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Londres louche aussi sur les minerais ukrainiens

par Mark Curtis

Il n’y a pas que Trump. Le Royaume-Uni considère aussi les minéraux critiques comme une priorité gouvernementale et souhaite ouvrir les vastes ressources de l’Ukraine aux entreprises britanniques.

Lorsque les responsables britanniques ont signé un partenariat de 100 ans avec l’Ukraine à la mi-janvier, ils ont affirmé être le «partenaire privilégié» de l’Ukraine dans le développement de la «stratégie des minéraux essentiels» du pays.

Pourtant, un mois plus tard, Donald Trump a présenté au président ukrainien Volodymr Zelensky une proposition visant à accéder aux vastes ressources minérales du pays en «compensation» du soutien américain à l’Ukraine dans la guerre contre la Russie.

Whitehall n’a guère apprécié l’ingérence de Washington.

Lorsque le ministre des Affaires étrangères David Lammy a rencontré Volodymr Zelensky à Kiev le mois dernier, il aurait soulevé la question des minéraux, «signe que le gouvernement de Starmer tient toujours à accéder aux richesses de l’Ukraine», a rapporté iPaper.

Lammy affirmait plus tôt, dans un discours prononcé l’année dernière :

«Observez le monde. Les pays se battent pour accéder aux minéraux rares, tout comme les grandes puissances se sont autrefois disputées le contrôle du pétrole».

Le ministre britannique des Affaires étrangères avait raison, mais la Grande-Bretagne est l’une de ces puissances, et l’Ukraine l’un des principaux pays que les responsables britanniques – ainsi que l’administration Trump – envisagent de contrôler.

La raison en est évidente. L’Ukraine compte environ 20 000 gisements de minéraux couvrant 116 types de ressources telles que le béryllium, le manganèse, le gallium, l’uranium, le zirconium, les métaux rares et le nickel.

Le pays, dont l’économie a été dévastée par la guerre, possède également l’une des plus grandes réserves de graphite au monde, les plus grandes réserves de titane d’Europe et un tiers des gisements de lithium du continent.

Ces ressources jouent un rôle clé dans des secteurs tels que la production militaire, la technologie de pointe, l’aérospatiale et les énergies vertes.

Ces dernières années, le gouvernement ukrainien a cherché à attirer les investissements étrangers pour développer ses ressources minérales stratégiques, a signé des partenariats et organisé des forums d’investissement pour présenter ses opportunités minières.

Le pays a également commencé à mettre aux enchères des permis d’exploration pour des minéraux tels que le lithium, le cuivre, le cobalt et le nickel, offrant ainsi des opportunités d’investissement lucratives.

Les médias répètent en boucle que l’engagement du gouvernement britannique en Ukraine consiste à résister à l’agression. Mais Whitehall a, ces dernières années, redoublé d’intérêt pour l’accès aux minéraux rares dans le monde, notamment en Ukraine.

«Les métaux rares ont la cote»

Nusrat Ghani, ministre du Commerce du gouvernement de Rishi Sunak, a tenu au moins 10 réunions consacrées aux ressources et minerais stratégiques en 2023 et au premier semestre 2024, selon les dernières statistiques gouvernementales.

Parmi les entreprises contactées, on retrouve les géants miniers britanniques Rio Tinto et Anglo American, le groupe d’armement BAE Systems et le lobbyiste militaire aérospatial ADS.

On ne sait pas si l’Ukraine a fait l’objet de ces discussions, mais une autre entreprise de premier plan rencontrée par Ghani pour discuter des «filières d’approvisionnement en minerais» était Rothschild, qui détient des intérêts importants en Ukraine.

Ghani s’est entretenue avec le cabinet de conseil international basé à Paris en avril 2023, tandis que son successeur Alan Mak a fait de même l’année suivante, en mai. Mak a rencontré l’entreprise «pour discuter de l’activité de Rothschild dans le domaine des minerais rares» selon les données.

La société a été invitée à la Conférence sur la reprise de l’Ukraine de 2023 qui s’est tenue à Londres et est membre du Partenariat financier Royaume-Uni-Ukraine. Elle est également le principal conseiller du ministère ukrainien des Finances depuis 2017.

Rothschilds, dont le conseil d’administration compte l’ancien conseiller britannique à la Sécurité nationale Lord Mark Sedwill, a investi pas moins de 53 milliards de dollars en Ukraine.

«Partenariat anglo-ukrainien»

Dans un article récemment publié dans Unherd, le chercheur Sang-Haw Lee cite les propos d’un haut responsable travailliste selon lesquels le Royaume-Uni a mené des négociations approfondies tout au long de l’année dernière pour obtenir un accès exclusif aux ressources minières ukrainiennes, mais qu’il n’a pas reçu le soutien adéquat du gouvernement.

D’autres réunions ont été rendues publiques. En avril dernier, deux éminents parlementaires britanniques ont rencontré à Londres l’une des plus grandes sociétés d’investissement minier d’Ukraine pour discuter d’un «partenariat anglo-ukrainien dans le domaine de l’extraction de minéraux critiques».

BGV Group, qui a investi 100 millions de dollars dans des projets miniers ukrainiens, s’est entretenu avec Lord Martin Callanan, alors ministre de l’Énergie, et Bob Seely, alors député conservateur siégeant à la commission des affaires étrangères du Parlement.

La société recherche des investisseurs pour ses activités liées au graphite et au béryllium et a déclaré dans un communiqué de presse que «l’Ukraine possède tous les atouts pour devenir l’un des principaux fournisseurs de la Grande-Bretagne en minéraux essentiels aux technologies de pointe et à la transition vers les énergies vertes».

«En tant qu’allié européen de l’Ukraine, le Royaume-Uni pourrait tirer parti de sa position forte au sein de l’OTAN pour aider à sécuriser les sites miniers et les réseaux logistiques», écrit Andriy Dovbenko, fondateur de UK-Ukraine TechExchange.

«D’immenses ressources»

Le Ukraine Business Guide du gouvernement britannique note que «l’Ukraine dispose de formidables ressources» et «d’une abondante réserve de minerais de fer, de manganèse, de charbon et de titane».

S’assurer l’accès aux minerais rares a certainement été une priorité majeure à Whitehall au cours des trois dernières années.

Le Royaume-Uni a élaboré sa toute première stratégie sur les minéraux critiques en 2022 et l’a actualisée l’année suivante. Elle identifie les 18 minéraux «hautement prioritaires» pour le Royaume-Uni, dont plusieurs en Ukraine, tels que le graphite, le lithium et les métaux rares.

La stratégie du Royaume-Uni vise, entre autres, à «soutenir les entreprises britanniques pour favoriser leur implantation à l’étranger» via les filières d’approvisionnement de ces minéraux et à «promouvoir Londres comme la capitale mondiale de la finance responsable pour les minéraux rares».

Dans le cadre de sa stratégie relative à ces minéraux, le gouvernement a mis en place un groupe de travail, appelé Task & Finish, chargé d’analyser les risques pour l’industrie britannique, et composé de représentants de BAE, Rio Tinto et ADS. Le groupe souligne que le titane, les métaux rares, le cobalt et le gallium comptent parmi les minéraux présentant un risque d’approvisionnement pour le secteur militaire britannique.

Le Royaume-Uni a également lancé le Critical Mineral Intelligence Centre et créé un comité d’experts sur les minéraux rares chargé de conseiller le gouvernement.

Un rapport de la commission des affaires étrangères sur les métaux rares publié en décembre 2023 a conclu que «le Royaume-Uni ne peut se permettre la moindre vulnérabilité dans des secteurs d’approvisionnement d’une telle importance stratégique».

Signe révélateur des préoccupations du gouvernement, ce dernier a déclaré qu’il «veillera à ce que la question des terres rares soit intégrée» dans les accords de libre-échange qu’il négocie avec plusieurs pays.

«Structures régulatrices»

Accéder aux ressources minérales à l’étranger dépend souvent de l’assouplissement des réglementations gouvernementales pour favoriser les accords favorables aux entreprises étrangères.

La déclaration de partenariat, d’une durée de 100 ans, engage le Royaume-Uni et l’Ukraine à «soutenir le développement d’une stratégie ukrainienne en matière de minéraux rares et des infrastructures réglementaires nécessaires pour maximiser les bénéfices tirés des ressources naturelles de l’Ukraine, par la création éventuelle d’un groupe de travail conjoint».

L’objectif principal du partenariat est de «favoriser un environnement plus propice aux investissements du secteur privé dans la transition vers les énergies propres» et «d’attirer les investissements des entreprises britanniques dans le développement des énergies renouvelables».

Plus généralement, les deux partenaires «travailleront ensemble pour stimuler et moderniser l’économie ukrainienne en accélérant les réformes destinées à attirer les financements privés» et «renforcer la confiance des investisseurs».

Comme Declassified l’a récemment montré, l’aide britannique à l’Ukraine est axée sur le soutien à ces réformes favorables au secteur privé et sur la pression exercée sur le gouvernement de Kiev pour qu’il ouvre son économie aux investisseurs étrangers.

Les documents du ministère des Affaires étrangères relatifs à son projet phare d’aide à l’Ukraine, en faveur de la privatisation, notent que la guerre offre à l’Ukraine des «opportunités» pour mener à bien «des réformes capitales».

Le Royaume-Uni soutient un projet intitulé SOERA (State-owned enterprises reform activity in Ukraine), financé par l’USAID, avec le ministère britannique des Affaires étrangères comme partenaire secondaire.

Le SOERA s’efforce de «faire progresser la privatisation de certaines entreprises publiques et de développer un modèle de gestion stratégique pour les entreprises publiques conservées par l’État».

Des documents britanniques indiquent que le programme a déjà «jeté les bases» de la privatisation, dont l’un des éléments clés est la modification de la législation ukrainienne.

«Le SOERA a travaillé main dans la main avec le gouvernement ukrainien et a proposé 25 textes de loi, dont 13 ont été adoptés et mis en œuvre», indiquent les documents les plus récents.

«Rivalités géostratégiques»

La politique étrangère et les guerres du Royaume-Uni s’expliquent en grande partie par l’intérêt de Whitehall à faire main basse sur les ressources de pays étrangers.

L’invasion de l’Irak en 2003 a été essentiellement motivée par le pétrole, tandis que la guerre brutale menée par le Royaume-Uni en Malaisie dans les années 1950 avait pour principal enjeu le caoutchouc. Le soutien de la Grande-Bretagne à l’Afrique du Sud de l’apartheid ne se justifie que par l’intérêt du Royaume-Uni à l’accès aux immenses ressources minérales de l’Afrique du Sud.

Mais la principale préoccupation concerne désormais la Chine, plus grand producteur de 12 des 18 minéraux considérés comme cruciaux par le Royaume-Uni.

Les principales prévisions géopolitiques du ministère de la Défense, ses «Global Strategic Trends», publiées l’année dernière, mentionnent à 57 reprises les minéraux, notant qu’ils «prendront une importance géopolitique croissante» et pourraient mener à «de nouvelles rivalités et tensions géostratégiques».

La stratégie internationale de Whitehall sur les ressources, et sa ruée vers celles de l’Ukraine, vont façonner la politique étrangère du Royaume-Uni et contribuer aux conflits internationaux futurs.

source : Declassified UK via Spirit of Free Speech

https://reseauinternational.net/londres-louche-aussi-sur-les-minerais-ukrainiens/

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