Des informations d'après lesquelles les États-Unis auraient, selon des sources, donné à l'Ukraine l'autorisation de mener des frappes à longue portée en profondeur contre le territoire russe ont fait parler d'elles. Plusieurs facteurs ont coïncidé.
Il y a d'abord les avertissements sans équivoque de Moscou indiquant qu'une telle démarche serait considérée comme une entrée directe de l'Otan dans la guerre. Il y a aussi les tensions liées au changement radical de la situation politique aux États-Unis, les divergences sur le dossier ukrainien étant particulièrement visibles entre l'administration sortante et entrante. S'ajoute à cela la recherche fébrile par Kiev de moyens pour renverser une situation qui devient de plus en plus défavorable. Enfin, il y a l'agitation en Europe, qui se retrouve désorientée face à l'ampleur du changement imminent.
La nouvelle, qui s'annonçait initialement comme le signe d'un tournant fatal, a rapidement été minimisée, si ce n'est désavouée. Les Français et les Britanniques se sont empressés de se distancer des suppositions qu'ils auraient également donné de telles autorisations, répétant au niveau officiel qu'ils ne font toujours qu'envisager cette possibilité. Les sources américaines proches des milieux concernés ont précisé la zone d'application hypothétique : uniquement là où se déroulent les combats. Mais surtout, le spectre des réactions dans les pays occidentaux s'est révélé extrêmement large. Cela va de l'enthousiasme des partisans convaincus de l'Ukraine parmi les ONG libérales, de Josep Borrell et des gouvernements des pays d'Europe de l'Est les plus belliqueux, à une critique sévère de la part des représentants de la future administration américaine et des autorités de certains pays européens.
En résumé, le tableau qui se dessine est à peu près le suivant : l'utilisation des armements en question peut compliquer les actions de la Russie, mais ne changera pas le caractère général de la campagne, tout en contenant un potentiel significatif d'escalade. Une question souvent posée est de savoir pourquoi une telle décision, que Kiev réclamait depuis un an, est-elle prise maintenant. Les réponses, encore une fois strictement officieuses, sont multiples. Formellement, la goutte d'eau qui aurait fait déborder le vase serait les informations sur la présence d'unités nord-coréennes dans la zone de conflit armé. La Maison Blanche, en autorisant les frappes sur leurs lieux de déploiement présumés, entend envoyer un signal à Pyongyang pour qu'il cesse sa collaboration avec Moscou.
Mais il convient de noter deux points. Premièrement, on ne comprend pas très bien pourquoi c'est précisément l'éventuelle participation de la Corée du Nord qui a provoqué une telle agitation. Deuxièmement, pourquoi les autorités nord-coréennes, que Washington considère comme totalitaires et impitoyables, auraient soudainement peur d'un tel signal et s'empresseraient de revenir sur les décisions prises précédemment, si tant est qu'elles aient eu lieu.
La deuxième version est que l'administration américaine comprend que les négociations pour mettre fin au conflit sont inévitables, et que l'Ukraine s'y présente dans une position de plus en plus défavorable. Par conséquent, il faut aider Kiev à améliorer sa position de négociation, et la méthode jugée optimale est de maintenir une tête de pont près de Koursk. Pour de futures négociations et échanges, dit-on. Une telle logique peut avoir du sens.
Enfin, ce qui est effectivement l'opinion communément admise de tous les experts, tant en Occident qu'en Russie. L'administration Biden tente d'affirmer son héritage historique et de compliquer au maximum pour l'administration Trump la sortie du conflit ukrainien. En termes d'héritage, la situation est médiocre. Tout avait commencé avec l'ambition d'une défaite stratégique de la Russie et la confirmation de l'hégémonie américaine/occidentale dans le monde. Maintenant, l'objectif est d'assurer la prolongation du conflit dans l'espoir de changements favorables à l'Ukraine et défavorables à la Russie. Certains collaborateurs de Trump se sont exprimés très négativement, accusant Biden de provoquer une troisième guerre mondiale.
En effet, si Trump hérite du conflit à son apogée, la responsabilité qui lui incombera sera énorme et sa marge de manœuvre se réduira. Il existe cependant un point de vue selon lequel cela pourrait arranger les trumpistes. Car le nouveau président pourrait opérer un virage radical dès son entrée en fonction, en invoquant la menace réelle d'entraîner le pays dans une guerre directe.
C'est plausible, mais reste à savoir dans quelle direction Donald Trump compte opérer ce virage. Sa vision du règlement continue de se heurter à des approches commerciales, d'où la mention permanente des accords qu'il compte conclure.
En attendant, tous entrent dans une phase dangereuse où le risque de basculer dans une confrontation incontrôlable est plus élevé qu'auparavant. La démarche finale des démocrates promet d'être risquée.
Fiodor Loukianov, journaliste et analyste politique
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