’elle additionne les deux ne fonctionne pas. Faire campagne sur le genre, l’identité, la race non plus. Les électeurs américains attendaient des réponses sur le chômage, l’inflation et la sécurité pas sur les pensées de laboratoire des universités américaines. La défaite de Kamala Harris signe la fin de la période Clinton, ouverte par l’élection de Bill Clinton en 1992. Barack Obama et Joe Biden étaient dans leur filiation, tout comme Harris. C’est désormais terminé et il faudra passer à autre chose en 2028.
Quatrième point : la transformation intellectuelle du parti républicain. Donald Trump a très largement gagné même s’il n’est pas au niveau de l’époque Nixon (1972), Reagan (1984) qui avaient obtenu presque tous les États. Nixon avait eu quasiment tous les États en 1972. George Bush en 1988 était la continuité des années Reagan. S’il a perdu en 1992, ce n’est pas parce que le reaganisme était épuisé, mais parce qu’il a affronté un dissident, Ross Perot, qui a obtenu près de 19% des voix, empêchant Bush de remporter un certain nombre d’États qui auraient dû lui revenir. Lorsque George Bush est intronisé président des États-Unis en 1988, il dit qu’il s’engage à ne pas augmenter les impôts. Or il a augmenté les impôts pendant son mandat, d’où la dissidence de Perot. […] Georges Bush fils change la philosophie des républicains dans les années 2000 en adoptant le néo-conservatisme. Doctrine qui n’est pas éloignée de celle d’Obama. Les républicains des années 2000 sont plus éloignés de Reagan que Trump aujourd’hui. Ce qui fait que lorsque Barack Obama gagne en 2008, beaucoup de commentateurs expliquent que les républicains ne pourront plus jamais gagner les élections présidentielles. Pourquoi ? Parce que du fait du changement démographique aux États-Unis, les femmes, les latinos, les noirs votent naturellement pour les démocrates. Donald Trump a changé la doctrine des républicains et a transformé leur logiciel intellectuel.
Cinquième point : la question de l’avenir du trumpisme. Donald Trump a 78 ans, donc a priori c’est son dernier mandat. On le voit mal se présenter à 82 ans pour un troisième mandat. Et donc, sitôt élu, se pose aussi la question de sa succession. Et notamment de savoir qui de JD Vance ou de Ron DeSantis pourra lui succéder. Finalement, la question qui s’ouvre aujourd’hui, ce n’est pas tellement celle du mandat de Donald Trump que de celle de l’avenir du trumpisme. Et notamment si les Américains, les républicains vont opter pour un trumpisme sans les extravagances, sans les côtés arrogants et crispants de Donald Trump et savoir si cela peut leur permettre d’ouvrir une nouvelle parenthèse reaganienne.