Cette année fut celle du sacre d'Hugues Capet, mais aussi de son fils Robert. Dépositaire d’une couronne très dévaluée, le père entreprit de soustraire le royaume aux compétitions électorales. Ce n’était pas un homme mais une famille qui se donnait à la France.
Cette année-là, Hugues Capet, comte de Paris, duc des Francs, avait été élu roi des Francs à Senlis le 1er juin et couronné à Noyon le 3 juillet. Redisons-le : pour le porter sur le trône, l'archevêque Adalbéron avait nettement vanté les mérites de l'élection contre l'hérédité. Il savait qu'en maintenant les Carolingiens sur le trône, le "Saint- Empire romain germanique" ne serait jamais en paix ; il croyait donc avoir "fait" un roi docile à l'Église même dans les affaires temporelles...
Le trône et l’autel
Hugues n'entendait pas les choses de cette oreille. Très pieux, grand ami des moines de Cluny, il n'en distinguait pas moins les domaines. Il savait qu'il n'était pas la créature de l'élection, ni même celle de l'évêque ; il ne devait son élévation même pas à ses seuls mérites personnels, mais aux exploits accomplis pour le bien public par sa lignée depuis quatre générations. Il était donc roi de droit naturel, l'élection n'ayant pas créé mais seulement reconnu ce droit.
Toutefois la couronne, après les médiocres Carolingiens, se trouvait très dévaluée, les féodaux s'érigeant de toutes parts en souverains indépendants. Sur son propre domaine, entre Senlis et Orléans, l'autorité royale était bravée par de petits seigneurs qui étaient de grands brigands, tandis que les vassaux directs, comtes de Blois, comtes d'Anjou..., se montraient bien plus opulents que leur roi. Les comtés de Flandre, de Vermandois étaient aussi des vraies puissances, de même que le duché de Normandie, pour le moment allié d'Hugues Capet, et le duché de Bourgogne, alors possession d'un de ses frères, Henri. Au sud de la Loire, la puissante maison de Poitiers régnait sur l'immense duché d'Aquitaine et le duc Guillaume IV Fier-à-Bras, bien que beau-frère d'Hugues, n'était pas un allié sûr, d'autant que ses démêlés avec le comte de Toulouse l'obligeaient à batailler sans cesse. Plus au sud, les comtes de Gasgogne, de Narbonne, de Barcelone n'entretenaient guère de relations avec le roi.
Voilà donc Hugues élu par des électeurs ne lui rendant hommage que du bout des lèvres et toujours prêts à lui lancer en pleine figure : Qui t'a fait roi ? Il était clair que sa mission dépassait sa propre personne : rassembler, unifier l'ancien royaume de Clovis et de Charles le Chauve demanderait des générations. Rien n'était donc plus urgent que de s'assurer la continuité, donc, en dépit des réticences d'Adalbéron, de soustraire la couronne encore fragile aux compétitions électorales.
Hugues fut le plus astucieux !
Hugues avait de son mariage avec Adélaïde d'Aquitaine trois filles et un fils unique Robert, alors âgé de quinze ans. Il soignait particulièrement l'éducation de celui-ci : ne l'avait-il pas confié à ce génie qu'était Gerbert, né en 945, jeune pâtre d'Aurillac devenu, après avoir été formé par les moines de Saint- Géraud, puis par des physiciens et des linguistes espagnols, un véritable génie au point d'émerveiller le pape Jean XIII et l'empereur Othon 1er et de devenir, auprès de l'archevêque Adalbéron, dans l'école archiépiscopale de Reims, le maître le plus réputé de tout l'Occident ? Dès onze ans, Robert avait donc dans cette école côtoyé les fils des Grands de ce monde, recevant une éducation complète - religieuse, philosophique, littéraire -, sans négliger pour autant l'équitation et le maniement des armes : tout ce qui convenait à un futur roi de France. Mais comment l'imposer aux grands féodaux ?
Hugues fut heureusement le plus astucieux. Il avait reçu une lettre de Borel, comte de Barcelone (celui-là même qui, le premier, avait décelé le génie de Gerbert...) lui demandant de l'aide contre les Sarrasins. Partir pour un voyage aussi lointain et aussi dangereux sans s'être assuré un successeur était impensable ! « Si je meurs au combat, qui me remplacera ? », dit-il aux Grands pour les convaincre d'élire Robert roi associé. Après tout, quelques années plus tôt le roi Lothaire n'avait-il pas lui-même de son vivant fait élire le jeune Louis V ? La cause fut entendue et dès la nuit de Noël 987, en la cathédrale Saint-Croix d'Orléans, Robert était sacré par... Adalbéron lui-même !
Ainsi Hugues Capet avait-il su, sans proclamer de loi, de façon tout empirique et déjà très "capétienne" (jamais il ne devait aller à Barcelone !), combiner la coutume élective avec une prodigieuse idée d'avenir : la transmission héréditaire par ordre de primogéniture. On sait qu'au bout de six générations la coutume allait être tellement entrée dans les moeurs qu'il n'y aurait plus besoin de faire élire le fils aîné.
Ainsi dès sa fondation la monarchie capétienne devint l'incarnation de la nation qui se perpétue par ses familles. En cette année 987, année de deux sacres, ce n'est pas un homme, mais une famille qui se donna à la France - une famille qui, 1 022 ans après, revient à Senlis manifester, par un beau mariage, sa volonté de poursuivre son oeuvre dans les générations à venir.
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 16 avril au 6 mai 2009