Les derniers développements socio-politiques et de sécurité suggèrent que ce pays se délecte de constituer un État positionné en première ligne.
L’Estonie s’est catapultée au sommet des gros titres internationaux en s’emparant il y a peu d’un navire appartenant supposément à la « flotte fantôme » russe — la Russie n’a présenté qu’une réaction limitée pour les raisons pragmatiques expliquées ici — mais elle a également cherché des noises à la Russie par d’autres moyens. La provocation susmentionnée coïncide avec l’adoption d’une loi autorisant l’Estonie à couler des navires étrangers dont elle estime qu’ils constituent une menace envers sa sécurité nationale. Il est possible que ce type d’événements corresponde à la prochaine escalade régionale prévue sur l’agenda.
Sur le front de la sécurité, l’Estonie veut également, à ce qui se dit, déployer une partie de son armée en Ukraine dans le cadre d’une mission de maintien de la paix codirigée par la France et le Royaume-Uni. En outre, la probabilité existe toujours que le Royaume-Uni décide de transformer sa présence tournante d’environ 1000 soldats en Estonie en dispositif permanent. Cela en ferait le troisième pays membre de l’OTAN à agir ainsi dans la région après les États-Unis (en Pologne et en Roumanie) et l’Allemagne (en Lituanie). Cela pourrait être vendu comme une protection contre le retrait de certaines troupes étasuniennes.
La situation intérieure de l’Estonie est de plus en plus tendue par suite de trois développements interconnectés. Le premier a trait à la dernière loi en date refusant le droit de vote aux élections locales aux étrangers, qui concerne les 22,5 % de Russes vivant dans le pays et ne répondant pas aux critères de citoyenneté de l’après-indépendance, et restent donc légalement considérés comme des « apatrides ». L’Estonie les considère comme des descendants d’« occupants soviétiques », et c’est sur ce fondement qu’elle limite leurs droits.
Pour poursuivre sur ce dernier sujet et les perceptions historiques, l’Estonie poursuit également sa campagne lancée depuis longtemps visant à démanteler les monuments soviétiques ayant trait à la seconde guerre mondiale, que l’État considère comme des symboles de l’occupation soviétiques. La Russie considère de son côté que ces actions s’apparentent à du révisionnisme historique. En lien avec cela, le lecteur devrait savoir que la Russie accuse depuis longtemps l’Estonie de glorifier des collaborateurs nazis, avec, pour exemple le plus frappant, les défilés annuels organisés en honneur aux SS.
Comme si tout cela n’était pas déjà assez provoquant, l’Estonie vient d’adopter une loi exigeant de l’Église orthodoxe estonienne qu’elle rompe ses liens canoniques avec l’Église orthodoxe russe. Maria Zakharov, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, a réagi au travers de cette dénonciation « la destruction systématique des droits et libertés humains fondamentaux se poursuit sous couvert de slogans soi-disant démocratiques tirés par les cheveux. Une fois de plus, un coup a été porté dans l’un des domaines les plus sensibles — les droits et libertés religieux. »
L’Estonie est en mesure de menacer les intérêts russes, directs ou indirects, en lien avec la sécurité et les droits des Russes ethniques vivant dans ce pays, et elle peut le faire avec impunité au vu de son appartenance à l’OTAN. Les seuls scénarios réalistes au travers desquels la Russie pourrait décider d’utiliser son armée impliqueraient une participation de l’Estonie à un blocus du Golfe de Finlande, une utilisation de la force contre des navires russes (militaires ou civils sous pavillon russe), ou des attaques contre la « Ligne de Défense Baltique« que la Russie édifie à sa frontière.
Tant que l’Estonie maintiendra ses provocations en dessous de ces seuils, le risque d’éclatement d’une guerre majeure restera peu élevé, mais les tensions bilatérales vont s’empirer ainsi que celles qui opposent la Russie et les membres européens de l’OTAN. Cela pourrait faire de l’Estonie le prochain nœud à problèmes, et accélérer la militarisation de la Mer Baltique et de la région Arctique proche, ainsi sans doute que la frontière russo-finnoise. Les tensions entre la Russie et l’UE pourraient alors persister indéfiniment même si les relations russo-étasuniennes s’améliorent à l’avenir.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
https://lesakerfrancophone.fr/lestonie-pourrait-devenir-le-prochain-noeud-a-problemes-de-leurope