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Nicolas Battini, le nationalisme corse et la France (2/2)

Nicolas Battini, le nationalisme corse et la France (2/2)

Le nationalisme corse attendait son aggiornamento – il a tardé à venir. C’est qu’il fallait un homme pour l’accomplir. Cet homme, c’est Nicolas Battini. Avec « Le Sursaut corse. L’identité plutôt que l’indépendance » (L’Artilleur), il signe un livre-manifeste et un livre-mandat aussi décisif que « Pour une critique positive » de Dominique Venner. Car il remet la Corse debout, là où le nationalisme insulaire titubait, lesté d’une rhétorique tiers-mondiste anachronique, plaquée comme une prothèse idéologique sur une terre européenne. Aux autonomistes qui n’en finissent pas de geindre sur une Corse colonisée, Battini oppose un couperet : les Corses ne sont pas des colonisés, ils se sont laissé coloniser par des extra-Européens. D’où l’urgence d’un sursaut. Une dynamique qu’il incarne depuis 2021 avec Palatinu, association culturelle devenue, en 2024, une force politique : Mossa Palatina. Son livre en est l’acte fondateur. Il démonte les mythes mensongers de la « libération nationale » et balise les chemins d’une renaissance. Second acte de notre portrait-analyse.

Rembobinons le fil ce cette destinée en train de se nouer.

Avril 2009. La condamnation en appel d’Yvan Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité ne va pas seulement changer la vie de Nicolas Battini, mais réveiller une génération de Corses. L’île s’embrase. Une jeunesse militante s’éveille à la hauteur d’une conscience identitaire, même si cette conscience reste entravée par le logiciel tiers-mondiste du nationalisme corse. C’est néanmoins celui qu’adopte Battini – sans réserve. Il devient militant et activiste, figure montante de la Ghjuventù Indipendentista, la jeunesse nationaliste, jusqu’au basculement dans la lutte armée.

Avril 2012 : il enfonce à la voiture-bélier le portail de la sous-préfecture de Corte et y dépose une bombe artisanale qui n’explosera pas. Le passage à l’acte scelle son destin. La cour d’assises spéciale de Paris, qu’il ne reconnaît pas, le condamne en 2016 à huit ans de détention. « Evviva a patria ! Evviva u populu corsu ! » Vive la patrie ! Vive le peuple corse. C’est par ces mots qu’il accueille le verdict, poing levé, au terme d’une défense de rupture dans la lignée de Jacques Vergès. Aucun regret. Sa déclaration à son procès (reproduite dans Le Sursaut corse) est un modèle de stratégie de rupture.

On sait combien, en prison, le temps s’épaissit et les années comptent double. Nicolas Battini y passera près de six ans de sa vie, du 31 mai 2013 au 30 mars 2019. Six ans de réclusion, six ans d’épure. Il laissera en cellule la violence – une « terrible maîtresse », dit-il. Elle fut pour lui presque pareille à un roman de formation, mais c’est pourtant entre ces quatre murs que le vrai apprentissage commence. C’est là qu’il entreprend un doctorat en langue et culture corse. Discipline spartiate. On croirait lire Dominique Venner qui séjourna bien moins longtemps derrière les barreaux, mais qui fit lui aussi de la captivité un moment de maturation intellectuelle. De cette ascèse imposée est née une autre critique positive. Un nationalisme purgé de ses oripeaux révolutionnaires, recentré sur l’essentiel. La Corse d’abord, mais la Corse à l’endroit.

Le muezzin carcéral

À son entrée, en prison, il disait encore : « Ton peuple disparaît. Brûle, tue, plastique. » À sa sortie : « Ton peuple disparaît. Enfante, transmets, maintiens, travaille. » Il a été soldat, il faut redevenir paysan – attaché à un pays. Désormais, il tournera le dos à l’action violente et clandestine. Le combat ne se jouera plus dans l’ombre, mais en pleine lumière. Un combat de longue haleine, métapolitique et culturel.

La prison, c’est le réel à l’état brut, nu, animal, sans les faux-semblants du vivre ensemble. La nature y reprend ses droits. Surtout dans les prisons françaises, qui sont des prisons africaines. Mais chut ! Dire cela, c’est risquer la condamnation, comme Éric Zemmour. Ici, plus de dogmes. Les (rares) Blancs restent avec les Blancs, les Corses avec les Corses, les Africains avec les Africains, les musulmans avec les musulmans. Un ordre tacite, ancestral, tribal, tripal. Question : et si la prison était une parabole carcérale de notre futur ?

Toujours est-il que le tiers-mondisme de Nicolas Battini en prendra un sacré coup. Ce n’est pas le chant du coq qui le réveille, mais les « Allahu akbar ». La prison a ses propres clochers et ce ne sont plus les vieux campaniles d’Europe qui sonnent l’heure. Les journées sont rythmées par la prière musulmane. Difficile de ne pas en entendre la répétition monotone. La maison d’arrêt de Bois-d’Arcy est même gagnée par la fièvre djihadiste lors des attentats de novembre 2015. Les « hourras » y résonnent dans les couloirs. Dans la cour, les « Je suis Charlie » se transforment en « Je suis musulman » qui fleurissent sur les T-shirts que les détenus radicalisés arborent comme un défi.

Docteur Gilles et Mister Simeoni

Une fois dehors, Battini n’oubliera pas cette révélation, mais il lui faudra du temps pour enlever les œillères. La preuve : libéré, il plonge d’abord dans l’appareil politique corse comme attaché parlementaire, puis membre de l’exécutif de Femu a Corsica, où trône Gilles Simeoni. À sa décharge, il ne va pas patauger longtemps dans le marigot politique insulaire, qui ne vaut pas mieux que le parisien. Ce qu’il y découvre, c’est que l’autonomisme institutionnel n’est qu’une façade lézardée. Sur l’île comme sur le continent, le poisson pourrit toujours par la tête. Avant de rompre, il soumet à Femu a Corsica un long document interne où tout est déjà là. C’est l’acte de naissance du palatinisme. L’appareil n’en veut pas. Trop frontal, trop dérangeant. Mais Battini n’est pas encore mûr pour franchir le Rubicon. Le déclic surviendra avec le meurtre d’Yvan Colonna par un islamiste en 2022. Interdiction d’évoquer la question de l’islamisme au sein de Femu a Corsica. On préfère s’enferrer dans la fiction d’un complot macroniste. C’est plus facile. Battini, lui, ne jouera plus à ce jeu-là.

Il existe un pacte tacite entre le nationalisme corse et la gauche française dont les nationalistes attendent des réformes institutionnelles (plus d’autonomie, etc.) en échange d’un pacte de non-agression sur l’agenda sociétal de ladite gauche, à rebours du modèle anthropologique corse, très traditionnaliste.

Simeoni incarne cette compromission. Lors de la présidentielle de 2022, il a parrainé Mélenchon, le grand mufti des Insoumis, et Yannick Jadot, le plus falot des écolos. En novembre 2022, il a même proposé d’accueillir au nom de la collectivité de Corse l’Ocean-Viking. Un symbole ? Non, un naufrage. Car le paradoxe est là, aussi flagrant que Les Habits neufs de l’empereur, aussi nu que la carte du vote indépendantiste qui recoupe presque exactement celle du vote Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Si d’ailleurs la Corse avait voté seule, elle aurait élu Le Pen. Il y a là comme une dissonance cognitive et une schizophrénie politique face auxquelles le tiers-mondisme – nécessairement immigrationniste – est désarmé. D’un côté, le nationalisme corse, imprégné de conservatisme culturel. De l’autre, l’islamisme et le wokisme, qui gangrènent aussi bien la mairie de Paris que celle de Bastia, où l’on rédige désormais les circulaires en écriture inclusive. Deux logiques inconciliables, mais qu’on continue à faire cohabiter sous une bannière vermoulue. Une absurdité qui ne tiendra pas éternellement.

L’indépendance ou l’identité

Le temps de Palatinu est venu, celui de l’ancestralité corse. Son équation est simple : où qu’on aille, il y aura toujours plus de morts que de vivants. C’est cela qui fonde le sentiment identitaire, corse ou pas corse. Le poids des siècles sur lequel repose la permanence des peuples. Or, c’est ce chaînon qui manque au nationalisme corse, happé par les mirages des luttes décoloniales. D’où ce dilemme : ou bien l’indépendance sans l’identité ou bien l’identité sans l’indépendance. Un choix qui n’a jamais été formulé en ces termes, mais qui s’impose aujourd’hui avec une clarté brutale. Palatinu, lui, a tranché. Ce sera l’identité plutôt que l’indépendance – sous-titre et cœur du livre de Battini, qui y raconte son éloignement de l’indépendantisme et son ralliement à l’autonomisme modéré au terme de sa détention, un parcours « somme toute banal parmi la race des soldats ayant perdu leurs illusions passées ».

Palatinu tire le nationalisme corse d’une double impasse. L’impasse indépendantiste et l’impasse tiers-mondiste, toutes deux incapacitantes. Car tel qu’il est conçu aujourd’hui, le nationalisme corse demande à la fois trop et pas assez. Trop : une séparation pure et simple avec la France, en l’espèce chimérique. Pas assez : un renoncement à l’identité ethnoculturelle corse, diluée dans une « communauté de destin » qui substitue le droit du sol au droit du sang (ce qui n’a pas empêché Battini d’avoir un grand-père maternel berbère). Au fond, un avenir sans la France, mais avec les immigrés. Une ritournelle déjà entendue à Barcelone, à Édimbourg et ailleurs. Car si la Corse est une colonie, alors pourquoi ne pas l’ouvrir à toute la misère du monde, au nom d’une internationale des dominés ?

La question sociale

C’est contre cet effacement que luttent Battini et Palatinu, avec le « sentiment profond d’appartenir à une communauté humaine en passe de disparaître ». Une angoisse existentielle, celle-là-même qui animait Jean Raspail, celle qui nous anime, nous Français, nous Européens.

Hantise du Corsistan et combat identitaire : sa ligne est plus proche de Reconquête ! que du Rassemblement national. Plus frontale, plus enracinée, moins électoraliste. Mais ce qui le démarque néanmoins de Reconquête !, c’est qu’il ne relègue pas la question sociale au second plan. Lecteur de Marx sans être marxiste, il sait où le matérialisme historique s’impose et où il faut le dépasser. Il cite fort à propos Napoléon : « J’écoute ce que dit le peuple avec son ventre, pas avec sa bouche. » Tout est là. L’identité ne se défend pas dans le vide, elle se défend avec un peuple debout, un peuple qui vit, qui travaille, qui se projette. Rien d’étonnant, alors, à ce que Battini se retrouve davantage dans l’œuvre de Pierre-Joseph Proudhon. Un populisme organique, charnel, hostile aux utopies désincarnées et aux abstractions universelles. Mais il doit aller au bout de cette logique, sans se laisser duper par les mirages du libéralisme, le premier et le plus destructeur des laminoirs de l’identité. Pire encore : un instrument de domination des minorités sur les majorités (là est le cœur occulté du libéralisme politique).

C’est sur ces bases que Palatinu cherche à fonder un nouveau « muvrisme », mais délesté d’un antiparlementarisme stérile, d’un fascisme d’emprunt et d’un antisémitisme d’époque. D’où une position iconoclaste, assumée jusqu’au bout : la défense d’Israël. Un choix qui peut sembler étrange, mais qui s’inscrit dans une rupture complète avec le tiers-mondisme (quitte à en prendre le contrepied, autant le prendre jusqu’au bout).

L’âme corse

C’est ainsi qu’il faut comprendre le palatinisme ou le corsisme – les deux mots se confondent. La conscience d’une totalité corse, et pas une Corse amputée de deux siècles de son histoire ni de sa profondeur millénaire. Écoutons Battini parler de l’homme corse : « Ce Latin de la Marche, ce Berbère de la chrétienté, ce descendant de fougueux condottieres qu’une terre montagneuse trop longtemps improductive et des plaines restreintes jusqu’à peu insalubres poussaient à s’enrôler au service de toutes les grandes puissances militaires et coloniales d’Occident depuis l’existence du Gaoul [nom donné aux navires phéniciens]. C’est ainsi que Palatinu lit et perçoit ce que nous sommes. »

L’auteur du Sursaut corse reprend à son compte la remarque de son compatriote Paul-François Paoli dans France-Corse, je t’aime moi non plus (2021) : être Corse, c’est un particularisme généalogique, pas quelque chose qui relève de la citoyenneté ; une filiation, pas un contrat social ; une nation, pas un État, quand bien même l’entité corse doit être pourvue d’une large autonomie lui permettant de légiférer sur son territoire, mais sans remettre en cause son appartenance à la France.

La Corse est là, pas ailleurs, pas dans les chimères d’un nationalisme dévoyé, mais au contraire dans une lente et patiente sédimentation – d’hommes, de pierres, de paysages, de langue. Un socle qui ne se décrète pas, mais se transmet. Un héritage invisible, déposé en chacun de ses fils, où les morts ressuscitent à travers les vivants. La mémoire ininterrompue, la certitude d’appartenir à une lignée, de s’inscrire dans un continuum.

Cela passe par la réappropriation de la geste corse, y compris lorsqu’elle s’est inscrite au service de la France. Jusqu’aux poilus corses, jusqu’aux héros de la Résistance, quand bien même ce n’étaient pas des nationalistes.

Cela passe aussi par la redécouverte d’un Pascal Paoli dépoussiéré, réincarné dans sa vérité guerrière. À force d’en faire une icône lisse et inoffensive, le grand homme est devenu une caricature molle, une sorte de Victor Schœlcher insulaire censé avoir libéré la Corse du joug esclavagiste français. Il en va de même pour Napoléon, relégué dans une galerie des monstres, entre Caligula et Néron, alors que Battini voit en lui l’exportateur des idées de Paoli sur le continent. Mieux, plus encore : il opère une synthèse des deux figures – Paoli et Napoléon, insurrection et empire, autonomie et grandeur. Loin des antagonismes stériles.

Les deux Corse

C’est Marion Maréchal – dont il est très proche (il suit la formation continue de l’ISSEP, cofondée par Marion) – qui lui a offert Les Deux Patries de Jean de Viguerie. Battini ne dit pas explicitement s’il adhère à la thèse de Viguerie, selon laquelle il est deux patries : celle des pères, la vraie, et celle de la Révolution, l’abstraite. Mais on devine sans peine de quel côté penche son cœur. Pas Paris. Pas le désert français. Pas la centralisation. Pas la mise au pas des provinces. Pas l’arasement des patrimoines locaux. Pas l’universalisme. C’est là que s’origine le malheur français. Avoir confondu Paris et la France, avoir pris les légistes pour des docteurs de la loi et les jacobins pour des Français, alors qu’ils n’étaient que des ingénieurs du nivellement et des géomètres de la table rase. Ce n’est pas là un simple antagonisme historique, c’est une guerre entre deux visions du monde, deux « métaphysiques ». D’un côté, la continuité organique des peuples, l’histoire charnelle, la patrie vécue. De l’autre, l’abstraction cosmopolitique, la dissolution dans l’universel, la négation des enracinements. Nicolas Battini a choisi son combat : la Corse debout, pas la Corse plaintive.

Nicolas Battini, Le Sursaut corse. L’identité plutôt que l’indépendance, L’Artilleur, 198 p., 18 €.

Première partie : Nicolas Battini, le nationalisme corse et la France (1/2)

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