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culture et histoire - Page 1389

  • Perles de Culture n°50 - Daniel Dancourt présente "Les bourgeoises à la mode" au festival d'Orange

  • L’Entropie dans l’Histoire (1/4)

    « Dès lors, considérer que « La nation, c’est la guerre » est une antienne de la doxa d’aujourd’hui. »

    Introduction conclusive

    L’Histoire, conçue comme l’identification objective d’événements passés, est envisageable comme la manifestation de la recherche de l’optimum écosystémique. L’écosystème est l’espace où sont optimisés l’usage des ressources et le contingentement des contraintes auxquelles sont soumis les individus, les populations et les communautés. L’écosystème est donc l’espace où, par des relations de réciprocité, ces entités se perpétuent. Envisagée ainsi, l’Histoire est la chronologie de crises majeures provoquant des ruptures irréversibles pour tendre vers l’optimum écosystémique. Nos génomes sont l’épicentre de cette dynamique. Ils réunissent des gènes spécifiques à l’origine de nos déterminismes biologiques et comportementaux en tant qu’individus, populations, communautés, lignées.

    L’entropie est alors envisageable comme le moyen d’explorer de nouvelles postures et organisations écosystémiques. Dit en termes plus hermétiques, l’entropie est un facteur d’exploration de l’espace des phases des systèmes vivants à tous niveaux, des procaryotes à la biosphère.

    La discipline de référence pour étayer cette vue est l’Ecologie intégrant la Thermodynamique et la Sociobiologie. Quatre articles courts vont nous permettre d’appréhender l’Histoire sous cet éclairage.

    Article I de l’Entropie dans l’Histoire : le conflit comme moyen de survivre durablement.

    Victor Serge et Ilya Prigogine

    A l’occasion d’un exposé sur Victor Serge, figure de la Révolution russe, un historien résumait l’histoire de ce territoire à l’alternance de périodes longues, très rigides, entrecoupées de périodes plus courtes où tout était possible. Ainsi, proche de nous, à la Révolution russe succède le glacis stalino-bréjnévien. Aux errances gorbatcho-eltsiniennes succède la stabilité poutinienne…, jusqu’à maintenant. On verra ensuite. Dans des périodes plus reculées, l’ancienne Russie est déstabilisée au Temps des troubles (1598-1613) pour être extraordinairement stable de Pierre le Grand jusqu’à Nicolas II. De telles alternances sont observables partout, mais en Russie cela est particulièrement contrasté.

    Issu de ces contrées, le physicien russe francophone Ilya Prigogine a résumé l’évolution des systèmes en non-équilibre thermodynamique (vivant ou non-vivant) par la succession d’états stationnaires longs et d’états marginaux brefs. Physiquement, la distinction entre ces deux états est caractérisée par la capacité ou non du système à absorber le « désordre ». En termes physiques, cela correspond aux situations où l’amplitude d’une fluctuation thermodynamique, donc d’origine entropique, est inférieure ou non à la longueur de cohérence du système. Pour les spécialistes, le modèle de référence pour formaliser ces situations est les équations de Lyapounov appliquées à la stabilité des systèmes dynamiques.

    Que Prigogine, personne de haute culture connaissant parfaitement les vicissitudes de son pays, ait été à l’origine du modèle bio-physico-chimique qu’il a inventé ne ferait aucun doute pour un épistémologue. Personnalité scientifique majeure du XXe siècle, il eut l’intuition d’analyser la crise écologique ou environnementale en prenant appui sur la notion d’entropie qu’il a contribué à préciser. Ces travaux ont irrigué une multitude de disciplines, dont l’écologie. L’histoire envisagée à travers cette grille de lecture nous permet de saisir les raisons des changements profonds et des ruptures affectant nos écosystèmes artificiels que sont les sociétés humaines. L’histoire à travers ce prisme métapolitique n’est que la succession de stabilités et de ruptures brutales. Les ruptures ultimes sont les guerres intraraciales, c’est-à-dire celles opposant des individus semblables, distinguables uniquement par leurs emblèmes et leurs uniformes.

    Pourquoi la guerre ?

    Aujourd’hui, le fait est que nous vivons un état stationnaire depuis 1945. Le monde est en paix. Aucun conflit n’a opposé frontalement les grandes puissances. Certes, il y eut des morts lors de guerres périphériques, mais aucune n’atteignit les sommets de 1914-1918 et de 1939-1945. En outre, elles n’ont pas changé grand-chose à l’ordre du monde issu du dernier conflit mondial. Beaucoup voient dans ce succès le résultat de la disparition de l’état-nation dissous dans des ensembles fédérateurs. Dès lors, considérer que « La nation, c’est la guerre » est une antienne de la doxa d’aujourd’hui.

    Il est vrai que les grands conflits depuis les guerres de la Révolution française ont comme pivot l’Etat-nation, seul capable de mobiliser les millions d’hommes appelés à porter les armes. Avant cela, pourtant, il y eut des conflits gigantesques comme la Guerre de Trente Ans, la Guerre de Sept Ans, etc., mais généralement celles-ci étaient le fait de chevaliers encadrant des cohortes de déclassés sociaux qu’une guerre de succession de quelque chose permettait d’occuper, assimilant dans cet esprit la guerre à de l’hygiène sociale pour les plus optimistes.

    Cependant, ces morts et les désolations créées étaient déjà de trop, suscitant l’imagination pour les limiter. Ainsi, tout le monde aujourd’hui revendique les propos de Montesquieu qui dans De l’esprit des lois affirme que « Où il y a des mœurs douces, il y a du commerce », et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. A cela les marxistes répondront que l’essence du commerce, c’est le capitalisme ; que celui-ci conduit à l’impérialisme ; et l’impérialisme à la guerre – guerre que le maréchal Helmut von Moltke portait aux nues : « La guerre est sainte (…). Elle empêche les hommes de tomber dans le plus répugnant matérialisme. » Ce à quoi Maupassant répondait : « Entrer dans un pays, égorger l’homme qui défend sa maison (…) et laisser derrière soi la misère et le choléra : voilà ce qu’on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme… ». Etc.

    Indépendamment des justifications possibles de la guerre se pose ainsi la question de ses déterminants avec comme seule réponse qu’il est impossible de les identifier à une seule cause. Les motifs pour faire la guerre sont innombrables. Un seul constat s’impose : c’est un phénomène récurrent dont il convient encore de réfléchir sur ses causes premières, amenant la vox populi à clamer que « la guerre est dans l’homme ». Allant plus loin, Ernst Jünger a pu écrire dans La Guerre comme expérience intérieure : « La guerre n’est pas instituée par l’homme (…), elle est loi de la nature. »

    Un écologue ne pourrait désavouer ces propos car le conflit est immanent à la nature. Votre voisin est votre garde-manger, mais vous êtes son garde-manger. Et pourtant, tous vivent les uns à côté des autres. C’est donc cette loi de la nature irrépressible que nous allons éclairer à la lueur de l’écologie, de la thermodynamique et de la sociobiologie sur le fondement d’une idée-clé : les compétitions intra- et inter-espèces garantissent paradoxalement la pérennité des lignées interagissant.

    Pourtant, l’heure n’est pas à l’exaltation de ces attitudes. Les générations nées pendant ou après le baby-boom n’ont jamais porté les armes et donc n’ont jamais participé à ces ordalies décisives. Une conscience de soi réduite à l’individu domine nos esprits actuellement.

    Cependant, la conclusion s’imposant est que la guerre, ou le conflit en général, participe au façonnage des écosystèmes artificiels et à leur rééquilibrage, l’écosystème étant le lieu où les individus et les lignées constitutives se perpétuent. Le conflit est alors envisageable comme un phénomène éliminant les constituants et pratiques obérant la perpétuation des parties viables, mais aussi une réaction à la croissance de l’entropie irréversible que subit toute structure en non-équilibre thermodynamique. Il s’agit dans tous les cas de pérenniser leurs lignées constitutives.

    Ainsi envisagé, le moteur de l’Histoire n’est pas le cheminement vers une fin, mais la perpétuelle adaptation à des changements. L’histoire est la manifestation de nos gènes, c’est-à-dire de la Vie, à se perpétuer. Nos aïeux qualifiaient cela de « vitalisme ». Ceci se fait à travers des génomes, des individus, des lignées, des populations, des communautés à la recherche d’un optimum écosystémique inaccessible en raison, d’une part, des changements perpétuels de la géosphère, et, d’autre part, de la croissance irréversible de l’entropie selon le second principe de la thermodynamique. Paradoxalement, la Vie ou plutôt nos gènes imposent ces ordalies que sont les guerres pour survivre. A l’issue de ces conflits, les systèmes politiques se recomposent sur des bases plus efficientes. Les personnalités dirigeantes changent ; des peuples entrent dans l’histoire ou en sortent ; les populations se restructurent sur des fondements plus viables ; les communautés se recomposent, etc. En résumé, l’ordre métapolitique mute.

    C’est cette entropie consubstantielle à tout système en non-équilibre thermodynamique qui anime cette dynamique. (A suivre)

    Frédéric Malaval, 9/03/2015

    http://www.polemia.com/lentropie-dans-lhistoire-14/

  • Kiel et Tanger de Charles Maurras : essai géostratégique visionnaire et source intellectuelle de la Vème République

    La constitution de 1958, fixant les bases de la Vème République, n’est pas née uniquement de la guerre d’Algérie et de la crise institutionnelle qui secouaient alors la France. Elle est avant tout fille de la pensée politique du général de Gaulle qui a synthétisé les mouvements nationalistes et monarchistes à la croisée des siècles. Ainsi, Kiel et Tanger, l’essai géopolitique de Charles Maurras, paru en 1910, apparaît comme une source d’inspiration de la Vème République. Le livre développe également une puissante analyse de la politique européenne d’avant la Première Guerre Mondiale.

     

    Charles Maurras incarne, sur la boussole de notre monde politique, une droite honnie, réactionnaire et hostile à la République que la classe dirigeante regarde aujourd’hui avec défiance. Pourtant, son œuvre, tombée dans l’oubli, n’est pas une succession de textes haineux et d’appels aux pogroms. Malgré un antisémitisme assumé, qui n’est pas le cœur de sa réflexion, la lecture de Maurras reste précieuse pour celui qui s’intéresse à l’histoire des idées et de la politique française. Ses écrits monarchistes ont en effet structuré une partie de la droite française et inspiré paradoxalement la constitution de la République sous laquelle nous vivons actuellement.

    D’une alliance à l’autre

    La thèse de Kiel et Tanger est simple : seule la monarchie est capable de diriger la France car la République est impuissante à mener une vraie politique étrangère, stable et libérée des passions politiques. Dans une période agitée par la rivalité franco-allemande, la France risque de céder à l’instabilité politique. Celle-ci la mine de l’intérieur et la rend impuissante à l’extérieur. Afin d’illustrer sa thèse, le chantre du « nationalisme intégral » analyse le renversement d’alliance qui s’opère dans la politique étrangère française entre les deux bornes chronologiques que sont la rencontre au large de Kiel entre les escadres russes, allemandes et françaises, en 1895, et le coup de Tanger, événement politique majeur provoqué par l’arrivée surprise de l’empereur allemand au Maroc en 1905.

    Kiel est le symbole de l’alliance franco-russe mise en place par le gouvernement conservateur et son ministre des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux. Cette stratégie est marquée par le rapprochement entre les deux pays et l’Allemagne. Une alliance contre nature puisque depuis la défaite de 1870, la France cultive un esprit de revanche afin de récupérer ses provinces perdues. L’objectif est d’unir ces puissances continentales contre la thalassocratie anglaise qui domine les mers et le commerce mondial. Une stratégie absurde selon Maurras, car la France choisit d’affronter la première marine de guerre du monde sans développer la sienne qui reste faible au regard de la flotte britannique. La République lui paraît donc incapable d’assumer ses ambitions stratégiques. Cette hostilité à l’encontre de la puissance britannique débouche sur la crise de Fachoda en 1898 qui oppose alors la France et la Grande Bretagne sur une question de frontières coloniales en Afrique subsaharienne. Les deux pays sont au bord d’une guerre, finalement désamorcée par la négociation et un recul français jugé déshonorant par Maurras et les milieux nationalistes [...]

    La suite sur Philitt

    via http://www.actionfrancaise.net/craf/?Kiel-et-Tanger-de-Charles-Maurras

  • Maurice Barrès et Charles Maurras : la République ou le Roi

    Tous deux dénonçaient les dérives du parlementarisme et du jacobinisme. Tous deux voulaient un pouvoir fort et décentralisé. Cependant, Maurice Barrès était républicain et Charles Maurras royaliste. Le second a voulu convertir le premier. En vain.

     

    Lorsque Charles Maurras entre à l’Action française en 1898, le groupe nationaliste est encore républicain. Les fondateurs, Henri Vaugeois et Maurice Pujo, n’envisagent pas un instant de faire de ce mouvement intellectuel et politique un outil pour la restauration de la monarchie. Mais c’est sans compter sur le jeune Maurras qui, par sa force de persuasion et ses qualités de logicien, va convertir les membres de l’Action française un par un. Maurice Barrès, grande figure du nationalisme et ami de Maurras, sera un des rares à résister aux syllogismes de son cadet. Il demeurera républicain jusqu’à la fin.

    Dans une lettre du 22 août 1900, Barrès répond aux arguments avancés par Maurras dans son Enquête sur la monarchie. L’auteur des Déracinés concède tout d’abord un point à Maurras : « Pour m’en tenir à l’essentiel, je crois avec vous qu’il faut une raison qui commande dans l’État » et d’ajouter « Deux siècles de mauvais gouvernements ont enfoncé les Français dans cette erreur, où j’ai moi-même incliné un instant, que le mieux pour une nation était le moins de gouvernement possible. » Tous deux souhaitent le rétablissement d’un exécutif fort pour remédier aux dérives du parlementarisme. Barrès semble par ailleurs revenir de sa sympathie pour l’anarchisme qu’il avait développé dans sa première trilogie Le Culte du Moi. Cela dit, Barrès – même s’il semble avoir un profond respect pour le courant de pensée qui porte cette idée – estime que l’option royaliste n’est envisageable que si la famille héritière du trône suscite dans la population une sympathie et un enthousiasme important. Sans ce soutien du peuple, la monarchie n’a ni sens ni légitimité et voit son efficacité politique renvoyée à la pure théorie.

    « Je comprends très bien qu’une intelligence jugeant in abstracto adopte le système monarchique qui a constitué le territoire français […] Mais dans l’ordre des faits, pour que la Monarchie vaille, il faudrait qu’il se trouvât en France une famille ralliant sur son nom la majorité (sinon la totalité), la grande majorité des électeurs ; or voilà qui n’existe pas », écrit Barrès. Contrairement à l’Allemagne ou la Russie, la France ne peut mettre de côté cette coupure violente entre le peuple et le roi que fut la Révolution française. Le ralliement des Français à la monarchie doit se faire de manière instinctive. Or, la république a pris une place importante dans l’imaginaire collectif. De plus, un roi se doit d’être entouré et Barrès remarque le profond déclin de l’aristocratie, ce « corps indispensable à la monarchie traditionnelle ». [....]

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  • L’Entropie dans l’Histoire (2/4)

    Article II de l’Entropie dans l’Histoire : l’Ecologie au service de l’Histoire

    « Précisons que dans la Ve République, cette approche suscite des réactions hostiles, que ce soit à l’égard de la sociobiologie ou de la thermodynamique du non-équilbre ».

    Rappels d’écologie

    La vision écologiste repose sur l’intégration des différentes manifestations du vivant allant du gène à la planète-terre ; pour le moment. Les catégories intermédiaires sont le génome, l’individu, la population, la communauté, l’écosystème. Au-dessus de ces catégories, on trouve la biosphère, la géosphère, et, pour homo sapiens, dans une approche très réductrice, l’artisphère et la noosphère. Le génome est une association de gènes stables dans le temps s’exprimant à travers un individu, dont la réunion à ses semblables crée une population, qui, associée à d’autres populations, forme une communauté, qui, inscrite dans un substrat géoclimatique, devient un écosytème. Au dessus, …

    Une présentation sommaire de l’écologie ayant été déjà faite dans Polémia, nous invitons le lecteur à relire les articles publiés par le soussigné : « Regard écologique sur le surclassement social et son lien avec l’immigration », « Regard écologique sur la dette souveraine », « Ecoracialisme », « Prophétie », etc.(1)

    En résumé, le fonctionnement de tout ceci repose sur des transferts d’énergie entre différentes entités, mais pas seulement. L’énergie est associée à de la matière et à des informations, l’ensemble étant qualifé de flux néguentropiques. Le physicien Erwin Schrödinger (Nobel 1933), auteur de Qu’est-ce que la vie ? (1944), est un des savants à l’origine de cette notion. Le modèle de référence qui en est issu repose sur l’identification de toute manifestation du vivant à une structure dissipative, notion issue de la thermodynamique du non-équilibre.

    Cherchant à comprendre le moteur de tout ceci, des écologues réunis dans la catégorie des biosociologues considèrent que le gène et son conservatisme motivent toutes les manifestations supragénétiques se réalisant par une dialectique gène-milieu cherchant à réaliser l’optimum énergétique. Ce modèle est ultradominant aujourd’hui ; couplé à une conception de la vie reposant sur la sélection naturelle, non pas conçue comme la victoire du plus fort – ineptie de ses contempteurs – mais du plus adapté. Précisons cependant que dans la VeRépublique, cette approche suscite des réactions hostiles, que ce soit à l’égard de la sociobiologie ou de la thermodynamique du non-équilbre.

    Rappels de thermodynamique

    Parmi les principaux concepts issus des travaux portant sur le rôle de l’entropie dans la structuration des systèmes se sont imposées les notions de branche thermodynamique, d’état stationnaire, d’état marginal, de point de bifurcation, de structure dissipative, etc. Le siège d’un état stationnaire est une structure dissipative. C’est là que s’exercent les forces animant un système en non-équilibre thermodynamique. Pour les spécialistes, une structure dissipative se caractérise par les relations de réciprocité de Lars Onsager (Nobel 1968), où, « en thermodynamique des systèmes hors équilibre, ces relations de réciprocité relient des quantités nommées flux et forces dans le cadre de systèmes hors de l’équilibre global, mais suffisamment proches de celui-ci pour être régis par une certaine forme d’équilibre local » (Wikipedia). Les biologistes dans le sillage de Claude Bernard parlent d’homéostasie. Les thermodynamiciens parlent de situations proches de l’équilibre, bien qu’en non-équilibre thermodynamique toutefois. Il faudrait trouver de nouveaux mots, car cela crée de la confusion…

    Une structure dissipative est un système séparé de son milieu par une limite et dont elle est distinguable. Son existence est conditionnée à la dissipation de flux néguentropiques. Cette dissipation est à l’origine d’une production d’entropie conformément au second principe de la thermodynamique et à l’équation du bilan entropique. L’entropie réversible est rejetée dans le milieu. En revanche, la part irréversible reste dans le système dont elle est une des composantes. La distinguabilité du système à l’égard du milieu est due à sa complexité qui est supérieure. Une distinction est faite entre les structures biotiques et les structures abiotiques, comme un tourbillon, par exemple. Ilya Prigogine s’est souvent appuyé sur les cellules de Bénard pour illustrer sa conception d’un système dissipatif abiotique.

    Un exemple de structure dissipative biotique est un organisme, comme vous ou moi. Pour vivre, nous devons manger, nous chauffer, être éduqués, etc. Cela requiert de la matière, de l’énergie et des informations. Nous devons aussi rejeter les déchets issus de la dissipation de ces flux (entropie réversible). Ainsi, toutes les grandes villes sont constellées de stations d’épuration pour traiter nos eaux noires issues des toilettes avant qu’elles soient rejetées dans les fleuves et rivières. En revanche, nous ne pouvons rien faire contre l’entropie irréversible. Nous vieillissons irrémédiablement. L’issue en est un retour à l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire la destruction de la structure : la mort. Mais nos gènes assurent la continuité par la reproduction. La vie est donc envisageable comme l’enchâssement de structures de complexités différentes transférant entre elles de la matière, de l’énergie et des informations. L’écosystème est l’espace où ces échanges sont optimisés entre des constituants différents, garantissant leur perpétuation en s’associant ainsi. La notion de pyramide écologique est une image simple, mais pertinente, pour résumer cette conception. Ces échanges se font par la prédation, par la symbiose, par le parasitisme, mais aussi par le don. Tout ceci permet l‘entretien de la complexité et, dans une perspective évolutionniste, la complexification.

    Une des caractéristiques essentielles de la complexité est l’apparition d’émergences aux propriétés irréductibles à celles de leurs constituants. Ainsi, les caractéristiques d’un homo sapiens lambda ne sont pas réductibles à celles de son foie ou de son cerveau, ou, mieux encore, à celles des milliards de bactéries que nous abritons. Idem, le comportement d’un individu engagé dans un processus collectif n’est pas réductible à son comportement quand il est esseulé. Le plus doux des hommes peut se transformer en guerrier redoutable à l’occasion d’une guerre vitale, alors que le voyou terrorisant son voisinage se révèle être un pleutre lorsque la violence est généralisée. Les savants qualifient de « complexité d’émergence » l’irréductibilité du Tout aux parties.

    C’est sous ce dernier éclairage que sont envisagés les déterminants de l’évolution des structures dissipatives. Le monde vivant, aujourd’hui comme hier, apparaît alors comme une infinité de structures dissipatives intégrées les unes aux autres. La biosphère en est le cadre commun. La multiplicité des types d’êtres vivants est envisagée alors comme le résultat de l’évolution biologique qui se déroule sur notre planète depuis des dizaines de millions d’années. En assimilant la biosphère à une structure dissipative, cette évolution est la conséquence du flux ininterrompu d’énergie arrivant à la surface de la terre depuis des milliards d’années qui a fait naître, puis a modelé et diversifié peu à peu la biosphère, permettant l’accumulation d’une quantité d’informations sans cesse croissante transmise de génération en génération par le système des molécules d’ADN. La biosphère est le résultat d’un nombre immense de transformations, et chaque espèce actuellement présente a une très longue histoire qui remonte à l’apparition de la vie sur la Terre. Mais l’émergence de l’humanité, puis de la société industrielle, ont profondément modifié les rythmes et les cycles naturels. Le recours à des énergies fossiles a permis d’augmenter dans des proportions énormes la quantité d’énergie disponible, mais aussi la production d‘entropie. La crise écologique en est la conséquence.

    L’entropie

    Ilya Prigogine (Nobel 1977) a donné à l’entropie une nouvelle dimension. Sur ces fondements, elle est tout à la fois facteur de désagrégation des systèmes en non-équilibre thermodynamique conformément au Second Principe, mais aussi facteur d’exploration de l’espace des phases. L’entropie est alors envisageable comme l’élément permettant à tout système d’explorer les situations garantissant sa stabilité. Ces travaux se sont inscrits à une époque où dominait l’idée que le désordre était facteur d’ordre.

    Les économistes ont ainsi souligné la destruction créatrice immanente au capitalisme, lui garantissant sa supériorité sur tous les autres modèles économiques. Les biologistes, dans le sillage de Darwin, ont envisagé l’aléa génétique comme le moyen pour la vie d’explorer de nouvelles formes, de nouveaux comportements afin d’avoir toujours une solution en cas de changement drastique du milieu. Finalement, la récursivité du hasard et de la nécessité s’est imposée après que Jacques Monod (Nobel 1965) eut popularisé cette association par le titre d’un de ses plus fameux ouvrages. Mais, avant lui, d’autres philosophes plus hermétiques avaient déjà souligné cette consubstantialité. On citera Démocrite, saint Thomas d’Aquin et d’autres innombrables. A la lueur des enseignements de la science contemporaine, les historiens de la philosophie auraient sans aucun doute beaucoup à écrire sur l’histoire de cette relation.

    Retenons à notre niveau qu’il y a donc un véritable effet paradoxal de l’entropie. Elle est à la fois menace et espoir. Elle soulève toutefois une ambiguïté majeure : l’entropie ne se définit pas ni ne se mesure, la condamnant encore à alimenter le discours de philosophes, mais pas complètement celui des scientifiques. Les précédents articles ont tenté d’approcher l’essence de ce concept.

    Le plus pertinent est de l’associer au désordre, intuition qu’eut Boltzmann, qui, lui, est une notion accessible à tous. Aussi, il s’agit désormais d’envisager le rôle du désordre dans le fonctionnnement des écosystèmes et particulièrement des écosystèmes artificiels à l’origine de l’Histoire car le changement est inscrit en eux. Le modèle issu du cours de Jacques Chanu sur les branches thermodynamiques éclairera cette vue (2).

    Celui-ci distingue les états stationnaires des états marginaux. Dans les premiers, l’ordre règne, l’entropie est limitée à des seuils ne compromettant pas la stabilité des systèmes. Puis, conformément au Second Principe, cette entropie croît, engageant le système vers plus d’instabilité jusqu’au moment où les désordres créés suscitent un changement d’état. Le système entre alors en état marginal où toutes les possibilités d’évolution vont s’opposer jusqu’à la détermination de l’optimale à l’origine d’un nouvel état stationnaire, jusqu’à… et ainsi de suite. Les biologistes ont noté que les systèmes issus de ces états marginaux sont en général plus complexes que les précédents. Les évolutionnistes ont ainsi envisagé l’apparition de nouvelles formes comme l’occupation de nouveaux espaces écologiques rendus possibles par la complexification de formes disparues ou maintenues à des stades moins complexes et dans des espaces écologiques plus grands. Ainsi, les bactéries existent toujours, mais homo sapiens domine la planète aujourd’hui. Malgré un Second Principe de la thermodynamique condamnant au désordre toute structure en non-équilibre thermodynamique, la complexification est une donnée incontestable et incontestée par les évolutionnistes. Ceux-ci, en effet, n’observent pas de régressions adaptatives dans les processus d’adaptation des lignées à leurs milieux. Lorsque l’une d’entre elles atteint son potentiel maximum de complexification, et alors que la croissance de l’entropie continue, elle disparaît, ouvrant les espaces désertés à d’autres formes d’occupation… écologiques.
    (A suivre)

    Frédéric Malaval, 18/03/2015

    http://www.polemia.com/lentropie-dans-lhistoire-24/

  • L’Entropie dans l’Histoire (3/4)

     Article III de l’Entropie dans l’Hisoire : L’entropie comme facteur de complexification

    (…) La fin d’une lignée, c’est-à-dire la perpétuation d’une entité biologiquement homogène et stable dans le temps, survient lorsque son potentiel maximum de complexification est atteint.

    Dans cette situation, l’entité considérée ne possède plus la capacité à contrarier les effets de l’entropie créée conformément au Second Principe de la Thermodynamique. Elle disparaît alors, ouvrant les espaces désertés à d’autres formes d’occupation… écologiques.

    Complexité et entropie

    La notion de complexité d’émergence s’est imposée à la fin des années 1970. On citera comme protagonistes W. Weaver et C. Schannon pour la théorie de la communication ; A. Turing et H. von Foerster pour les théories de la computation ; N. Wiener pour la cybernétique, D. Ruelle pour la théorie du chaos, I. Prigogine pour la thermodynamique des systèmes dissipatifs et d’autres, tout aussi importants. Un des enseignements principaux issus de ces travaux est que l’ordre naît du bruit (H. von Foerster) ou de la fluctuation thermodynamique (I. Prigogine), donc du désordre. Ces auteurs invitent à se pencher sur la relation ordre-désordre qui apparaît essentielle à l’existence d’écosystèmes conçus comme des structures dissipatives. Une des ruptures essentielles créées par ces nouvelles conceptions est de reconsidérer le désordre comme phénomène à part entière. En termes plus savants, on oppose alors l’entropie (le désordre) à la complexité (l’ordre). Antagoniste de l’entropie, la variable « complexité » s’impose comme l’émergence fondamentale issue de la vocation exploratoire de l’entropie. La conclusion est alors que celle-ci est un facteur de complexification.

    Conformément au Second Principe, la croissance de la dimension irréversible de l’entropie, c’est-à-dire celle qui ne peut être rejetée à l’extérieur, conduit le système vers le désordre, donc vers sa fin en tant que structure dissipant des flux. Mais, simultanément, cette entropie, en tant que génératrice de fluctuations thermodynamiques, participe à l’exploration de l’espace des phases, donc à l’évolution du système. L’espace des phases est le terme savant pour désigner l’espace multidimensionnel où le système est « en équilibre ». Prigogine a résumé ce constat par l’expression d’ « ordre par la fluctuation ». L’entropie a donc une dimension paradoxale. L’ordre, c’est-à-dire la structuration du système, est identifié à la complexité ; et le désordre à l’entropie. L’évolution de toute structure se présente alors comme la résultante d’une dialectique associant l’ordre au désordre, la complexité à l’entropie.

    L’idée qui s’impose alors est que lorsqu’un certain niveau d’entropie – que nous qualifierons de seuil critique – est atteint, le système se déstructure. La complexité tend alors subitement vers zéro, alors que l’entropie tend vers son maximum. Entropie et production d’entropie sont en relation inverse. Quand l’entropie est à son maximum, la production d’entropie est nulle. C’est la mort, c’est-à-dire la réalisation des conséquences du Second Principe de la Thermodynamique. C’est ce qui se passe quand une entité en non-équilibre thermodynamique, quelle qu’elle soit, meurt.

    Une fois que le seuil critique d’entropie interne est atteint, le système disparaît ou mute. Cette mutation se réalise dans le cadre d’un état marginal où l’entropie alors, donc le désordre, va générer une multitude d’options possibles dont une sera celle engageant le système modifié, bien évidemment, vers un nouvel état stationnaire. Le constat de la complexification des formes du vivant au cours du temps, mais aussi de leur disparition, soutient cette vision fondée sur la dialectique création/destruction dont la complexité, envisagée comme une variable d’état, est le pivot.

    A ce stade, la dialectique entropie/complexité apparaît comme le moteur de l’évolution, non pas conçue comme la recherche d’une fin, mais de l’adaptation constante de toutes les structures du vivant aux contraintes qui s’imposent à elles et dont elles tirent leurs ressources. Les finalités éventuelles relèvent de la philosophie ou de la religion.

    Temps absolu et temps complexe

    Les fondements du paradigme animant nos certitudes sont profondément mouvementés par ces nouvelles données. Ainsi, l’approche des systèmes complexes assimilés à des structures dissipatives repose sur une dialectique ordre-désordre, entropie-complexité, création-destruction dans une perspective temporelle. Mais le temps prend alors une autre dimension que celle qui lui est généralement attribuée dans la science classique.

    Dans cette dernière, le temps n’intervient pas dans l’évolution des systèmes mais sert seulement de référentiel à leur configuration dans un espace neutre. Or, cette conclusion bute sur de nombreux paradoxes dès que la prise en compte de la complexité devient le pivot de l’approche des phénomènes. A un temps chronologique de référence il est alors nécessaire d’adjoindre un temps complexe, intégré à la matière. Le savant Maïmonide (1138 -1204) fut une des personnalités entrevoyant cette conception du temps, marginalisée depuis par celle de temps absolu. Or, ce temps complexe est plus apte à formaliser les différentes expressions de la complexité. Le temps y devient alors une ressource, avec comme conséquence l’irréversibilité dont le Second Principe de la Thermodynamique rend compte à travers la notion d’entropie. Dans les théories à l’origine des principes de fonctionnement des écosystèmes, le temps perd alors son statut exclusif de référentiel pour acquérir celui de ressource (Ph. Esquissaud, J. Vigneron, 1990).

    Evolution et complexification.

    Dans le modèle évolutionniste d’aujourd’hui, la complexification des formes du vivant est la règle absolue de l’évolution. Toutefois, le rythme de l’évolution vers la complexité est contingent et les formes de la complexité dépendent de l’apparition aléatoire de niches écologiques. A la controverse sur les facteurs de complexification le paléontologue Steven Gould (1977) a défendu l’idée suivante :

    Si l’on considère que les organismes occupent un « espace morphologique multidimensionnel » (la niche écologique des écologues), alors l’évolution consiste en bonne partie à la migration passive des lignées dans différentes régions de cet espace. Certaines régions représentent les organismes plus complexes, d’autres ceux qui le sont moins. Puisque les premières formes de la vie étaient d’une grande simplicité, les seules régions de l’espace morphologique susceptibles d’être colonisées furent d’abord celles correspondant à une plus grande complexité. Les organismes ont suivi cette voie non pas parce que la complexité était « mieux », mais parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de devenir complexe. Eminent darwinien, cet auteur est probablement l’opposant le plus acharné à l’idée de progrès évolutif formulé par Huxley.

    Relevons que près d’un siècle avant cette polémique, Darwin avait reconnu l’importance des innovations dans l’évolution. De formes initiales simples naissent des formes plus complexes, ce qui stimule en retour l’apparition d’une plus grande complexité ailleurs. Pour lui, nul besoin d’invoquer une « loi » qui conduirait les premiers organismes simples vers une complexité plus grande. Le progrès – envisagé ici non pas comme le cheminement vers une fin, mais le constat de la complexification – est lié aux pressions compétitives contingentes, mais prévisibles. Cela explique la stupéfiante variété des écosystèmes terrestres. L’évolution de la vie est alors conçue comme la succession de structures dissipatives qui, indépendamment de leur origine, naissent, évoluent et meurent en créant toutefois les conditions d’émergence de structures généralement plus complexes, sauf lors de phénomènes de régression adaptative… controversés.

    Il y a donc un nouveau modèle évolutif à inventer reposant sur la notion de branche thermodynamique (voir Le Temps complexe). La pierre angulaire de ce modèle serait la structure dissipative, de sa naissance à sa disparition, animée par une dialectique complexité/entropie. Le facteur décisif de l’évolution serait alors que la complexification est une réponse à la croissance irréversible de l’entropie. Une fois que le potentiel maximum de complexification serait atteint, l’entité considérée disparaîtrait. Par extension, ce modèle permettrait de compléter les théories concernant la disparition de clades entiers au cours des temps.

    Ces vues pourraient alors être transférées aux écosystèmes humanisés, associées au constat que la civilisation industrielle a atteint un degré de complexité inconnu auparavant. C’est la Globalisation d’aujourd’hui. Or, ce modèle, né en Europe occidentale, s’impose à toute la planète maintenant.

    Nous sommes ici obligés d’aller à l’essentiel en éludant les contributions démonstratives et les propos un peu plus hermétiques. Les réduire à quelques lignes impose beaucoup de raccourcis, sources potentielles de mésinterprétations. Un recours à la littérature savante sur ces sujets serait utile au lecteur désirant aller plus loin. La petite bibliographie fournie dans Le Temps complexe ouvre la porte à une littérature très vaste sur ce sujet. Cependant cette brève évocation des controverses animant l’espace des savants permet de fournir des éléments à une conception de l’histoire reposant sur la théorie des systèmes dissipatifs et du rôle paradoxal qu’y joue l’entropie en leur sein.

    Dans le prochain article, nous verrons comment ce modèle est transférable à l’interprétation de l’Histoire. Ce faisant, nous aboutirons à la conclusion politique issue de tout ceci, à savoir qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais systèmes politiques ; il n’y a que des systèmes adaptés ou inadaptés aux circonstances écosystémiques. L’Histoire rend compte de leur triomphe et de leur élimination.

    Frédéric Malaval, 25/03/2015

    Frédéric Malaval est philosophe, écologiste, essayiste.

    http://www.polemia.com/lentropie-dans-lhistoire-34/