L’éditorial de François Marcilhac
C’est en pleine joie pascale que les catholiques du monde entier ont appris le décès du pape François, au lendemain de ce qui aura été sa dernière bénédiction Urbi et Orbi — qu’il n’a pas eu la force de prononcer lui-même. L’Action française est un mouvement politique et non confessionnel : son l’objectif est d’instaurer un « compromis laïc » (Maurras) entre les Français, dont notre pays a d’autant plus besoin aujourd’hui que les facteurs de division s’accroissent et s’aggravent.
Pour une sainte laïcité
Mais l’AF sait aussi combien le catholicisme est intrinsèquement lié à l’identité de notre nation. Et notre Prince, avec raison, aime à rappeler que c’est dans un même mouvement qu’il pense en prince chrétien et agit en prince français. C’est pourquoi l’AF s’est évidemment associée, indépendamment de la foi personnelle de ses militants ou des lecteurs du Bien commun, à l’émotion dont le comte de Paris a fait part dans son communiqué. L’action de François, « pontife de conviction et de courage », pour reprendre les mots du Prince, n’aura pas été sans susciter divisions et étonnements parmi les catholiques eux-mêmes, alors qu’elle semblait parfois être mieux reçue du monde extérieur à l’Église. Nous avons pu critiquer, parfois sévèrement, ses prises de position, notamment à la suite des propos qu’il avait tenus à Marseille sur l’immigration. Mais ces critiques, formulées dans le respect dû à sa personne et à sa fonction éminente, n’ont jamais visé que ses propos politiques, où la matière de la foi n’était pas engagée — d’autant que François n’a rien lâché sur le respect de la vie, de la conception à la mort naturelle. La distinction de Dieu et de César, base d’une saine laïcité — en ce sens où la laïcité est et doit rester une notion chrétienne et ne pas dériver en un laïcisme hostile à la religion — fut toujours au fondement de notre monarchie royale. Si le roi se déclarait « empereur en son royaume », c’était pour écarter les empiètements politiques tant de l’empereur germanique que de la papauté. Aujourd’hui, où malheureusement nous vivons dans une République qui s’est construite en hostilité au catholicisme, il n’en reste pas moins que les patriotes doivent rester vigilants et refuser que des injonctions, même venues de haut, même prononcées avec la meilleure intention du monde, à partir du moment où elles empiètent sur le domaine politique propre au gouvernement des nations, viennent affaiblir leur essentielle souveraineté. Comme l’a rappelé maintes fois Jean-Paul II, l’existence des nations fait partie pour un catholique du plan de Dieu : le patriotisme relève du quatrième commandement.
Un catholicisme bien vivant
Les polémiques, encore récentes avec l’administration Trump, suscitées par les prises de position de François, montrent également que la parole papale est toujours aussi écoutée de par le monde. L’Iran chiite a été un des premiers pays à réagir à l’annonce de la mort du pape. Et des représentants du monde entier auront assisté à ses funérailles. Oui, le catholicisme est bien vivant ! Tous ceux qui, s’aidant d’études sociologiques biaisées et gallocentrées, parient pour un « désenchantement » du monde, semblent avoir pris leur désir pour la réalité. Certes, un « occident » consumériste et individualiste semble tourner le dos à la foi chrétienne : comment en serait-il autrement ? Mais il serait temps que l’« Occident » cesse de se croire le nombril du monde. Sur un autre plan, la guerre en Ukraine ou le soutien indéfectible à lsraël ne révèlent-ils pas que le « reste du monde » est de moins en moins disposé à le suivre ? Et que des prêtres africains viennent aujourd’hui évangéliser nos paroisses ne doit attrister les fidèles que dans la mesure où cela signifie que nos pays ne forment plus de prêtres en nombre suffisant. En revanche, comment mieux prouver que l’Eglise, selon le mot de Maurras, est « la seule internationale qui tienne » ? De plus, tous ceux qui mettent en avant un quelconque sens de l’histoire présidant à la disparition du christianisme doivent réfléchir à l’essor du catholicisme dans le monde et, s’agissant de la France, que la République s’est employé méthodiquement à déchristianiser, à l’augmentation du nombre de baptêmes d’adultes et d’adolescents dans la nuit de Pâques en 2025 : 17 000. Rien ne permet de dire que cette dynamique se poursuivra. Mais il est toutefois un peu tôt pour enterrer le catholicisme, y compris dans notre République « laïque », ou plutôt laïciste. Le sens de l’histoire n’existe pas. Et s’il est une sottise absolue en politique, en matière de foi le désespoir, pour un catholique, est un péché, voire le péché.
L’Action française et la religion catholique
Et puisque l’attitude de Maurras et de l’Action française vis-à-vis de l’Eglise catholique est souvent calomniée, que la mort du pape soit aussi pour nous l’occasion de rappeler que nous n’avons jamais conçu l’« Église de l’ordre », saluée par Maurras, au sens étroitement policier de « contrôle social ». Comme il le précise dès l’introduction de son Bienheureux Pie X : « Notre ordre n’était pas seulement forain [extérieur], ne ressemblait en rien à celui dont les Russes avaient déjà couronné Varsovie ». Ce que souhaitait Maurras et ce que l’AF souhaite toujours, c’est rejoindre par une autre voie, laïque, à coup sûr — tel est le sens du « compromis laïc » —, l’anthropologie enseignée par l’Église, de la conception de l’homme lui-même à celle du peuple ou de la nation, autrement dit la définition pérenne de la société. Une voie qui est, en bonne théologie, celle de la lumière naturelle : tel est le sens non instrumental de l’Église de l’ordre chez Maurras.
Du reste, Maurras met les choses au point dès le début de son livre Le Dilemme de Marc Sangnier : « On se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d’une sourde tendresse et d’une profonde affection. — C’est de la politique, dit-on souvent. Et l’on ajoute : — Simple goût de l’autorité ». Ou encore : « “Vous aimez ce gouvernement fort.” Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l’on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu’on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s’élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l’Église de Rome. […] C’est à la notion la plus générale de l’ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors. […] La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l’incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir ».
Voilà qui est rappelé. Mais la fonction essentielle d’une conception catholique de la société va encore plus loin. Dans Mes Idées politiques, Maurras, qui vise évidemment la conception utilitariste de la religion qui était celle de Voltaire, ajoute : « Celui qui a dit qu’il fallait une religion pour le peuple a dit une épaisse sottise ». Et de préciser : « Il faut une religion, il faut une éducation, il faut un jeu de freins puissants pour les meneurs du peuple, pour ses conseillers, pour ses chefs, en raison même du rôle de direction et de réfrènement qu’ils sont appelés à tenir auprès de lui : si les fureurs de la bête humaine sont à craindre pour tous, il convient de les redouter à proportion que la bête jouira de pouvoirs plus forts et pourra ravager un champ d’action plus étendu ». Ainsi, loin d’être pour le peuple, l’Église comme temple des définitions du devoir est avant tout pour les dirigeants et, évidemment, dans l’esprit de Maurras, pour le premier d’entre eux : le Roi. Malheureusement, ceux qui, dans notre République, font la bête en contrefaisant le roi, se sont affranchis de ces freins puissants, alors même qu’ils disposent de pouvoirs que nos rois n’ont jamais eus. D’où le délitement de notre société, la destruction de notre cité. Aussi, espérons et agissons !
https://www.actionfrancaise.net/2025/05/02/leditorial-de-francois-marcilhac-85/