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culture et histoire - Page 1304

  • Roger Koeppel: «Hitler, Staline, la crise ukrainienne et la Suisse…»

    La crise ukrainienne envenimée par des perceptions historiques erronées.
    Une opportunité pour la Suisse.

    De Roger Köppel

    Ex: http://www.lesobservateurs.ch

    Le président russe Poutine reste le méchant en Occident. Bien qu'actuellement la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, tentent une initiative de paix, il reste toutefois clair, selon la vision occidentale, que l'homme de Moscou porte la responsabilité principale du désastre dans une Ukraine déchirée.

    J'ai eu l'occasion, voilà quelques mois, de parler de Poutine avec de hauts représentants du gouvernement allemand lors d'un dîner à Berlin. J'ai été effaré par le ton guerrier intransigeant et l'aversion extrêmement dure vis-à-vis du Kremlin. Bien entendu, ces attaques verbales étaient quelque peu en décalage avec la réalité parce que les Allemands n'auraient ni les moyens militaires ni la volonté militaire de mettre leur hostilité à l'épreuve. Tout cela n’est donc pas allé au-delà d’une exaspération sonnant étrangement exagérée, à la limite de l'hystérie.

    J'ai essayé de détendre l'atmosphère par une objection apparemment raisonnable, déclarant que les Allemands n'ont, à vrai dire, aucun intérêt à s'aliéner les Russes. Les Russes, quant à eux, sont tributaires du savoir-faire industriel allemand et, qui plus est, les Allemands ont également très bien collaboré pendant des siècles avec les Russes, des personnalités allemandes de premier plan ayant même régulièrement aidé les Russes au cours de leur histoire à civiliser leur pays.

    J'avais visiblement commis un impair. Tout à coup, les visages de mes amis allemands se sont assombris, les fentes des yeux se sont transformées en meurtrières. Un ministre m'a lancé que les Allemands ne pourraient jamais parvenir actuellement à un accord avec Poutine. C'était exclu, impossible, absolument impensable. Ce serait une répétition du pacte diabolique qui avait été conclu avant le début de la Seconde Guerre mondiale par Hitler et Staline, l'infâme pacte de non-agression, qui a eu pour conséquence la destruction de la Pologne. Rien que ce poids de l'histoire empêcherait la chancelière de faire un pas vers les Russes. Poutine souhaite revenir à l'Union soviétique, l'Allemagne doit s'y opposer.

    Brusquement, j'ai réalisé que la Seconde Guerre mondiale n'était toujours pas terminée dans l'esprit de ces hommes politiques. Le traumatisme persiste. L'Allemagne reste prise au piège de ses expériences historiques qu'elle revit sans cesse mentalement pour absolument éviter de les répéter.

    Tout cela est noble, compréhensible. Reste que les analogies historiques peuvent induire en erreur. Le «pacte de non-agression germano-soviétique» du 24 août 1939 entre Hitler et Staline a signifié une trêve temporaire conclue entre deux grands criminels, qui se sont mis d'accord pour reporter de quelques années leur massacre réciproque afin de leur permettre auparavant d'amasser encore un lourd butin. Ce n'était pas une entente pacifique entre des hommes d'État rationnels, mais une sorte d'opération à terme de destruction entre des ennemis mortels qui permettait à chacun de parier secrètement sur le fait qu'il serait bientôt assez fort pour rayer l'autre de la carte. Rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine.

    Poutine n'est pas Staline et encore moins Hitler, bien que certains analystes imprudents aient déjà mis cette absurdité sur le tapis. Poutine dirige une ancienne superpuissance qui a dû supporter, durant les vingt dernières années, de voir ses frontières repoussées d'ouest en est d'environ deux mille kilomètres. Les Russes ont laissé l'Allemagne se réunifier pacifiquement et leurs anciennes républiques soviétiques passer aujourd'hui en grande partie dans l'alliance de défense occidentale, l'OTAN.

    Mais, comme si cela ne suffisait pas, l'Occident, enivré par l'élargissement à l'Est de l'UE et de l'OTAN, a commencé imprudemment à attirer l'Ukraine dans ses filets, en lui faisant miroiter des alliances et de l'aide économique. Lorsque l'ancien président élu, Victor Ianoukovitch, a été inconstitutionnellement chassé de ses fonctions en février 2014, sans la majorité requise, les politiciens occidentaux formaient une haie sur la place Maïdan. Imaginons ce qui se passerait à Washington si les Russes venaient présenter leurs hommages à un soulèvement populaire au Mexique. Le conflit ukrainien s'est au moins autant imposé à Poutine que l'inverse.

    L'histoire peut rendre sage, mais aussi aveugle. Les schémas de la guerre froide et de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas adaptés pour évaluer la situation en Ukraine. Ces modèles ne font qu'accentuer les divisions et menacent de détruire complètement la confiance. Malheureusement, toutes les parties sont actuellement un peu aveuglées par l'histoire et elles semblent toutes même avoir de bonnes raisons à cela.

    Les Allemands restent comme pétrifiés par Hitler et estiment voir une répétition de la situation avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Les Américains croient voir en Poutine une réincarnation de l'expansionnisme soviétique. Les Russes, pour leur part, qui ont payé par des millions de victimes les agressions de Napoléon et des nazis, se défendent contre des peurs ancestrales d'étranglement. La paranoïa des uns attise le délire de persécution des autres. L'histoire mondiale est une chronique des malentendus.

    C'est peut-être en cela que réside, précisément aujourd'hui, une valeur particulière de la Suisse qui n'est pas hantée par les démons de l'histoire et très appréciée comme interlocuteur neutre et raisonnable. Notre pays peut-il contribuer à la dédiabolisation et à un rapprochement? Nous ne devrions en aucun cas nous laisser entraîner sous le feu croisé et dans une querelle sous-tendue par des analogies historiques erronées. La Suisse entretient une relation amicale, équidistante, aussi bien avec la Russie qu’avec l'Europe.

    Auteur et source : Roger Koeppel, Editorial, Die Weltwoche, 13 août 2015

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • « Aristote au mont Saint-Michel : Les racines grecques de l’Europe chrétienne » de Sylvain Gouguenheim

    L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, divisé en cinq chapitres, aborde dans l’introduction la question de la situation respective de l’Orient et de l’Occident. Il fait le point sur la survivance de la Grèce dans le vaste empire romain, devenu chrétien byzantin, où les Chrétiens s’étaient divisés en plusieurs Eglises, Nestoriens en Perse de langue syriaque, Jacobites en Syrie de langue syriaque, Melkites en Egypte et Syrie de langue grecque, Coptes en Egypte de langue issue de l’ancien parler pharaonique.

    Quant au monde oriental, l’hellénisme prit sa source dans l’Antiquité tardive, les auteurs néoplatoniciens plutôt que par la redécouverte du classicisme athénien. Ensuite sont passées en revue les deux opinions courantes, admises de nos jours bien que contradictoires :

    1° procédant d’une confusion entre les notions d’« arabe » et de « musulman », la dette grecque de l’Europe envers le monde arabo-musulman aurait repris le savoir grec et, le transmettant à l’Occident, aurait provoqué le réveil culturel de l’Europe ;

    2° procédant toujours de la même confusion, les Musulmans de l’époque abbasside (l’«Islam des lumières »), dans leur fébrilité pour la recherche, auraient découvert l’ensemble de la pensée grecque qu’ils auraient traduite en arabe, avant de la transmettre à l’Europe par le truchement de l’Espagne par eux occupée puis libérée. Parallèlement, la Chrétienté médiévale serait demeurée en retard, plongée dans un âge d’obscurantisme.

    Byzance, réservoir du savoir grec

    Or Byzance, la grande oubliée des historiens de l’héritage européen, fut le réservoir du savoir grec, qu’elle diffusa dans toutes ses possessions italiennes comme à Rome où la connaissance de la langue grecque n’avait jamais disparu.

    Dans un premier chapitre, l’auteur étudie la permanence de la culture grecque, relayée à ses débuts par le Christianisme d’expression grecque (Evangiles et premiers textes). En outre, dès le Ve siècle, Byzance connut une grande vague de traductions du grec en syriaque, opérées par les Chrétiens orientaux, faisant coexister la foi au Christ et la paideia antique, véhiculée ensuite par des auteurs tels que Martianus Capella et Macrobe, comme l’a fort bien démontré A. Vernet, par les traductions et commentaires de Platon, composés par Calcidius (cosmologie) dès les années 400, et d’Aristote, composés par Boèce (logique et musique). La pensée grecque est aussi présente chez les Pères, chez les prélats d’Italie du sud, grands intellectuels, importée aussi par les Grecs syriaques chassés d’Orient par l’iconoclasme byzantin et par la conquête arabe, pour ne parler que des manuscrits apportés d’Orient en Sicile (Strabon, Don Cassius…), comme le démontrent les travaux de J. Irigoin : autant de régions de peuplement et de culture grecque, noyaux de diffusion à travers toute l’Europe.

    • La conquête musulmane de la Sicile (827) porta un coup dur à ce mouvement : monastères et bibliothèques incendiés ou détruits, habitants déportés en esclavage, dont les rescapés vont en Campanie ou dans le Latium pour y fonder des abbayes (Grotta Ferrata). Les reconquêtes byzantines puis normandes restaureront la tradition hellénique.

    • A Rome, qui avait connu une forte immigration de Grecs et de Levantins fuyant les persécutions perses et arabes, tous les papes, entre 685 et 752, seront grecs ou syriaques, et fonderont des monastères grecs. Pendant des siècles des artistes byzantins (fondeurs de bronze, mosaïstes) viennent en Italie, appelés par de grands prélats, pour orner cathédrales et abbatiales. En Germanie, la cour de l’empereur Otton II, époux de Théophano, ouvre une période de renaissance de la langue et de la culture grecques. Puis son fils Otton III attirera beaucoup de Grecs venus d’Italie du sud, qui occuperont des sièges importants dans l’Empire et l’Eglise (dont l’un des plus célèbres est Rathier de Vérone), y apportant souvent des textes de mathématique et d’astronomie : parmi eux Siméon l’Achéen, militaire byzantin, qui combattit aux côtés de Guillaume le Libérateur à La Garde-Freinet, libérant ainsi définitivement la Provence de l’invasion musulmane. Les élites du Maghreb, juifs et chrétiens, s’enfuient et se réfugient en Espagne.

    • En France , les contacts entre Francs et Byzantins s’intensifient avec Pépin le Bref. Les Carolingiens reçoivent des manuscrits d’Aristote et de Denys l’Aréopagite. Leur entourage compte nombre d’hellénistes. Charlemagne lui-même comprenait le grec. Sous Louis le Pieux deux ambassades byzantines (824 et 827) apportent le corpus du Pseudo-Denys, que traduisit l’abbé de Saint-Denis, Hilduin, même si cette traduction passe pour avoir été fort médiocre ; traduction que l’empereur Charles le Chauve devra charger le savant helléniste Jean Scot Erigène, auteur lui-même de poèmes en grec, de réélaborer

    Les centres de diffusion de la culture grecque en Europe

    L’exposé sur les centres de diffusion de la culture grecque en Europe dans les siècles postérieurs est trop long et répétitif : les princes normands de Sicile encouragèrent le monachisme grec, et l’on pourrait ajouter que leur chancellerie expédiait leurs actes en quatre langues, grec, latin, arabe, normand. A Rome, le haut clergé parle grec. Le Latran, riche d’une immense bibliothèque, diffuse partout des œuvres grecques. Anastase le bibliothécaire, helléniste réputé, fut ambassadeur à Byzance. De Rome, la langue et la culture grecques se diffusèrent dans les pays anglo-saxons : Bède le Vénérable (+ 735) lisait le grec ; Aldhelm de Canterbury (+709), d’une très haute culture classique, enseigna la langue grecque à saint Boniface. Quant à l’Irlande, grand foyer d’hellénisme, outre Jean Scot, ses savants diffusèrent leur savoir dans toute l’Europe du nord, jusqu’à Milan. Pour l’Espagne, la Catalogne surtout offre des textes d’Aristote et des néoplatoniciens, dans les manuscrits desquels on peut remarquer des alphabets et des essais de plume en grec : ajoutons que le même phénomème s’observe aussi dans nombre de manuscrits conservés en France.

    L’auteur accorde un grand chapitre à la médecine, domaine dans lequel le rôle joué par les savants musulmans a été particulièrement exalté. Raymond Le Coz, dans son ouvrage  Les chrétiens dans la médecine arabe  (Paris, L’Harmattan, 2006) a fait justice de cette opinion. Il souligne lui aussi le rôle primordial des chrétiens du Proche-Orient : Nestoriens, Jacobites, Melkites, Coptes, qui traduisirent les textes grecs bien avant l’arrivée de l’Islam. R. Le Coz insiste sur l’héritage byzantin qui imposa les ouvrages de Galien, la place éminente de l’Ecole d’Alexandrie dont l’une des plus grandes figures est Oribase, auteur d’une encyclopédie en soixante-dix livres, rapportant en outre de nombreux textes de ses prédécesseurs. Cette école, brillant encore avec Ammonius (VI° s.) puis Jean Philipon, fut remplacée au VIIIe siècle par celle de Bagdad où Nestoriens et Jacobites transmettront, par leurs traductions en langue arabe, aux musulmans leurs connaissance du savoir grec. Les Nestoriens seront d’ailleurs les médecins des califes de Bagdad et donneront naissance à la figure du « philosophe médecin, souvent astronome, astrologue ou alchimiste, si caractéristique de tout le moyen-âge, arabe et occidental ». Chez les Latins, dès le VIe siècle et grâce à Cassiodore, on connait les travaux de Soranos, médecin grec d’Ephèse (II° s.), Hippocrate, Galien, Dioscoride et Oribase. Puis ces textes circulent dans les abbayes d’Italie du nord et du sud, où la pratique du grec ne cessa jamais : Salerne, le Mont-Cassin, de si brillante réputation que de hauts personnages du nord de l’Europe viennent s’y faire soigner, avec les œuvres de Garipontus et Petrocellus. Quant au célèbre Constantin l’Africain (+1087), sa biographie nous informe qu’il apprit la médecine à Kairouan ou au Caire : on ne peut donc savoir quelles ont été ses sources, bien que, selon Pierre Diacre, il aurait été aussi formé aux disciplines grecques d’Ethiopie : il traduisait directement du grec ou de l’arabe en latin.

    Le XIIe siècle, renouveau des études à partir de sources antiques

    S’attardant sur la Renaissance carolingienne, l’Académie du Palais de Charlemagne, sur Richer de Reims qui aurait enseigné la médecine grecque, Gouguenheim, suivant un plan chronologique un peu confus, dresse un tableau de la Renaissance du XII° siècle, où le renouveau des études puise à la source de la culture antique : traductions d’œuvres scientifiques d’optique, de mécanique dans toute l’Europe, impulsées par l’Ordre de Cluny et son abbé Pierre le Vénérable. Mais pour tous ces savants, peut-on affirmer qu’ils ont tous travaillé sur des traductions directes et que leurs connaissances sont en totalité indépendantes des travaux arabo-musulmans ?

    La circulation directe des textes de Byzance en Italie, vers la France et l’Empire mériterait, pour ces époques, d’être mieux connue, mieux étudiée. Quoiqu’il en soit, grâce à la réforme grégorienne, au renouveau du droit, de la philosophie politique, de la pratique rénovée de la dialectique, partout en Europe et en toutes matières, on constate un regain de l’influence et de l’imitation de l’Antique, la pratique et la découverte de textes grecs et latins. L’abbé Suger de Saint-Denis ne faisait-il pas l’admiration de ses moines grecs parcequ’il récitait de mémoire plus de trente vers d’Horace ? On découvre le livre II de la Logique d’Aristote, l’harmonie du monde de Platon à travers l’étude de la nature (Guillaume de Conches, Hugues de Saint-Victor), des œuvres de Cicéron. La mythologie païenne sert de support à la méthode allégorique d’exégèse de l’Ecriture. L’activité de traduction s’intensifie à Tolède, Palerme, Rome, Pise, Venise, en Rhénanie, à Reims, Cluny, au Bec-Hellouin, au Mont-Saint-Michel. Les Antiques sont les géants de Bernard de Chartres. Tous ces faits sont bien connus et ils témoignent d’une ouverture extraordinaire au savoir antique grec et latin, mais ils ne constituent pas une preuve exclusive d’un transfert directe de cette culture d’orient en occident.

    Dans un deuxième chapitre, l’auteur revient, de façon quelque peu redondante, sur la diffusion du savoir grec par Byzance et la chrétienté d’orient, du VIe au XIIe siècle, rappelant les voies et les hommes qui ont permis la continuité avec le monde occidental depuis l’époque classite que. Le chapitre III est la justification du titre de l’ouvrage : l’Europe a recherché elle-même, et non reçu passivement l’héritage antique, grâce aux moines de ses grandes abbayes qui en firent des traductions directes. L’auteur donne une place centrale à l’abbaye du Mont-Saint-Michel où Jacques de Venise, arrivé au début du XIIe siècle, traduisit du grec en latin de nombreux textes d’Aristote, bien avant les traductions faites à Tolède à partir de textes en arabe. Une antériorité sur laquelle on aurait aimé que l’auteur insistât davantage. Le séjour de Jacques de Venise au Mont-Saint-Michel est contesté par certains historiens. Robert de Torigny, abbé en 1154, témoignera seulement de lui comme traducteur et commentateur vers 1125, mais la présence de ses traductions dans des manuscrits de la bibliothèque d’Avranches n’est sans doute pas due au hasard. La question, au reste, est de peu d’importance : son œuvre demeure et fut largement diffusée, à Chartres, Paris, en Angleterre, à Bologne et à Rome. Jean de Salisbury, dans le Metalogicon, utilise pour la première fois tous les écrits de l’Organon, peut-être dans la traduction de Jean de Venise.

    Arabité et islamisme

    Le chapitre IV est consacré à la nature de la réception des textes grecs par les arabes musulmans. L’opinion commune leur attribue une appropriation totale du savoir grec. Or l’auteur met de nouveau en garde, comme le fait R. Le Coz pour la médecine, contre la confusion entre arabité et islamisme. Le « monde musulman », alors dominant, comportait beaucoup de savants chrétiens, juifs, sabéens, parmi lesquels nombreux étaient des Arabes, arabisés, Persans convertis. Or auparavant les Arabes furent mis en contact dès l’époque ummayyade avec le monde grec et lui furent hostiles. Une grande partie de l’élite byzantine prit la fuite. S’il n’est pas démontré que le calife Umar II a lui-même ordonné l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, du moins est-ce bien lui qui mit un terme à l’enseignement des sciences dans cette ville, « décision tout à fait conforme à ce que l’on connait du personnage » (R. Le Coz). La destruction de centres de culture aussi célèbres que le Mont Athos, Vatopédi, les raids incessants lancés par les califes en Sicile, au Mont-Cassin, à Rome et jusqu’au nord de la Gaule, aux VIII et IXe siècles, suffisent, dit l’auteur, à « démontrer le peu de goût des peuples musulmans pour la civilisation greco-latine ». Quant à la tradition de la « Maison de Sagesse », qui aurait regroupé des savants de toutes confessions et toutes disciplines, elle repose sur un texte beaucoup plus tardif rapportant la vision d’Aristote qu’aurait eue en songe le calife Al-Mamun, dont la bibliothèque ne fut ouverte, selon le témoignage d’un Musulman, qu’aux spécialistes du coran et de l’astronomie. L’auteur insiste sur les difficultés d’une traduction du grec en arabe : pour la langue, la pensée, dont les musulmans font passer les mots au filtre du coran, le raisonnement, au service exclusif de la foi. Quant à la médecine, R. Le Coz a démontré (dans  Les médecins nestoriens. Les maîtres des Arabes, Paris, L’Harmattan, 2003) que l’Islam n’a rien apporté. En philosophie, la logique aristotélicienne, passée au tamis du néoplatonisme, ne fut appliquée, par le mouvement de la Falsafa, que pour une exégèse rationnelle du Coran.

    Averroès, islamiste pur et dur

    Le parti le plus orthodoxe de l’Islam prit, à partir du IXe siècle, un aspect guerrier, contre la Trinité des chrétiens et le Dieu vengeur des Juifs. Son meilleur représentant est Averroès, médecin et juriste, qui prêcha à Cordoue le djihad contre les chrétiens : pour lui, l’étude de la Falsafa doit obéir aux principes de la chari’a (loi religieuse). De plus, la philosophie doit être interdite aux hommes du commun. Averroès, élitiste, ne fut ni athée ni tolérant. Pour ce qui est de la science politique, jamais l’Islam n’eut recours au système juridique greco-romain. La « Politique » d’Aristote ne fut jamais traduite en arabe : elle leur fut totalement étrangère. L’Islam n’a retenu des Grecs que ce qui leur était utile et ne contrevenait aux lois du Coran : sciences naturelles et médecine, tandis que la théologie chrétienne fut peu à peu pénétrée par la philosophie qui l’amena à évoluer.

    Deux civilisations, deux cultures

    Au dernier chapitre, l’auteur soulève la question de l’ouverture de l’Islam aux autres civilisations. Sauf quelques rares exceptions, ce ne fut, pendant tout le moyen-âge, qu’un long face à face de deux mondes radicalement différents, le plus souvent opposés. Comme nous le rappelle R. Le Coz, les Arabes conquérants ont toujours dédaigné apprendre la langue des pays conquis, puisque leur propre langue était celle de Dieu lui-même, celle de la Révélation. Evoquant la scission en Méditerranée, opérée par l’Islam, entre l’Occident et Byzance, et l’orientation consécutive de l’Europe vers le nord, l’auteur aurait pu invoquer aussi l’origine ethnique des Francs, qui marqua fortement les changements culturels. Pour une étude comparative dans le domaine de la transmission de l’une et l’autre culture, il est évident que l’Islam n’est pas un espace défini, que ces peuples auraient occupé pour s’y fondre, mais une culture fondamentalement religieuse, constituée par conquêtes successives, dans laquelle la politique et le droit (fiqh) dépendent strictement de la religion. En outre, les longs siècles de conflits violents étaient peu compatibles avec des échanges scientifiques. Il est tout aussi indéniable que le Christianisme est né et plonge ses racines dans un univers grec. L’usage de la liturgie grecque à Saint-Jean du Latran comme dans les grandes abbayes de Germanie et de France, de toute antiquité et pas seulement à partir du XIIe siècle, en est une preuve irréfutable. Deux civilisations fondées sur des religions contradictoires à vocation universelle ne pouvaient s’interpénétrer, à moins que l’une s’impose à l’autre, comme ce fut le cas pour l’Egypte et le Maghreb. C’est pourquoi, conclue l’auteur, une culture, stricto sensu, peut à la rigueur se transmettre, non une civilisation.

    En conclusion

    Sylvain Gougenheim rappelle que la quasi-totalité du savoir grec avait été traduite tout d’abord en syriaque, puis du syriaque en arabe par les Chrétiens orientaux, ce que confirme R. Le Coz dans le domaine médical : « comment les Arabes ont-ils pu connaître et assimiler cette science qui leur était étrangère…il a fallu des intermédiaires pour traduire les textes de l’Antiquité et initier les nouveaux venus à des techniques dont ils ignoraient tout. Les intermédiaires nécessaires ont été les chrétiens, héritiers de Byzance, qui vivaient dans le monde soumis à l’Islam et qui avaient été arabisés ». Quant aux occidentaux, outre leur propre tradition de savoir grec, ils bénéficièrent aussi de l’apport de ces chrétiens grecs et syriaques chassés d’orient, de l’Ecole d’Alexandrie, comme le confirment les études de J. Irigoin. Toutes ces données, solidement étayées, autorisent l’auteur à inscrire les racines culturelles de l’Europe dans le savoir grec, le droit romain et la Bible.

    L’annexe 1, qui fait, semble-t-il, couler beaucoup d’encre, est consacré au livre de l’orientaliste Sigrid Hunke, « Le Soleil d’Allah », polémique s’il en est, qui occupe, comme celui de M. Detienne, peu de place dans le débat dans la mesure où cet écrit, faisant écho à une idéologie aujourd’hui en vogue, n’est mû que par des arguments passionnels, voire racistes : il est donc sans intérêt.

    L’héritage grec a été transmis à l’Europe par voie directe

    L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, comme son titre l’indique, s’attache à démontrer que l’héritage grec a été transmis à l’Europe par voie directe, indépendante de la filière arabo-musulmane, tout en reconnaissant à la science musulmane la place qui lui est historiquement et chronologiquement due. Le livre est, avouons-le redondant, prolixe, parfois touffu. Partant de l’opinion commune, la démonstration se perd dans des excursus et des retours en arrière trop longs, des synthèses aussitôt reprises dans le détail, dans lesquels le lecteur a parfois du mal à retrouver le fil conducteur. L’auteur a voulu, de toute évidence, étant donnée la sensibilité du sujet, apporter le maximum de preuves à des faits qui, pour la plupart, sont irréfutables. L’ouvrage présente, il est vrai, un foisonnement cotoyant parfois la confusion. Certaines argumentations en revanche auraient mérité un plus grand développement, par exemple sur la science biblique, les Pères grecs et latins, l’Ecole d’Alexandrie. Cette étude a donc suscité de violentes polémiques, largement relayées par l’historien philosophe allemand Kurt Flasch, signataire d’une pétition la condamnant, mais reconnaissant aussitôt que « depuis 1950 la recherche a établi de façon irréfutable la continuité des traditions platonicienne et aristotélicienne. Augustin était un fin connaisseur du néoplatonisme qu’il ne distinguait pas du platonisme. Donc, le socle grec de la culture européenne et occidentale est incontestable ». Alors, où est le problème, et pourquoi cette polémique ? Elle repose, nous l’avons dit, sur plusieurs malentendus : la confusion entre « arabe » et « musulman », la notion de « racines », qui renvoie essentiellement aux hautes époques, l’absence de distinction nette entre la connaissance d’Aristote et celle de l’ensemble du savoir grec. Les musulmans abbassides promurent en leur temps et à leur tour la tradition grecque dans certaines disciplines, essentiellement scientifiques. Nulle part l’auteur ne nie que l’Islam ait conservé et fait progresser ces disciplines, cependant toujours passées au filtre du Coran, dont l’Occident a ensuite bénéficié. Cet ouvrage est un travail de grande synthèse, on ne peut lui demander d’être, dans tous les domaines, à la fine pointe de la bibliographie, laquelle est d’ailleurs sélective. Il présente, quant à la forme, quelques irrespects concernant les règles éditoriales, fautes vénielles dont nul ne peut prétendre être exempt. Quant au fond, les preuves apportées sont nécessaires et suffisantes. Celle que l’on pourrait y ajouter est fournie par la longue fréquentation des manuscrits médiévaux, et mieux encore, le fichier du contenu des bibliothèques médiévales d’occident, élaboré par A. Vernet tout au long de sa carrière et aujourd’hui déposé à l’Institut de Recherche et d’Histoire des textes : on peut y constater qu’en effet la culture européenne ne doit pas grand’chose à l’Islam.

    Il faut reconnaître à Sylvain Gouguenheim le mérite d’être allé à contre-courant de la position officielle contemporaine, d’avoir fourni aux chercheurs un gros dossier qui décape les idées reçues : une étude vaste, précise et argumentée, qui fait preuve en outre d’un remarquable courage.

    Françoise Houël Gasparri, Chartiste, médieviste

    2010

    Auteur de nombreux ouvrages, dont notamment :

    Crimes et Chatiments en Provence au temps du Roi René , Procédure criminelle au XVe siècle, Paris, éditions Le Léopard d’or, 1989 ; Un crime en Provence au XVe siècle, Paris, Albin Michel, 1991

    Les intertitres sont de la rédaction.

    Voir : « Le retour à l’identité »

    Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne. Paris, Le Seuil (l’Univers historique), 2008, 285 pages.

    http://www.polemia.com/aristote-au-mont-saint-michel-les-racines-grecques-de-leurope-chretienne-de-sylvain-gouguenheim/

  • Arouet le Jeune contre le catéchisme de la République.

    Dans les discours des politiciens au pouvoir, dans les annonces des médias aux ordres (c’est-à-dire tous les médias) et dans tous laïus émanant des organes de désinformation, qu’ils soient de l’Université ou de CNRS, il n’est plus question que de « valeurs ». Un millénaire et demi d’histoire de France se résume et se réduit aux seules « valeurs de la République », prétendues ou frelatées. Toute la gauche, qu’elle soit frondeuse ou courtisane, s’est mise à réciter, de conserve avec les idiots utiles, le catéchisme des « valeurs », et personne, aucun journaleux, aucun Plantu de sous-préfecture, aucun dessinateur, aucun rebelle, aucun anticonformiste, aucun intello, aucun insolent (et pourtant, il n’y a plus que ça à gauche) n’éclate de rire devant l’incongruité de cet appel aux « valeurs ». Il n’y a pas un seul humoriste qui ait assez de lucidité ou de mauvais esprit pour faire remarquer que l’injonction « valeurs » résonne comme ces cris que l’on entend partout dans les rues de France : « voleurs ! ».

    Valeurs, au pluriel comme au singulier, connote la droite. La valeur, c’est le mérite, l’exigence, le talent (et l’inégalité des talents), le courage, la force. C’est Corneille, Le Cid, Bossuet, etc. Il n’y a pas de mots qui connotent plus clairement la droite que valeurs et valeur. Les valeurs, c’est la tradition vivante. Elles appellent à conserver ce qui vient du fond des âges ; elles consistent à transmettre ce qui a été enseigné par les ancêtres ; elles incitent à s’inscrire dans une longue lignée. Elles font abandonner le principe de précaution pour le devoir de préservation ; et au changement, elles font préférer la continuité ; à la rupture, l’inscription dans le temps ; à la fascination pour le présent, le respect du passé. Du futur (ou de l’utopie), faisons table rase : voilà ce que disent les valeurs.

    Il est vrai que ces « valeurs », dont on nous rebat les oreilles, ne sont pas « les » valeurs, mais « des » valeurs, et uniquement celles de la République. Naguère, les républicains durs et durs expliquaient que la République n’était pas fondée sur des valeurs, mais sur des principes. Hollande, le cantonnier de Tulle habitué aux travaux de terrassement (il terrasse tout ce qui entrave sa marche en avant), et sa clique en ont décidé autrement. Les gens de gauche doivent se résigner à ce que le changement, ce ne soit pas Mme de Maintenant, mais la psalmodie des « valeurs » volées au camp d’en face. 

    Quelles sont ces valeurs ? La liberté ? La France, comme son nom l’indique, est non seulement le pays des Francs, mais aussi le pays des affranchis. Depuis la nuit des temps, il est le premier Burkina Faso (« pays des hommes libres ») qui ait existé dans le monde. Si la liberté est une « valeur », elle est depuis mille cinq cents ans ou davantage une valeur de la France. A moins d’entendre « république » dans son sens latin de res publica ou « chose publique », « Etat », « bien public », la liberté n’a rien à voir avec la République. Elle a d’autant moins à voir avec elle qu’en septembre 1792, la République, à peine proclamée, n’a pas jugé plus urgent que de supprimer toutes les libertés publiques et privées qui avaient été pourtant déclarées « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » trois ans auparavant, alors que la France avait pour régime politique la monarchie absolue de droit divin.

    Il en va de même de l’égalité. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » : voilà le préalable de la Déclaration des droits de 1789 que les représentants de la jeunesse noble et du clergé éclairé ont donnée au peuple français. Alors, la France n’était pas une république, encore moins la République, mais une monarchie absolue de droit divin. La fraternité n’a pas ses origines dans la République, qui a montré à plusieurs reprises, en fusillant, coupant des têtes, massacrant, commettant un « populicide » en Vendée, faisant la guerre à quasiment tous les peuples de la Terre, etc. qu’elle tenait la fraternité pour pet de lapin. Certes les francs-maçons, qui, contrairement à ce qu’ils prétendent, ne sont ni francs, ni maçons, ressentent pour la fraternité une indéniable inclination, mais restreinte aux habitués de leurs loges. Ils sont frères, mais entre eux seulement. En cela, ils ne sont pas différents des Frères musulmans, qui se disent tous frères de tous les hommes du monde, mais à condition que ces hommes ne soient ni mécréants, ni chrétiens, ni athées, ni animistes, ni femmes, ni homos, etc. et soient tous béats devant le messager d’Allah.

    La laïcité ? Le mot est grec et chrétien. Il est chrétien depuis deux mille ans. Il pose que le « temporel » (le politique et le social, le pouvoir, la société) et le « spirituel » (le religieux) sont deux ordres distincts et séparés, ce qu’ils ont toujours été. La laïcité, qui est toute chrétienne, n’a rien de républicain et, si elle a quelque chose de républicain, c’est que la République, de 1881 à 1906, l’a instrumentalisée pour la retourner contre ces chrétiens que sont les catholiques et les humilier avec la même hargne imbécile qu’elle humiliait les indigènes de ces pays sous souveraineté française qu’étaient le Tonkin, l’Algérie, la Tunisie, le Soudan, etc.

    Les « valeurs » de la République, celles qui y sont spécifiques, comme inhérentes et consubstantielles, ne sont pas celles que M. Hollande et ses séides proclament avantageusement, mais ce que la République a mis en œuvre et réellement accompli de 1792 à 1962 et ce sur quoi sont greffées ses valeurs, au point de ne faire qu’un avec elle. La République, ce sont les massacres de septembre 1792, le « populicide » (c’est-à-dire le génocide) de Vendée, la politique de la terreur, la guillotine pour tous, le massacre à coups de baïonnettes et de canons en novembre 1795 de femmes, d’enfants, de vieillards manifestant pour la liberté, la guerre contre tous les peuples d’Europe (Italiens, Espagnols, Anglais, Flamands, Autrichiens, Prussiens, Russes, Egyptiens, etc.), la répression par l’armée en juin 1848 d’ouvriers qui manifestaient dans les rues, la répression sanglante en avril et mai 1871 des Parisiens qui avaient soutenu la Commune, les guerres de conquête coloniale, le racisme, la répression par l’armée des ouvriers en grève, la boucherie de 1914-1918, les 19 morts du 6 février, l’armistice de juin 1940 et le suicide qui s’en est suivi, les guerres coloniales imbéciles, le massacre par l’armée de civils dans la rue d’Isly, etc. Voilà les valeurs que la République a pratiquées et illustrées pendant près de deux siècles.

    L’Etat islamique et toutes les organisations, associations, confréries qui se réclament du même islam s’illustrent par des crimes barbares qui horrifient les citoyens. Mais dieu que les républicains ont la mémoire courte ! Ces mêmes crimes ont jalonné l’histoire de la République. Le terrorisme ? C’est une invention républicaine qui a ensanglanté la France en 1793 et 1794. Le vandalisme ? Il n’est pas propre aux talibans ni aux djihadistes. C’est une invention de la Première République : destructions de statues, vol de tableaux et d’œuvres d’art, arasement d’édifices historiques, incendies de bâtiments publics et de bibliothèques… Le génocide ? Mais qu’est-ce que le populicide de Vendée (terme inventé par Gracchus Babeuf en 1796), sinon un génocide et que la République n’a jamais reconnu, ni a fortiori regretté ? A quoi bon exiger des turcs qu’ils reconnaissent le génocide dont ils se sont rendus coupables si l’on est soi-même incapable d’ouvrir grand les yeux sur son passé récent ? Les massacres de populations civiles ? Ils ont été une spécialité de la République, que ce soit en France (novembre 1795, juin 1848, avril-mai 1871, etc.) ou dans les territoires de l’Empire (Espagne, Algérie, Afrique, Indochine, etc.).  

    On voit la stratégie de Hollande et des socialistes au pouvoir : ce n’est que com. Ils feignent de s’approprier les valeurs, ils font applaudir les forces de police qu’ils haïssent, ils câlinent l’armée qu’ils réduisent à la famine, ils font semblant d’être de « droite », uniquement pour s’abriter de la colère du peuple.  

    © Arouet Le Jeune pour LibertyVox

    http://www.libertyvox.com/article.php?id=514

  • Livre de l'été Résistance au meilleur des mondes Éric Letty et Guillaume de Prémare

    41i54bTYsUL._SL500_.jpgComme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, Résistance au meilleur des mondes, par Éric Letty et Guillaume de Prémare. Cliquez sur la couverture du livre pour l’acheter.

    L’utopie, un fruit de l’humanisme

    En imaginant l’île d’Utopia comme métaphore de la perfection politique et sociale, Thomas More, célèbre théologien et conseiller politique du roi d’Angleterre, forge un néologisme à partir d’une racine grecque signifiant un « lieu qui n’est nulle part ». L’étymologie même du mot indique donc que l’utopie n’existe pas et ne peut exister. […] L’île d’Utopia est un sanctuaire inviolable, régi par les mathématiques, qui seules peuvent donner l’exacte mesure des choses, et assurer ainsi l’égalité réelle et la parfaite harmonie. Tout y est réglé comme du papier à musique. C’est un véritable paradis terrestre :« Vous voyez que, en Utopie, l’oisiveté et la paresse sont impossibles. On n’y voit ni tavernes, ni lieux de prostitution, ni occasions de débauche, ni repères cachés, ni assemblées secrètes. Chacun, sans cesse exposé au regard de tous, se trouve dans l’heureuse nécessité de travailler et de se reposer, suivant les lois et les coutumes du pays. L’abondance en toutes choses est le fruit de cette vie pure et active. Le bien-être se répand également sur tous les membres de cette admirable société ; la mendicité et la misère y sont des monstres inconnus. » (…)

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  • Lire ou relire « Le Camp des Saints » : essai sur la schizophrénie de l’opinion

    Il faut lire et relire le livre de Jean Raspail, Le Camp des Saints, l’histoire d’un afflux massif d’un million d’immigrants : ce n’est pas seulement un livre prophétique, c’est la plus pertinente analyse de la situation des quarante dernières années. La fiction romanesque apporte le meilleur éclairage d’une réalité politique fondée sur la tyrannie médiatique et le déni de réalité ethnique.
    Explications :

    Lorsque j’ai appris la réédition du Camp des Saints, j’ai cherché le livre dans ma bibliothèque pour le relire. L’ouvrage avait disparu : sans doute l’avais-je prêté ou donné comme tout un chacun l’a fait pour ce livre qui, comme un samizdat, est passé de mains en mains. J’ai donc racheté Le Camp des Saints et je l’ai relu avec un bonheur (ou un malheur) renouvelé.

    Big Brother, Big Mother et Big Other

    D’emblée Jean Raspail campe la situation dans sa nouvelle préface. L’Europe, la France vivent sous le joug d’une idéologie unique : Big Other. Une admiration sans bornes de l’autre, doublée de la haine de soi, de sa culture, de sa civilisation. Une idéologie unique qui nous assujettit grâce aux méthodes de Big Brother : la société de surveillance que nous connaissons où la police de la pensée est omniprésente. Une idéologie unique qui s’impose d’autant plus facilement aux individus qu’ils sont affaiblis par la tutelle de Big Mother : le principe de précaution qui doit s’appliquer du berceau à la tombe. Sauf dans un domaine, semble-t-il, celui des… politiques migratoires.

    La tyrannie médiatique

    Passons la préface, entrons dans le roman : on y rencontre des autorités politiques impuissantes et des médias qui manipulent l’opinion. Cela ne vous rappelle rien ? Allumez la télévision, ouvrez le poste de radio et vous croirez entendre les grandes consciences bavardes qui peuplent le roman de Raspail : les Dio, les Durfort, les Vilsberg, les Rosemonde Real. Ils sont toujours là pour plaindre le sort des clandestins de Lampedusa et soutenir les « mal logés ». Et l’omniprésent Réseau éducation sans frontières (RESF) utilise les mêmes méthodes que le comité de soutien aux « enfants du Gange ».

    La schizophrénie de l’opinion

    Il y a plus intéressant encore dans le roman de Raspail : la description parabolique de la schizophrénie de l’opinion. Dans Le Camp des Saints, les grands médias dominants prônent l’accueil des « enfants du Gange » ; et Josiane et Marcel, dans leur HLM, se laissent prendre comme les autres par la magie du « verbe dissolvant » ; à Paris, les manifestations de solidarité se multiplient. Mais dans les départements du sud, la population fuit à l’approche du million d’immigrants pouilleux qui s’apprêtent à débarquer des bateaux. Là encore cela ne vous rappelle rien ?

    Depuis trente ans, avec leurs mains, les électeurs ont voté pour des partis peu ou pro-immigrationnistes. Et le douloureux souvenir du 21 avril 2002 où Jean-Marie Le Pen accéda au deuxième tour de l’élection présidentielle hante encore les « bonnes consciences ». Mais les mêmes ont aussi voté avec leurs pieds : beaucoup de Français de souche ont quitté les quartiers de l’immigration. L’immense majorité des fonctionnaires, quel que soit le métier qu’ils exercent et leur syndicat d’appartenance, font tout pour ne pas être affectés en Seine-Saint-Denis. Situées aux frontières des quartiers de l’immigration, l’école Sainte-Geneviève à Asnières vient de refuser 800 demandes d’inscription pour la rentrée de septembre 2011 et l’école Sainte-Jeanne-d’Arc, à Colombes, 700 ! Quel plébiscite !

    Bien sûr, les membres de l’oligarchie sont les premiers à échapper à ce qu’ils préconisent : depuis trente ans le Conseil d’Etat a imposé à la France, par sa jurisprudence et son interprétation idéologique des textes internationaux, la législation la plus laxiste d’Europe. Par une décision du 21 mars 2011, le Conseil d’Etat vient même de rendre impossible l’expulsion des clandestins. Mais 95% de ces éminents juristes, auto-érigés en législateurs, habitent les beaux quartiers et pas un de leurs enfants n’a fréquenté d’école à forte présence de l’immigration. D’un côté les beaux et bons sentiments, de l’autre l’égoïsme salvateur !

    Trancher le Nœud gordien !

    Dans son œuvre, Jean Raspail prête au président de la République (un Pompidou romancé) la formule suivante : « Eh bien, messieurs, il vous faudra attendre (…) pour résoudre l’unique problème du monde contemporain : est-ce que les droits de l’homme auxquels nous tenons tant peuvent être préservés au détriment du droit des autres hommes ? » Quarante ans plus tard, le problème reste crucial : le droit actuel de l’immigration reconnaît tout au droit des individus à immigrer, rien au droit des Etats à contrôler l’immigration qu’ils subissent. Seul le point de vue individuel est pris en compte, jamais le point de vue du collectif et du national.

    Or rien ne sera possible sans affirmation préalable du droit des peuples à sauvegarder leur identité. Après avoir laissé voter la liberticide loi Pleven, Georges Pompidou avait quitté le monde en laissant derrière lui un curieux ouvrage posthume : Le Nœud gordien. Il y posait brillamment les problèmes qu’il n’avait ni pu, ni su, ni voulu résoudre. Qui demain tranchera le Nœud gordien ?

    Jean-Yves Le Gallou, 23/03/2011

    http://www.polemia.com/lire-ou-relire-le-camp-des-saints-essai-sur-la-schizophrenie-de-lopinion/