Prenant quelques citations chez Bonnard, qui s’ajustent parfaitement à la situation du moment, voici un commentaire qui convient à l’actuel contexte parlementaire.
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Par Stéphane Blanchonnet
Rappelons pour bien comprendre le parallèle que sous la plume de Bonnard un « modéré » désigne un homme politique de droite qui au lieu de combattre le régime, s’y installe et joue le jeu parlementaire. La première citation intéressante porte sur l’impossibilité en quelque sorte ontologique pour une vraie droite d’être intronisée « républicaine » par le seul parti républicain authentique, à savoir la gauche. Bonnard décrit à sa façon ce qu’Albert Thibaudet appelait « le mouvement sinistrogyre » (gauchisation progressive de la vie politique à partir de 1880) et le ralliement de la droite à la République : « Après leur avoir reproché d’entretenir la discorde en France, par leurs opinions monarchistes, on leur représenta, quand ils les eurent abandonnées, qu’il ne dépendait pas d’eux de devenir des républicains ».
La deuxième citation développe ce thème avec mordant et ironie : « Cependant il y eut des moments où la République parut s’ouvrir aux modérés ; on les appela ; que cette invitation leur ait été adressée sincèrement par des républicains qui parlaient au nom du régime sans en avoir connu l’âme, ou par d’autres qui se proposaient seulement de les attirer hors des positions où ils pouvaient encore se défendre, le résultat fut le même : ils jetèrent leurs armes sans interrompre la guerre qui leur était faite. Certains d’entre eux, en se hâtant d’accourir, se flattaient d’envahir la République, car l’ingénuité même a ses ruses. C’est comme si les moutons croyaient envahir l’abattoir ; c’est comme si les thons croyaient envahir la madrague ».
La troisième citation est celle qui s’applique le mieux à la situation présente, à la droite (ou réputée telle) Barnier-Retailleau mais aussi au RN et à sa stratégie de dilution et d’assimilation au système en place : « Cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir parfois au gouvernement des hommes qui voudraient sincèrement s’opposer aux destructeurs ; leur bon sens naturel, l’honnêteté d’une âme sans haine, l’amour de leur pays qu’ils voient partout menacé sans être défendu nulle part, leur inspirent cette bonne intention ; mais ces républicains de hasard ne prévaudront jamais sur les républicains de nature : ils ne trouvent pas dans les principes du régime un seul point solide où leur résistance puisse s’appuyer. Le cadre du pouvoir ne sert qu’à les montrer dans leur impuissance. Toute leur industrie aboutit à peine à retarder d’un jour ce qu’ils auraient voulu empêcher ; leurs expédients, leurs combinaisons, et même leurs pauvres succès ne dérangent pas les lignes fatales : jusqu’à ce que la Révolution détruise la République, la République servira la Révolution ».