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culture et histoire - Page 1393

  • 2000 ans d’histoire balkanique

     Recension : Balkan-Chronik  : 2000 Jahre zwischen Orient und Okzident, Michael W. Weithmann, Verlag F. Pustet/Styria, Regensburg/Graz, 1995, 542 p.
     
    Depuis les événements en ex-Yougoslavie, l’intérêt des historiens européens s’est réveillé et les thèses, ouvrages, reportages, etc. sur la péninsule balkanique se succèdent à un rythme inhabituel. Parmi ceux-ci, la fresque historique, couvrant deux millénaires, de l’historien, balkanologue, byzantinologue et politologue Michael W. Weithmann, attaché à l’Université de Passau. Ce gros livre fait suite à deux autres ouvrages d’intérêt général de l’auteur sur les Balkans et à une étude sur l’histoire de la Grèce, du haut Moyen-Âge à l’époque actuelle. Balkan Chronik : 2000 Jahre zwischen Orient und Okzident met d’abord l’accent sur les confins inter-ethniques et surtout sur leurs origines.
     
     
    En se penchant sur les constantes géographiques et culturelles des Balkans, Weithmann constate que :
    « dans ce réseau de paysages contrastés, jamais jusqu’ici aucun empire de bonne taille ni aucune construction étatique n’ont pu se former ou se maintenir pendant un temps assez long, et jamais un peuple seul n’a pu en devenir la force déterminante. Car la puissance politique, elle aussi, a dû se fractionner et rester éclatée, tout comme le paysage. Les chaînes de montagnes qui traversent le pays de long en large n’ont pas que des effets sur l’espace, ne sont pas que des barrières spatiales, mais aussi des barrières culturelles, elles empêchent la pensée des hommes d’acquérir une perspective synoptique, de concevoir les problèmes communs, ce qui aurait pourtant été bien nécessaire et le serait encore. Les liaisons terrestres y demeurent pénibles et, aujourd’hui encore, un hiver rude bloque les voies de communication dans les Balkans. Les peuples qui y habitent, à cause d’une nature ingrate, ont été contraints de s’ancrer à demeure sur l’espace restreint de leur habitat. Leur environnement géographique interdit d’unifier plusieurs zones de sédentarisation optimale et donc d’organiser des territoires politiques supra-régionaux » (pp. 13-14). 
    La disparité géographique, poursuit Weithmann, la nature montagneuse de l’Europe du Sud-Est, la disparité des climats, des flores, des cultures et des types d’économie conduit à des particularismes exacerbés, à des isolements, à des revendications de souveraineté sans nuances, à une mentalité “cantonale”, qu’on retrouve parfois en Suisse.
     
     
    Autre précision : Weithmann, en toute bonne logique mitteleuropäisch, n’inclut pas la Slovénie et la Croatie (mis à part le Sud de la Dalmatie) dans sa définition des Balkans. La Bosnie en fait partie, y compris quand elle est incluse dans l’État oustachiste d’Ante Pavelic. La Slovénie est alpine, tandis que la Slavonie croate n’est pas montagneuse, donc non balkanique, “Balkan” signifiant “montagne” en langue turque.
     
     
    Tradition, communauté, patriarcat
     
     
    Les Balkans, signale Weithmann. sont également caractérisés par une forme traditionnelle et communautaire de la société.
    « Il s’agit de “sociétés fermées”, que l’on rencontre chez bon nombre de peuples indo-européens. avant qu’ils n’accèdent à un ordre de type étatique. Les liens du sang, la grande famille, le clan, la tribu sont les éléments déterminants de la société. L’individu y est ancré et attaché dans des ordres hiérarchisés solides et stricts, depuis sa naissance… Mais seule la parenté patrilinéaire compte ! Car, dans les Balkans, nous avons affaire à des sociétés masculines, patriarcales. Dans la communauté domaniale, chez les Anciens, seuls les hommes comptent, la mère en est exclue, elle reste soumise à sa propre famille. En accord avec les “directoires” claniques, les phratries déterminent le destin de la tribu. Pour se défendre contre des ennemis communs ou pour se lancer dans des campagnes militaires ou des razzias, les clans peuvent s’unir dans des structures grandes-tribales, mais celles-ci se dissolvent immédiatement après la fin de l’entreprise » (pp. 37-38).
    La position de la femme dans les Balkans est difficilement compréhensible pour l’Occidental moderne et citadin. « L’homme ne peut s’abaisser à travailler, car il est un héros ou un héros potentiel », disent les Monténégrins.
    « Les femmes sont acquises par des transactions matrimoniales, selon un schéma purement exogame, la femme devant toujours appartenir à un autre clan. Plus tard, quand plusieurs religions concurrentes ont régné dans les Balkans, les différences religieuses n’ont jamais constitué d’obstacle aux mariages exogames. Les formes sociales archaïques se sont toujours avérées plus puissantes que les divergences de religion. On se procurait des femmes pour le travail domestique et agricole, on les raflait en guise de trophée, on les épousait pour montrer sa richesse et pour engendrer des descendants masculins capables de devenir des guerriers. Dans le foyer, la femme ne devenait importante que si elle donnait le jour à des fils. Sinon, elle pouvait être répudiée ou remplacée par des concubines. Quand l’époux mourrait prématurément, ce qui arrivait souvent à cause des nombreuses querelles, les femmes étaient condamnées au veuvage jusqu’à leur mort, et elles portaient des vêtements noirs. Ce n’est donc pas l’Islam qui a confiné les femmes au foyer dans les Balkans, les a obligées à porter le voile et leur a imposé un statut mineur. Tout cela est de mille ans plus ancien, c’est un héritage de la société gentilice patriarcale. Mais ni l’Islam ni l’orthodoxie n’ont entrepris de sérieux efforts pour modifier cette situation » (p. 38).
    Weithmann constate que cette forme pure de patriarcalité a perduré depuis la plus haute antiquité, depuis les Thraces et les Illyriens, en dépit des grandes structures politiques romaines, byzantines ou ottomanes. C’est dans cette permanence de la forme gentilice d’organisation sociale qu’il faut rechercher la diversité balkanique, car « un gouvernement, un ordre étatique, qui ne tiendrait pas compte des liens du sang, qui interdirait aux hommes de porter les armes et s’arrogerait le pouvoir d’être le seul autorisé à dire le droit, surtout le droit pénal, rencontrerait l’incompréhension des membres du clan et susciterait leur hostilité. Pour l’homme clanique, l’État est toujours l’ennemi, qu’il soit étranger ou autochtone, dictature ou démocratie » (p. 40). Cet état de choses est encore parfaitement perceptible en Albanie, en Macédoine, au Monténégro et dans le Kosovo. Les peuples balkaniques qui ont une tradition étatique et nationale plus solide, comme les Roumains, les Serbes, les Grecs et les Bulgares, le doivent à la durée de leur union ethnocentrée contre les Turcs ou contre leurs voisins. Ces guerres de longue durée ont effacé petit à petit les particularismes.
     
     
    Un byzantinisme face à l’Occident
     
     
     
    En constatant la très ancienne opposition entre l’Orient (orthodoxe) et l’Occident (catholique), Weithmann constate qu’elle ne cessera pas de sitôt et que ce clivage-là, du moins, marquera encore l’Europe dans l’avenir.
    « Malgré leurs différences quantitatives sur le plan de la puissance politique, les nations orthodoxes, héritières de Byzance, disparue des Balkans — les Grecs, les Bulgares, les Roumains et les Serbes —, développeront une conscience commune “byzantine” face à l’Ouest ; cette conscience sera marquée par la conviction d’être dans l’orthodoxie, d’une part, par la crainte d’être entraîné dans la rigueur désenchantée et dans la froideur calculante de l’Occident, d’autre part » (p. 47).
    « Le concept central de la pensée occidentale est l’individualité, la dignité et les droits de la personne individuelle et autonome (…). Malgré l’héritage antique, cette idée est étrangère à Byzance. Dans l’orthodoxie, l’individu reste plongé dans l’ordre communautaire. La personnalité se sublime dans le collectif. La communauté a priorité absolue par rapport à l’individu. On comprendra dès lors pourquoi le concept de liberté individuelle est très difficilement conceptualisable à l’Est » (p. 49).
     
    Après l’effondrement des empires serbe et bulgare des Xe et XIe siècles, les Balkans sont morcelés et le resteront jusqu’à l’arrivée des Ottomans [au XIVe s.]. Byzance ne contrôle plus que les côtes égéennes au départ de Thessalonique. La Grèce est partagée entre deux despotats concurrents. Les Balkans intérieurs sont encore davantage divisés : la Bulgarie est scindée en trois petits royaumes, la Macédoine et la Serbie sont une mosaïque de petites principautés hostiles les unes aux autres. L’Albanie et le Monténégro n’ont pas d’autres organisations que les clans. La Bosnie est un royaume dominé par lareligiosité bogomile. Dans l’espace danubien, dominé par la dynastie hongroise, la Croatie et la Transylvanie se détournent du Sud-Est européen, pour lorgner vers l’Europe centrale, la Bohème et la Pologne. La Dalmatie est sous la coupe de la République de Venise, qui tente de soustraire ce littoral aux convoitises hongroises (et plus tard, turques).

  • Le formatage idéologique et la production des élites: la matrice Sciences-Po Paris

    Les élites nationales sont largement constituées d’entrepreneurs politiques professionnels. La professionnalisation de l’univers politique induit des contraintes électorales majeures qui touchent à la reproduction du pouvoir politique. Cette dernière s’effectue à travers un processus électoral dont le caractère aléatoire demande à être maîtrisé par les différents acteurs. Dans ce contexte, la production et la reproduction de l’idéologie dominante constitue ainsi une garantie de conformité aux différents entrepreneurs à même de faciliter leur maintien au pouvoir. Le conformisme politique à la doxa dominante et la capacité à se situer à l’intérieur du consensus médiatique dominant sur les sujets économiques et sociétaux ont jusqu’à présent donné les meilleures garanties d’adhésion électorale. Les élites politico-médiatiques produisent et reproduisent ainsi un discours ordo-libéral qui se veut consensuel et qui se base sur une expertise mondialisée. Les lieux de production de cette idéologie sont constitués au niveau international par les structures du Nouvel Ordre Mondial telles que le FMI, l’OCDE, l’OSCE ou encore l’Union Européenne. Au niveau national, les institutions assurant la formation des élites participent également à la production de cette doxa à la prétention universelle.
    Les deux hauts lieux de la production et du formatage des élites au niveau national sont Sciences-po Paris et l’Ecole Nationale d’Administration, qui fournissent les plus gros contingents des cadres politiques et médiatiques. Penchons-nous sur la première.
    Sciences-po Paris : la matrice de l’oligarchie
    Sciences-po Paris demeure à ce jour l’école diplômante de référence concernant les cadres du secteur politique et administratif mais également du milieu médiatique. L’école se présente comme une passerelle entre « savoir académique et professionnalisation, entre culture générale et sens de l’action. » et se veut généraliste. Son objectif est ainsi de former des cadres dans un « large éventail de métiers » correspondants à ses différentes spécialisations au niveau du Master qui se déclinent en plusieurs grands domaines :
    - La presse, les médias et l’édition, soit la production et la mise en circulation du savoir et de l’information.
    - Les ressources humaines et les relations sociales, soit les structures du management et de la communication.
    - Les carrières juridiques, qui visent les services juridiques des grandes entreprises et des institutions nationales et internationales
    - La finance, qui vise les cabinets de conseils et d’audits des secteurs bancaires et financiers, mais aussi les « organismes de régulation financière ». On voit donc ici que les régulateurs comme les lobbyistes sont issus du même parcours de formation…
    - L’administration publique et politique, avec notamment la préparation aux concours de cadres supérieurs de la fonction publique.
    - La coopération internationale et le développement, qui ouvre l’accès aux postes à responsabilité dans le secteur des ONG et des structures du nouvel ordre mondial comme l’OMC ou le FMI…
    - Enfin, le secteur de la recherche et des think-tanks, qui sont indifférenciés dans le parcours de formation de Sciences-po, ce qui signifie donc une articulation pratique entre les activités de recherche et de lobbying, c’est à dire d’influence idéologique.
    La simple énonciation des formations dispensées par Sciences-Po Paris révèle une imbrication des secteurs publics et privés, des activités de recherche et de lobbying, des activités de régulation et de communication, des activités politiques et médiatiques, qui souligne déjà la collusion existant dans la formation des élites entre les intérêts privés et publics, et qui renvoie plus généralement l’image d’une matrice de production et de reproduction de l’oligarchie dominante, quel que soit son secteur d’activité. Ce que produit donc avant toute autre chose Sciences-po Paris, c’est une collusion d’intérêts et leur reproduction.
    L’école a également développé la co-pénétration des sphères publiques et privées, et érigé le conflit d’intérêt comme mode de formation privilégié. Elle annonce ainsi sur son site Internet que : « Les élèves sont orientés vers la prise de responsabilités, grâce aux enseignements de plus de 4000 praticiens venus du monde professionnel ».
    Autre point essentiel de la production de l’idéologie du Nouvel Ordre Mondial visant à détruire les souverainetés et les appartenances nationales, l’école développe également une « culture de l’international ». La subtilité sémantique est ici intéressante à souligner : il ne s’agit pas d’une « culture internationale » qui viserait avant tout à découvrir la richesse et la diversité culturelle d’autres nations mais de développer à l’inverse, une « culture internationale », c’est à dire une culture de la mondialisation qui consiste précisément à nier et à dépasser les différences et les spécificités interculturelles. Il s’agira précisément pour l’étudiant d’aborder « tous les sujets à l’échelle de l’Europe et du monde »…
    Cette dimension mondialiste se retrouve sans surprise dans le recrutement de l’école qui ambitionne de former l’élite mondiale sans distinction de nationalité. Ainsi, 46% des étudiants sont étrangers et proviennent de 150 pays. L’école est également insérée dans un réseau de formation de l’élite internationale par son appartenance à plusieurs réseaux universitaires comme l’Association of Professional Schools of International Affairs, ou le Global Public Policy Network.
    L’école ne cache pas sa prétention à constituer un réseau oligarchique mondial totalitaire, c’est à dire recouvrant tous les champs du pouvoir, médiatique, politique, et économique. Elle se vante sur son site Internet d’avoir constitué « […] une communauté de plus de 65 000 anciens élèves qui, pour nombre d’entre eux, occupent des postes à responsabilité dans des secteurs aussi variés que l’audit, la diplomatie, la presse et les médias, le secteur social, le développement durable, la finance, la fonction publique, la culture… en France comme à l’international. »
    On voit donc le but opérationnel de l’éventail des formations proposées par l’institution et touchant tous les domaines du pouvoir : la constitution d’un vaste réseau élitiste, que l’on peut qualifier d’oligarchie mondiale. L’école invite d’ailleurs explicitement ses anciens élèves à « rester connectés à leur alma mater au-delà de leur passage rue Saint-Guillaume, à former un réseau professionnel solidaire. » On ne saurait être plus explicite…
    L’association des anciens élèves de Sciences-po Paris anime à cet effet un ensemble de clubs, de cercles et de groupes, afin de renforcer le réseau relationnel de ses membres et favoriser les passerelles entre les différents diplômes, dans un souci de promotion du conflit d’intérêt.
    Le cercle Sciences-po HEC se donne ainsi pour but « de renforcer les liens entre les diplômés passés par les deux écoles, tout en affermissant leurs liens avec Sciences Po et l’association des anciens. Il a également vocation à servir de lieu d’échange et de solidarité entre les différentes promotions du double diplôme. » Quoi de plus naturel en effet que de développer la solidarité entre le monde économique et la haute administration ?
    Les différents clubs disponibles sur le réseau des anciens élèves de Sciences-Po Paris constituent une bonne photographie des loisirs et pratiques culturelles de la classe supérieure et ne laissent aucun doute sur l’origine sociale de ses membres.
    On trouve entre autres un club Golf (409 membres), un club Opéra (l’un des plus largement représenté avec 1576 membres), un club Polo (160 membres), un club Sciences-po Millésimes, dédié à la dégustation des grands crus (1416 membres) ou encore un club Sciences-po de la mer, dédié aux sports maritimes et au nautisme (471 membres).
    A ces cercles, et ses clubs, qui favorisent le développement d’un réseau d’affaire professionnel de type oligarchique ainsi que les conflits d’intérêts, il faut ajouter les groupes professionnels.
    Comme les structures relationnelles précédentes, les groupes professionnels ont pour objectif de favoriser la « culture du réseau » et la mise en relation des diplômés de l’école, ainsi que de créer des passerelles d’intérêts entre les différents secteurs professionnels, c’est à dire de développer une fois encore une « culture du conflit d’intérêts ». Le groupe le plus populaire est sans surprise le groupe Finance, qui compte 5019 membres. Il propose une série de 8 rencontres annuelles baptisées « les jeudis financiers de Sciences-po ». Ces rencontres permettent des échanges « sans langue de bois » avec des personnalités du monde de la finance. Il propose également, les deuxièmes jeudis de chaque mois, un « afterwork », c’est à dire une rencontre informelle autour d’un verre… Voilà donc un des lieux où se tissent les liens de collusion entre le pouvoir politique et le lobby financier.
    Il faut noter que tous les secteurs du pouvoir sont concernés par ces structures semi-informelles dont le but est de créer un vaste réseau d’influence et de collusion basé sur l’appartenance à Sciences-po Paris. Les secteurs de la communication et des médias sont également largement représentés. Le groupe spécifiquement dédié au secteur « Presse /Médias » compte 2617 membres, mais il existe aussi un groupe « communication » qui comprend 2254 membres ainsi qu’un groupe « Culture et management » fort de 3100 membres et qui « affirme la pertinence du management dans le secteur culturel et en structure la réflexion. » On voit bien ici de quels genres de monstres hybrides néo-libéraux accouche le réseau d’influence relationnel de Sciences-po Paris.
    Le programme idéologique

    L’orientation idéologique de l’apprentissage délivré à Sciences-po Paris est d’abord visible, comme nous l’avons-vu dans les intitulés des diplômes préparés, notamment au niveau des Master.
    Pour cerner plus précisément la nature et l’orientation idéologique des enseignements dispensés on peut se pencher plus précisément sur le contenu de la formation commune, dispensée à tous les étudiants de Sciences-po Paris, quel que soit le Master préparé.
    Cette formation, selon la communication de l’école est « Située au cœur du projet éducatif de Sciences Po, la formation commune de master vise à transmettre des connaissances et des compétences qui permettront aux diplômés de faire face à un monde en mouvement et d’être les acteurs du changement. » Nul doute que le contenu des cours délivrés nous éclairera sur ce que signifie pour la direction de Sciences-po l’expression « être les acteurs du changement » et sur la nature de ce dernier. Il s’agit là, n’en doutons pas, du cœur idéologique de l’institution.
    D’autant plus que cette formation commune constitue pour l’école une « Occasion unique de brassage des populations étudiantes de Sciences Po, ces cours contribuent à la cohésion et au sentiment d’appartenance de nos étudiants. » 
    Pour des raisons pratiques nous allons nous intéresser plus spécifiquement au cours intitulé Philosophie des relations internationales sous la direction de Frédéric Ramel, d’un volume horaire de 24h, qui représente le nœud stratégique de la théorie politique..
    Sans surprise, Frédéric Ramel fait du mondialisme l’unique objet de son étude des relations internationales. Ce dernier est en effet l’auteur d’un essai intitulé L’attraction mondiale, paru aux presses de Sciences-po en 2012, qui présentait le Nouvel Ordre Mondial comme un aboutissement logique de l’histoire universelle… Plus que les contenus, auxquels nous n’avons pas accès, c’est le choix des objets d’étude et du plan du cours qui procèdent d’une vision idéologique biaisée.
    La première partie du cours s’intéresse ainsi à « l’Architecture mondiale » et est sous-titrée : « des cosmopolitismes controversés ». Elle présente d’abord « Le cosmopolitisme kantien et ses prolongements actuels ». Le cours s’appuie notamment sur un essai de Jürgen Habermas : Après l’Etat-nation, une nouvelle constellation du politique et l’ouvrage de David Held : Un nouveau contrat mondial. Pour une gouvernance social-démocrate. Ces deux ouvrages s’interrogent essentiellement sur la manière d’organiser la « gouvernance mondiale », et bien qu’ils formulent certaines critiques au sujet de la mondialisation, essentiellement sur son aspect non-démocratique, ils se concentrent sur la problématique de son organisation politique. Ainsi, l’ouvrage de David Held appelle à la mise en place d’instruments de gouvernance mondiaux dits « démocratiques ». Habermas milite également pour la constitution d’une « démocratie cosmopolite » internationale censée combler le déficit démocratique du Nouvel Ordre Mondial. Nous nous situons donc là sans surprise dans une vision régulatrice du mondialisme qui constitue le ressort psychologique de son acceptation pour la gauche sociale-démocrate européenne et dont sont issus ses sempiternels discours inopérants sur une « autre Europe » ou une « autre mondialisation ».
    Les chapitres du cours de Frédéric Ramel consacrés à l’anti-cosmopolitisme font une place centrale au philosophe anti-libéral allemand Carl Schmitt, qui fut un membre du parti nazi et considéré comme le juriste et le théoricien politique du 3ème Reich. On saisit ici toute la grossièreté du procédé qui consiste à présenter l’antilibéralisme à travers la pensée d’un philosophe nazi. Il s’agit ni plus ni moins que d’une réduction ad-hitlerum de l’antilibéralisme. Signalons donc à Frédéric Ravel que ses étudiants auraient pu avec profit bénéficier d’une introduction à l’œuvre de Karl Marx et à sa critique toujours actuelle du capitalisme qui permet d’expliquer avec pertinence le processus de la mondialisation…
    Mais Frédéric Ravel va plus loin le cours suivant, et après l’assimilation de l’antilibéralisme au nazisme, il expose un autre « foyer anti-cosmopolite : le communautarisme ». Après la réduction ad-hitlerum vient donc le spectre communautariste, qui a pour tâche d’attacher définitivement toute critique de la mondialisation et du Nouvel Ordre Mondial à la barbarie et à l’archaïsme communautaire. Pour faire bonne mesure le cours se conclu sur la « recherche de voies médianes » censées donner un vernis de débat et d’ouverture intellectuelle à un sujet déjà balisé et encadré puisque toute contestation radicale a été précédemment discréditée. La liberté de pensée ainsi étroitement balisée, la deuxième partie de l’enseignement peut tranquillement s’attacher aux grands problèmes éthiques contemporains soulevés par le Nouvel Ordre Mondial, et en particulier l’ingérence dite « humanitaire ». Il s’interroge ainsi sur les nouveaux critères de l’impérialisme visant à définir une « guerre juste » et à cet effet s’appuie encore une fois sur Carl Schmitt et son essai : La guerre civile mondiale, qui critiquait justement le néo-absolutisme des institutions internationales et leur discours sur les droits de l’homme constituant une rhétorique universaliste au service de l’impérialisme. Là encore, faire endosser la critique de l’impérialisme humanitaire à un penseur nazi, constitue un procédé de dé légitimation grossier et une nouvelle réduction ad-hitlerum de l’anti-impérialisme et de la critique du Nouvel Ordre Mondial.
    Le cours se conclue ainsi logiquement sur Le droit des gens de John Rawls. L’auteur américain voit dans la démocratie libérale la meilleure expression de gouvernement et le régime le plus juste, c’est à dire conciliant le mieux les principes d’égalité et de liberté individuelle. Il fait ainsi du « minimum démocratique » la condition de l’acceptation d’une société donnée par la communauté internationale. Selon lui, c’est la justice, comme régulatrice des rapports entre liberté et égalité dans les sociétés démocratiques, qui s’impose ainsi comme principe universel. Il justifie ainsi les inégalités sociales, comme variable naturelle de l’expression de la liberté et de l’entrepreneuriat individuel. On le voit, il s’agit ici d’une justification éthique du système économique capitaliste dont la démocratie libérale constitue l’organisation politique la plus consensuelle. Rawls en conclu que les droits de l’homme possèdent ainsi un caractère universel en tant qu’expression des rapports de justice existant dans les sociétés démocrates-libérales, et qu’ils doivent être étendus aux sociétés « hiérarchisées », la guerre constituant selon lui l’ultime recours.
    On constate donc que sous couvert d’un discours éthique s’attachant à déterminer les principes de la justice et des droits humains, John Rawls tient en réalité un discours militant universaliste basé sur les droits de l’homme et la conception de la démocratie héritée du social-libéralisme qui porte la justification de l’interventionnisme « humanitaire », autre nom de l’impérialisme ou du néo-colonialisme.
    On peut ainsi résumer le formatage des élites tel qu’il est entrepris dans la formation commune dispensée à Sciences-po Paris, tout d’abord comme une forme d’amnésie sélective ayant pour cible l’analyse marxiste de la mondialisation comme phénomène économique, ainsi que ses implications dans les relations internationales, puis comme une réduction ad-hitlerum de la contestation du Nouvel Ordre Mondial et du totalitarisme des « droits de l’homme ». Le mondialisme y est ainsi présenté comme la principale force en mouvement de l’histoire portée par des valeurs positives basées sur les « droits de l’homme » et l’idéal de la « justice » inégalitaire de société libérales-démocrates indépassables comme forme de régulation des rapports antagonistes entre les affects de liberté et d’égalité. A cet égard, le « cosmopolitisme » promu sur toutes les pages du site Internet de Sciences-po Paris apparaît comme le signe évident de l’appartenance à la modernité politique.
    Ce véritable bourrage de crâne idéologique qui vise à formater les élites mondiales de l’oligarchie, associé à la volonté de créer un vaste réseau d’influence et de gouvernance touchant tous les domaines du pouvoir, explique en grande partie le monolithisme intellectuel qui touche les cadres du pouvoir, incapables de penser hors du logiciel démocratique-libéral universaliste. Cette déformation idéologique des élites s’effectue naturellement sous l’influence des intérêts du capital financier et économique, qui a établi de solides rapports de proximité et de collusion d’intérêts à l’intérieur du système de formation, comme nous l’avons vu, par l’entremise des clubs, cercles, et autres groupes de réflexion…

    Guillaume Borel

    Sourcehttp://arretsurinfo.ch/le-formatage-ideologique-et-la-production-des-elites-la-matrice-sciences-po-paris-23/

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2015/03/17/le-formatage-ideologique-et-la-production-des-elites-la-matr-5584821.html

  • Valls critique littéraire (article paru dans L’Action Française 2000, 19 mars 2015)

    Valls critique n’arrive pas à oublier Valls ministre de l’Intérieur, dont le domaine s’étend désormais aux âmes et à leur direction.

    On reconnaissait à Manuel Valls bien des talents, dont celui de savoir distinguer le comique de sa contrefaçon, le « petit entrepreneur de la haine », alias Dieudonné. C’est désormais une autre de ses passions que le Premier ministre se plaît à mettre en avant : la critique littéraire, prodiguant avec enthousiasme ses conseils de lecture. Sa renommée, il la doit à sa recension du Suicide français d’Éric Zemmour, « qui trace une France repliée sur elle-même, triste, rance », concluant que l’ouvrage ne méritait pas qu’on le lise. La parution, le 7 janvier dernier, de Soumission, est une nouvelle occasion de prouver son audace : dès le lendemain, ayant vraisemblablement parcouru l’ouvrage avec frénésie, Manuel Valls voue aux gémonies le prix Goncourt 2010 : « La France, ce n’est pas Michel Houellebecq […], ce n’est pas l’intolérance, la haine, la peur ». Michel Onfray n’est pas non plus épargné par la critique assassine, juste châtiment pour ce philosophe qui n’a plus de repères : avouant préférer une idée juste à une idée fausse, fût-elle de gauche, il commet l’affront impardonnable de déconsidérer Bernard-Henri Lévy.

    Éloge du prix Nobel

    Les jugements âpres ne doivent cependant pas occulter l’autre visage de l’hôte de Matignon, qui sait se faire attendrissant. Plus loquace que Fleur Pellerin, ministre de la Culture, il confie, au sujet du nouveau prix Nobel de la littérature : « Patrick Modiano, qu’on a tous lu, depuis trente ou quarante ans […], est sans doute l’un des plus grands écrivains de ces dernières années, de ce début du XXIe siècle. C’est mérité, pour un auteur qui en plus est discret, comme sa belle littérature. » Au gré de ses sorties médiatiques, comme de la rubrique nécrologique qui révèle une plume pudique (« Serge Moscovici, un grand érudit, un homme libre nous a quittés »), Manuel Valls dessine les contours d’un prêt-à-lire. Richard Millet, auteur d’un déshonorant « pamphlet fasciste », s’en était alarmé, voyant dans l’antiracisme dont fait commerce Valls, à défaut de se préoccuper du chômage, « une terreur littéraire, c’est-à-dire un des vecteurs du Faux, et une vraie forme de racisme visant à éradiquer cette vérité qu’on appelle littérature, donc la vérité sur le monde ». Vincent Coussedière estime, quant à lui, que « nous sommes parvenus au stade ultime de la décomposition de la critique, au stade où celle-ci devient critique policière ». Valls critique n’arrive pas à oublier Valls ministre de l’Intérieur, dont le domaine s’étend désormais aux âmes et à leur direction. Admirable sollicitude.

    René Duchesne

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Valls-critique-litteraire-article

  • De la guerre d'Algérie à la réconciliation ?

    Samedi 14 mars, Robert Ménard débaptisait à Béziers la « rue du 19 mars 1962 » pour la rebaptiser « rue du Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc », du nom d'un des officiers insoumis d'avril 1961. La date du 19 mars 1962 est pour une partie de nos compatriotes un événement douloureux. Le gouvernement français, par l'intermédiaire de Louis Joxe, signait avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) les Accords d'Evian. La guerre d'Algérie était finie, du moins pensait-on... L'OAS ripostera pendant un mois en menant des actions contre le GPRA, pendant que le FLN poursuivra ses exactions contre la population civile débutées le 1er novembre 1954. Des centaines de milliers d'Européens et de harkis fuient alors l'Algérie, dans l'indifférence générale, en direction de la métropole où ils sont accueillis sous les crachats des dockers de Marseille. Le 22 août 1962, Jean Bastien-Thiry et ses hommes tentaient d'assassiner le Général De Gaulle au « Petit-Clamart ». Ils s'opposaient par ce biais à sa politique en Algérie. Fait prisonnier, Jean Bastien-Thiry était fusillé le 11 mars 1963.

    A moins d'avoir été, comme moi, dans un milieu qui côtoya « pieds noirs », anciens de l'OAS et anciens combattants, la guerre d'Algérie n'est pas un conflit dont parlent beaucoup les Français. Plus jeune, je ne comprenais d'ailleurs pas grand chose à cette histoire d' « Algérie française ». Les « pieds-noirs » étaient les amis de mes grand-parents ou de mes parents, mais cela n'allait pas plus loin. Quant aux appelés du contingent, ceux qui firent leur service militaire en Algérie, cette guerre n'était jamais évoquée. Je sentais simplement une sorte de ressentiment contre les Algériens, cruels et sans pitié, mais aussi pour certains contre l'OAS et les « pieds-noirs », colons jusqu'au-boutistes...

    Je me souviens aussi de cette tension palpable entre petits-enfants de « pieds noirs », gauchistes fustigeant les « racistes » et les « fachos » et petits-enfants d'Algériens... En classe on entendait parler de la torture de l'Armée française, des destructions des mechtas, d'Aussaresses, de Massu... L'Armée française était dépeinte comme une armée d'occupation digne de l'Armée allemande et l'OAS comme d'abominables terroristes d'extrême-droite. On abordait assez peu la question du FLN et leurs crimes étaient souvent relativisés. De Gaulle était le grand homme, il avait fondé la Ve République et il incarnait l'autorité de l'Etat et la souveraineté nationale. Le personnage m'était assez sympathique, dans la lignée d'un Bonaparte. Le genre d'hommes qui sont les protagonistes de la grande histoire.

    Aussi je ne comprenais pas pourquoi tant d'hommes et de femmes s'étaient battus pour « l'Algérie française ». Vivre sur un territoire non européen où 90% de la population était composée de Musulmans, ça me semblait relever de la folie intégrale. Passant d'une sensibilité bonapartiste à une sensibilité « néo-droitière », il me semblait parfaitement naturel que l'Algérie soit aux Algériens et la France aux Français. Refuser l'Algérie française c'était aussi refuser la France algérienne... L'anticolonialisme et ce que je nommerai plus tard l'« ethno-différentialisme » étaient une évidence. Je me suis donc assez longtemps désintéressé du sujet et je confesse même que les vieux ressentiments sur l'Algérie française avaient tendance à m'ennuyer profondément …

    Ce combat pour l'Algérie me semble toujours aussi curieux. Les discours de De Gaulle parlant de « 10 millions de Français » et les Européens d'Algérie célébrant leur unité avec les autochtones me font penser aujourd'hui à des diatribes dignes d'associations anti-racistes de gauche. Il y a toujours eu un rapport curieux au colonies dans les milieux nationalistes. Qu'on en juge les nord-africains engagés (et morts) lors du 6 février 1934, l'ancrage du PPF en Algérie, la fierté coloniale multi-ethnique de Vichy ou les combats de l'OAS pour « l'Algérie française », tout cela me semble assez étranger à mon combat européen...

    Mais en regardant des reportages et en me penchant plus sur le sujet, j'aborde les choses de façon un peu différente. Ce que cache la guerre d'Algérie et ce qui fait l'intérêt profond de ce sujet c'est qu'il a engendré autant la République algérienne que la Ve République française. Les deux républiques sont donc « liées » par les mêmes événements. Elles sont sœurs. Derrière la guerre d'Algérie il y a le coup d'Etat militaire de mai 1958 qui porta De Gaulle au pouvoir, il y a aussi la mise en place du FLN qui règne toujours sans partage sur ce pays... Rétablir la vérité sur la guerre d'Algérie, ce n'est pas seulement rappeler que, même au sein de la gauche française de Mitterand et Mendès-France, on défendait « l'Algérie française ». C'est également expliquer à nos compatriotes que la Ve République est née dans le sang des Européens d'Algérie, dans le sang des harkis, mais aussi dans le sang des nationalistes algériens dont les descendants sont parfois nos compatriotes en raison des vagues migratoires.

    En ce mois de Mars qui marque de nombreux anniversaires douloureux en lien avec ce conflit, les jeunes générations feraient bien de découvrir réellement qui était le Général De Gaulle de cette période, ce "grand patriote" qui a trahi les officiers qui l'ont propulsé au pouvoir (Salan, Jouhaud, Lagaillarde, ...), qui a abandonné des centaines de milliers d'Européens et de harkis aux bouchers du FLN, qui n'a pas hésité à employer une partie de l'Armée pour faire tirer sur des Français qui se révoltaient contre ses décisions iniques et contre leur abandon par leur propre pays. La guerre d'Algérie, c'est le viol de Lucrèce qui n'a jamais été puni.

    Les jeunes générations du FN doivent comprendre que derrière l'ascension du FN, il y a une sorte de revanche historique contre les barbouzeries gaullistes par toute une partie de l’électorat, principalement dans le sud de la France. Si De Gaulle a créé la Ve République sur le sang des "pieds-noirs", n'est-ce pas au parti co-fondé entre autre par les anciens de l'OAS de mettre à genoux, même symboliquement, la Ve République ? L'histoire aime bien les clins d’œil.

    Bien sûr, Florian Philippot et le FNJ ne doivent pas entendre grand'chose à tout cela, intoxiqués qu'ils sont par la propagande gaullo-communiste qui a réécrit l'histoire en sa faveur. Du côte algérien, c'est aussi l'histoire d'une révolution confisquée, de la corruption, du manque de perspective de la jeunesse, du revanchisme anti-français toujours présent et de l'identité kabyle malmenée. Nombreux furent les kabyles qui participèrent à la lutte pour l'indépendance nationale, mais ils furent pour beaucoup écartés du pouvoir et soumis à une politique très forte d'arabisation. Si les Français doivent en finir avec le compromis gaullo-communiste, les algériens doivent en finir avec le FLN. Et alors seulement, une page sera tournée.

    Comme se le demandait Michel de Jaeghere, rédacteur en chef du Figaro Histoire : « La guerre d'Algérie est-elle terminée ? ». La réponse est non, comme en atteste souvent les manifestations des Français d'origine algérienne, première communauté d'origine étrangère installée dans notre pays. Il est donc temps d'y mettre un terme pour que les deux rives de la Méditerranée puissent enfin se retrouver et coopérer face aux défis qui nous attendent : l'islamisme radical et la poussée démographique de l'Afrique sub-saharienne. C'est probablement la plaie purulente de la guerre d'Algérie, qui incombe en partie au général De Gaulle, qui a contribué à l'hostilité entre Français et Algériens. Une hostilité qui sert objectivement les intérêts de périls mortels pour nos deux peuples...

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  • Les stratégies des belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale

    Introduction : Le Dr. Heinz Magenheimer est historien militaire et enseigne à l’Académie de Défense Nationale à Vienne et à l’Université de Salzbourg. L’article qui suit est une présentation de son livre le plus récent, Kriegsziele und Strategien der grossen Mächte – 1939-1945, paru à Bonn en 2006 chez l’éditeur Osning.

    Contrairement aux thèses qu’affirment certains historiens, le but de guerre de l’Allemagne, immédiatement après le 1er septembre 1939, se limitait à soumettre la Pologne et à organiser la défense de l’Ouest du pays (et de la Ligne Siegfried) contre les alliés occidentaux. Il me semble passablement exagéré d’attribuer à Hitler un “plan par étapes” car la stratégie allemande dépendait entièrement des vicissitudes de la situation, que l’on ne pouvait évidemment pas prévoir. La stratégie allemande ressemble bien plutôt à de l’improvisation, car la production de guerre, à l’époque, ne suffisait pas pour faire face à une belligérance de longue durée.

    Les puissances occidentales, elles, avaient d’abord développé une stratégie défensive sur le long terme, visant l’isolement et l’exténuation de l’Allemagne. L’exigence des alliés à l’endroit de Berlin, soit la restitution de la souveraineté de la Pologne dans ses frontières, n’avait plus de sens, après l’occupation soviétique de la moitié orientale du pays, à partir du 17 septembre 1939. Les grandes puissances extérieures, soit les États-Unis et l’Union Soviétique, attendaient leur heure et espéraient tirer le maximum d’avantages de la guerre en Europe occidentale. Moscou ne pouvait qu’y gagner, si les deux camps s’épuisaient mutuellement. Les États-Unis pourraient, eux, satelliser complètement la Grande-Bretagne et la France, si la guerre durait longtemps. Les deux grandes puissances extérieures suivaient une “stratégie de la main libre”.

    La victoire rapide de la Wehrmacht en Europe occidentale à partir du 10 mai 1940 a certes renforcé la position du Reich mais n’a pas atteint le but de guerre espéré : forcer une paix de compromis avec l’Angleterre. Une prolongation de la guerre n’allait pas dans le sens de l’Allemagne. Les dirigeants britanniques ont rejeté toutes les propositions allemandes de paix et ont opté pour la lutte à outrance. Churchill suivait en cela une stratégie irrationnelle, car il mettait en jeu l’existence de l’Empire britannique. Son but de guerre était dès lors de briser une fois pour toutes la prépondérance allemande en Europe centrale, en ne craignant aucun sacrifice, ce qui, de manière inattendue, rendit la belligérance encore plus âpre. Le président américain Franklin D. Roosevelt soutenait la Grande-Bretagne, dans la mesure de ses moyens, mais son objectif final était d’absorber la puissance britannique aux profit des États-Unis et de la soumettre.

    C’est alors que la deuxième grande puissance extérieure, l’URSS, qui n’avait pas escompté une victoire aussi rapide de la Wehrmacht, se mit à préparer la guerre contre l’Allemagne. Dans ce but, elle étendit son glacis dans le Nord-Est et dans le Sud-Est de l’Europe en juin et en juillet 1940. Staline abandonna sa politique de prudence, qu’il avait suivie jusqu’à ce moment-là, se mit à préparer la guerre à grande échelle et donna son aval à un déploiement offensif de l’armée rouge, car une guerre avec l’Allemagne lui semblait inévitable.

    Comme la stratégie directe de l’Allemagne contre la Grande-Bretagne avait échoué, à la suite de la bataille aérienne pour la maîtrise du ciel anglais et que la liberté de mouvement dont le Reich bénéficiait sur ses arrières grâce au pacte germano-soviétique semblait de plus en plus menacée, Hitler décida, pendant l’hiver 40/41, de changer de stratégie : il ne fallait plus donner priorité au combat final à l’Ouest mais d’abord abattre l’Union Soviétique. Il y avait certes d’autres options stratégiques possibles mais elles n’auraient pas été moins risquées. C’est ainsi que l’Allemagne se sentit contrainte d’ouvrir une guerre sur deux fronts, pour échapper à un plus grand danger encore, celui d’une attaque directe de l’Armée Rouge à moyen terme. À l’Ouest, les Allemands devaient s’attendre tôt ou tard à l’intervention des États-Unis car Roosevelt, malgré le conflit qui l’opposait au Japon, considérait que l’Allemagne était l’ennemi principal.

    L’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS, le 22 juin 1941, ruinait tous les principes de la stratégie allemande antérieure mais offrait à Churchill une alliance avec Staline. Les dirigeants de l’Allemagne ont sous-estimé leur adversaire, qu’ils voulaient seuls et sans l’aide du Japon abattre en un bref laps de temps. C’était là une faute stratégique des États du Pacte Tripartite, que Hitler a fort regretté rétrospectivement car, disait-il, les États-Unis ne seraient jamais entrés en guerre si l’URSS s’était effondrée.

    Au Japon, on considérait que les États-Unis étaient l’ennemi principal. Après que Washington ait décrété l’embargo économique contre le Japon le 1er août 1941, l’Empire du Soleil Levant se retrouvait face à un dilemme : faire la guerre ou accepter le diktat américain. La stratégie japonaise a misé sur la destruction totale de la flotte ennemie et sur la conquête d’une solide base de matières premières dans le Sud-Est asiatique, conditions pour arriver à une paix de compromis avec les États-Unis. Le but de guerre de Roosevelt était d’abattre l’Allemagne et d’ôter toute puissance réelle à la Grande-Bretagne. Il prit le risque d’affronter également le Japon pour se retrouver, par une voie indirecte, en état de guerre avec l’Allemagne.

    Avec l’enlisement de la Wehrmacht devant Moscou en décembre 1941 et avec l’attaque japonaise contre Pearl Harbour, la guerre prit des dimensions mondiales. La deuxième puissance extérieure était désormais pleinement impliquée dans la guerre mais concentrait, dans cette première phase du conflit, l’essentiel de ses efforts contre le Japon. La déclaration de guerre de l’Allemagne aux États-Unis résultait de l’analyse suivante : tôt ou tard le Reich se trouverait tout de même en guerre avec les Américains ; pour l’instant toutefois, c’était le Japon qui subissait la pression américaine maximale.

    Les États du Pacte Tripartite commirent une deuxième erreur stratégique en 1942 : ils n’ont pas coordonné leurs efforts, mais ont mené des guerres parallèles, où l’Allemagne passait à l’offensive en Russie et le Japon dans l’espace du Pacifique. Ce que l’on a appelé le “Grand Projet” de guerre maritime en février 1942, de concert avec le Japon, avait pour objectif d’attaquer les positions britanniques en Égypte et au Moyen-Orient. Mais il ne fut pas réalisé car les chefs allemands ont renoncé à déménager vers ces régions le gros de leurs forces massées sur le front principal en Russie.

    La Wehrmacht a dû changer d’objectif à l’Est pendant l’été 1942 et passer d’une stratégie d’abattement de l’ennemi à une stratégie d’épuisement de ses forces, tandis que la stratégie japonaise n’avait quasiment plus aucune chance de concrétiser ses buts après sa défaite navale à Midway le 4 juin. Les deux pays, à partir de ce moment-là, n’ont plus fait autre chose que de lutter pour conserver leurs acquis, ce qui est l’indice d’une faiblesse stratégique. Les chefs de guerre allemands n’ont pas voulu reconnaître l’aggravation de leur situation à l’automne 1942, alors que la fortune de la guerre allait manifestement changer de camp à Stalingrad, dans le Caucase et devant El Alamein. Ils ont malgré cela envisagé des objectifs offensifs, alors que le sort leur était devenu défavorable.

    Le but de guerre de l’Union Soviétique était simple au départ : la direction soviétique voulait tout simplement assurer la continuité du régime et de l’État. Ce n’est qu’après l’échec allemand devant Moscou que leurs buts de guerre se sont lentement modifiés ; d’abord, on a voulu à Moscou récupérer les territoires qui avaient été soviétiques avant le 22 juin 1941. Mais on se réservait aussi l’option d’une paix séparée avec l’Allemagne, parce que les dirigeants soviétiques estimaient que leur pays subissait à titre principal tout le poids de la guerre. Mais lorsque la situation a réellement changé au profit des Soviétiques et que les alliés occidentaux tardaient à ouvrir le fameux “second front” en Europe occidentale, Staline a clairement envisagé d’étendre ses objectifs de conquête territoriale aussi loin à l’Ouest que possible, sans tenir compte de l’avis des “nations libérées”.

    Au début de l’année 1943, les alliés occidentaux modifient fondamentalement leurs buts de guerre, dans la mesure où ils ne visent plus à simplement affaiblir l’Allemagne et à ramener l’Europe à la situation qui prévalait avant le 1erseptembre 1939 mais à soumettre et à détruire leur adversaire allemand, à le punir de manière rigoureuse. Les chefs de guerre anglo-saxons donnèrent alors à la belligérance un caractère nettement moralisant. L’exigence d’une capitulation inconditionnelle et les directives données pour mener une guerre des bombes à outrance excluaient toute possibilité d’une paix négociée. Si les puissances de l’Axe voulaient poursuivre la guerre, elles auraient alors à encaisser de terribles coups. La guerre des bombes connut effectivement une escalade à partir du printemps de l’année 1943 et tourna véritablement, en de nombreux endroits, à une guerre d’extermination contre la population civile. Le haut commandement des forces aériennes britanniques envisageait même d’infliger à l’Allemagne des destructions si terribles que les alliés pourraient gagner la guerre sans même devoir débarquer en France.

    Après la victoire des alliés dans l’Atlantique au printemps 1943 et le début de leur offensive contre la “Forteresse Europe”, on s’aperçoit clairement que les puissances de l’Axe ne sont passées que bien trop tard à la défensive. La bataille autour de la ville russe de Koursk en juillet 1943, perdue par les Allemands, ruina définitivement leurs espoirs en une victoire limitée. Malgré quelques succès défensifs, la Wehrmacht, à la suite de cette bataille de Koursk, n’a plus subi que des revers sur le Front de l’Est, si bien que toute idée de “partie nulle” devenait impossible. Les dirigeants allemands n’ont pas exploité la possibilité de conclure une paix séparée avec Staline.

    Du côté des alliés occidentaux, on avait, au départ, des points de vue divergents quant à la stratégie à adopter. Les Américains voulaient une attaque directe contre l’Europe occidentale, en organisant un débarquement, tandis que l’état-major général britannique refusait cette option par prudence ; les Britanniques plaidaient pour une invasion de l’Italie d’abord, pour un débarquement dans le Sud ensuite. Finalement, on déboucha sur un compromis en postposant le débarquement en France et en le prévoyant pour le début de l’année 1944. Compromis qui rendit plus difficiles les relations avec Staline. Le débarquement de Normandie, en juin 1944, mené avec une écrasante supériorité en forces et en matériels, et les défaites catastrophiques subies par l’armée de terre allemande à l’Est pendant l’été 1944 firent en sorte que la guerre était définitivement perdue pour l’Allemagne. Dans le Pacifique, les Américains l’emportèrent définitivement contre le Japon après la bataille des Philippines au cours de l’automne 1944.

    La dernière offensive allemande dans les Ardennes mit une nouvelle fois toutes les cartes dans une seule donne, en négligeant les autres fronts. L’attaque, qui fut un échec, eut pour conséquence que l’offensive générale de l’armée rouge de janvier 1945 se heurta à un front dégarni et affaibli, qui s’effondra très rapidement, ce qui, simultanément, favorisait les plans de guerre de Staline.

    En résumé, on peut dire, et c’est frappant, que les buts de guerre des États belligérants, à l’exception du Japon, se sont modifiés pour l’essentiel au fil des vicissitudes. L’attitude qui a joué le plus fut incontestablement l’esprit de résistance inconditionnelle, adopté par la Grande-Bretagne à partir de l’été 1940, attitude intransigeante qui a étendu automatiquement le théâtre des opérations. Cette extension n’allait pas dans le sens des intérêts allemands ; pour la puissance extérieure à l’espace européen que sont les États-Unis, cette intransigeance britannique constituait une aubaine. Beaucoup d’historiens actuels prêtent aux dirigeants de Berlin de l’époque des prétentions à l’hégémonie mondiale, alors que la stratégie allemande n’envisageait ni la destruction de l’Empire britannique ni une attaque contre les États-Unis.

    Alors que la stratégie britannique avait pour objectif final de défaire complètement l’Allemagne,la stratégie allemande fit une volte-face et se tourna contre l’Union Soviétique car elle percevait une menace plus grande encore dans son dos. L’Allemagne a cherché ainsi à échapper à une double pression en déclenchant une guerre sur deux fronts, sans créer pour autant les conditions organisationnelles et matérielles nécessaires pour la mener à bien. L’arrêt de l’avancée de la Wehrmacht devant Moscou marque la fin d’une stratégie qui visait l’élimination de l’Union Soviétique. Les Allemands optèrent ensuite pour une stratégie d’épuisement de leur adversaire soviétique en conquérant d’énormes territoires en Ukraine et au-delà, en direction de la Volga et du Caucase. L’Allemagne s’est alors épuisée dans la défense de ces territoires conquis en 1942. De plus, les Allemands se sont payé le luxe de mener une “guerre parallèle” à celle de leurs alliés japonais.

    Face à cette situation, les buts de guerre des alliés occidentaux, auxquels se joignait l’URSS avec quelques restrictions, ont subi une modification essentielle : il ne s’agissait plus de forcer les Allemands à rendre les territoires qu’ils occupaient ou à payer des réparations ; la guerre, dès le début de 1943, prit toutes les allures d’une croisade dont le but était la soumission totale de l’adversaire. Tous les belligérants ont commis de sérieuses erreurs stratégiques, mais celles des alliés ont été beaucoup moins prépondérantes.

    Les Allemands ont réussi, pendant assez longtemps, à compenser leurs désavantages ou leurs revers par leur valeur militaire et par une gestion de la guerre souple au niveau opérationnel dans l’espoir de transformer ces atouts en une victoire stratégique. Mais finalement, les décisions erronées du commandement eurent des conséquences fatidiques et la supériorité en nombre et en matériels des adversaires eut le dessus. Les décisions qui mènent à la victoire ou à la défaite se font d’abord au niveau intellectuel, bien avant qu’elles ne deviennent tangibles sur le théâtre des opérations.

    ► Dr. Heinz Magenheimer, Junge Freiheit n°23, 2006. (tr. fr. : Robert Steuckers)

    http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/6

  • Benito Mussolini : « La Doctrine du Fascisme »

    Ouvrage fondateur du Fascisme italien rédigé par celui qui deviendra le Duce : Benito Mussolini.

     

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  • [Tribune] L’impossible langage – par Pierre Saint-Servant

    N’est-ce pas un formidable symbole de la modernité que de joindre, dans un temps extrêmement bref, l’appauvrissement d’une langue millénaire et belle comme aucune autre à l’obsession de tout ce que nous comptons d’élites de créer sans cesse de nouveaux langages compatibles avec leur quête illimitée du profit ?

    Expliquons-nous. Il était un temps, bien peu éloigné, où ces ouvrages que l’on qualifiait de romans “populaires” étaient construits à partir des solides matériaux de la langue française, en respectant les non moins solides règles de l’artisanat littéraire. Ces romans, nouvelles, feuilletons, étaient lus par le petit peuple français, quand celui-ci existait encore en chair et non seulement dans le verbiage politicien. Nous pouvions alors parler de culture populaire sans rougir, car il existait bel et bien une culture très largement partagée. La langue française était une matière inaltérée, simplement retravaillée et affinée par la succession de quelques génies et d’une myriade de serviteurs attentionnés. Matière inaltérée mais vivante, organique. Une langue mâchée, digérée, chantée et criée à chaque étage des corps sociaux, de ces corps intermédiaires qui n’avaient pas encore été broyés par le jacobinisme niveleur. Une langue accentuée, parfois malmenée, mais avec quelle tendresse, dans nos provinces les plus contrastées.

    Comme toute particularité, tout caractère trop fortement marqué, une telle langue, si exigeante et si jalouse, en somme si inégalitaire, devait disparaitre. De ce projet, nous pouvons constater l’indéniable succès. De haut en bas de la société, nous observons depuis les décennies 1950 et 1960 le profond déclin de notre langue. Au sommet de l’Etat, la richesse du champ lexical du président De Gaulle a laissé place à une affligeante pauvreté, tant dans les interventions de Nicolas Sarkozy que dans celles de François Hollande. Le dictionnaire Larousse se félicite d’ouvrir ses pages à “zénitude”, “candidater”, “vapoter” ou encore “iconique”.

     

    L’anglais envahit notre vie quotidienne, chacun devant se soumettre à sa si merveilleuse conquête, qui est celle de la science, du progrès, des “hautes” technologies et de la “turbo-finance” mondialiste. L’anglais ? Certainement pas la langue anglaise, si belle et riche, mais plutôt un mélange de vocabulaire réduit et de construction grammaticale simpliste. International, facilement exportable et permettant à un monde livré aux financiers, aux démiurges scientifiques et aux marchands, de fonctionner à moindre effort. Comme nous aurions tort de considérer les reculs de notre langue comme secondaires. Nous ne parlons pas de simples considérations d’esthètes mais bien de l’indispensable devoir de préserver l’une de ces solides murailles qui nous protègent encore du Grand Nivellement. Le combat patient mais acharné, mené – entre autres – par Radio Courtoisie, et dont les assauts répétés peuvent parfois nous faire sourire, est donc un combat de chaque jour. Il doit être nôtre.

    Il vous sera alors peut-être permis d’entendre, après les combats, ces quelques vers récités avec émotion par votre fils, petite-fille ou nièce, en amical hommage à une grande âme franque :

    O Seigneur, vous savez que couchés sur la paille
    Ou sur le dur ciment des prisons sans hublot,
    Nous avons su garder en nous, vaille que vaille,
    L’espoir sans défaillance envers des jours plus beaux.

    Psaume I, 28 octobre 1944, Robert Brasillach

    Le Français dans ce qu’il a de plus pur, de plus clair, de plus fin. Tout simplement.

    Pierre Saint-Servant

    http://fr.novopress.info/184388/tribune-limpossible-langage-pierre-saint-servant/