Depuis le 2 avril et la première annonce de sa politique protectionniste par Donald Trump, la division s’est installée partout et chaque jour apporte une nouvelle contradiction. Les nations alliées de l’Amérique, pénalisées au départ, en viennent à douter de plus en plus des engagements transatlantiques sur la base desquels sont fondées, depuis 1949, leurs politiques de défense. Dans un pays comme la Pologne, à environ 5 semaines de l’élection présidentielle, la question des troupes américaines fait désormais partie intégrante du débat politique intérieur.
Mais, bien plus encore, c’est au sein du camp trumpiste et du parti républicain que les fractures les plus spectaculaires apparaissent. Les géants de la tech, qui avaient soutenu en 2024 la campagne du président et de son parti protestent : « nous n’avons pas voté pour ça ». Elon Musk met directement en cause l’économiste Peter Navarro, produit de Harvard, conseiller au commerce et à l’industrie du président. Théoricien et architecte de droits de douane présentés pour « réciproques », calculés sur la base des déficits commerciaux américains sur la balance des marchandises, il est traité de « crétin » par le patron de Tesla. Mais il relativise : « On m’a déjà appelé bien pire », observe-t-il tout en faisant, quant à lui, l’apologie du nettoyage budgétaire des dépenses inutiles, opéré par son contradicteur.
La guerre commerciale engagée le 2 avril se présente en effet d’une manière toute différente de toutes celles qui l’ont précédée.
Ce n’est pas par hasard, d’abord, si les premières annonces de Donald Trump menaçant la planète entière de droits de douane massifs, suivies quelques jours plus tard d’une décision de « trève » de 90 jours, sauf pour la Chine, ont surpris les observateurs. En effet rien de tel ne s'était jamais produit auparavant. Dans sa chronique Stratégies publiée par le New York Times le 6 avril, Jeff Sommer le démontre à partir des travaux de l’historien Douglas Irwin.
La guerre civile américaine et la première guerre mondiale avaient conduit à la hausse des tarifs douaniers. Or, ceux-ci avaient été adoptés par le Congrès après de longs débats. De nouvelles augmentations sont apparues dans les années 1930, principalement pour des raisons nationales, afin de protéger l’industrie locale, sans trop se soucier des conséquences mondiales. Mais depuis cette époque au contraire, la tendance à la baisse des barrières tarifaires et non-tarifaires avait prévalu. Elles ont commencé à baisser sous la présidence de Franklin Roosevelt puis, à partir du GATT de 1947, puis de la création de l’OMC en janvier 1995, à quelques exceptions près, il a semblé constant que l’Amérique maintenait une ligne favorable au libre-échange, sachant que ses déficits, relatifs aux biens importés massivement, ont été longtemps compensés par la balance des invisibles, en particulier les échanges de services. Et si la Chine dégage de considérables excédents, on ne doit pas perdre de vue qu’ils bénéficient largement à la grande distribution américaine, à des firmes comme Walmart, premier groupe mondial, pesant quelque 600 milliards de dollars de chiffre d’affaires, misant sur l’international depuis 1991. Plus spectaculaire encore, le cas de Apple dont 80 % des produits sont fabriqués dans l’Empire du Milieu. Après une chute vertigineuse à la bourse de New York, il fut d’abord annoncé, le 11 avril, que les smartphones et les ordinateurs seraient retirés la liste des produits soumis aux droits de douane de 145 % imposés par les États-Unis à la Chine. Mais ils ne seront pas « exemptés » de taxes, et le 14 avril Donald Trump annonçait sur son réseau Truth Social que les produits high-tech seraient désormais taxés au taux de 20 %.
Ce grand désordre et ces revirements ont donc de quoi inquiéter légitimement les esprits les mieux disposés.
En particulier les constitutionnalistes s’interrogent
Le président américain a certes toujours disposé de pouvoirs considérables, notamment celui qui lui permet de gouverner par décret (« executive orders »). Cette pratique a toujours existé, et ceci dès la présidence de George Washington, mais elle n’a été vraiment réglementée par la Cour suprême que depuis 1952. Or, de tels décrets n’ont force de loi que s’ils s’appuient sur des textes votés par le Congrès.
Jusqu’ici, par conséquent, les présidents se savaient encadrés par des lois, des usages et des traditions politiques.
Donald Trump semble ne tenir compte d’aucune de ces restrictions, semblant lui-même seulement guidé par ce que son humeur et son inspiration personnelles lui inspirent dans chaque cas.
Jamais jusqu’ici un président américain n’avait édicté lui-même, depuis le Bureau Ovale, des tarifs douaniers avant de les retirer, puis de les augmenter et, enfin de les geler. On comprend donc l’inquiétude des observateurs, eu égard aux conséquences multiples de cette séquence.
Parmi les nombreuses protestations retenons celle de Don Bacon représentant républicain, élu du Nebraska. Selon lui, les droits de douane de 20 % imposés à l'UE sont une nouvelle preuve que l'administration Trump a « clairement de l'animosité envers l'Europe » : «L'administration Trump traite mal nos alliés, mais prend des gants avec Poutine».
À l’international, outre la volonté de négocier manifestée par l’Union européenne, et celle du Japon, on notera qu’à Londres, pourtant épargnée par les menaces de taxes les milieux financiers critiquent vertement la brutalité et la versatilité des annonces du partenaire d’outre Atlantique.
Quant à la Chine, elle a clairement manifesté son intention de ne pas céder. Ses colossales réserves en dollars sont contrôlées par l’Eximbank de Pékin, elle-même dirigée par le parti communiste chinois. Goldman Sachs évalue qu’un « découplage extrême » entre les États-Unis et la Chine pourrait coûter 2 500 milliards de dollars en ventes d'actions et d'obligations.
En 1803 le lieutenant anglais Shrapnel mettait au point un « obus à balles » qui porte son nom. Cette invention, qui fera notamment des ravages pendant la première guerre mondiale, ne lui valut le grade de général qu’en 1837.
Cette bombe à fragmentation d’un genre nouveau lancée le 2 avril par la libération de Donald Trump risque hélas aussi de faire des dégâts. Mais pour l’instant, elle a surtout valu à son inventeur Peter Navarro, économiste estampillé de Harvard, qualifié de crétin par Elon Musk, de fragmenter le camp présidentiel…
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2025/04/bombe-%C3%A0-fragmentation.html