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Nos ancêtres les Gaulois par Pierre Gaxotte de l'Académie française

L'immense succès du huitième volume des aventures d'Astérix - la première édition de 600 000 exemplaires s'est enlevée en quelques jours - prouverait-il que les Français s'intéressent à leurs ancêtres les Gaulois ? En tout cas, le guerrier malin et rouspéteur Astérix, aidé par Obélix, livreur de menhirs, par Abraracourcix, le valeureux chef de tribu, par Assurancetourix, le barde, a trouvé des amis. Demandons à Pierre Gaxotte, à qui l'on doit l'Histoire des Français, l'Histoire d'Allemagne (Flammarion), le Siècle de Louis XIV, etc., de nous dire ce qu'étaient les Gaulois.
Le mot Gallia, Gaule, supposant le mot Gallus, Gaulois (pluriel : Galli), se montre pour la première fois dans les Origines de Caton, vers 168 avant J.-C. Pour les écrivains latins, les Galli sont des Celtes septentrionaux.
Ils distinguaient entre la Gaule cisalpine et la Gaule transalpine, la première sur le versant oriental des Alpes (de ce côté-ci, par rapport à Rome), la seconde sur le versant occidental (de l'autre côté, pour les Romains).
Puis, quand l'Italie politique et administrative se fut étendue jusqu'au bassin du Pô inclusivement, il n'y eut plus d'autre Gaule que celle qui s'étendait des Pyrénées aux Alpes et au Rhin. César la définit ainsi à la première ligne de ses Commentaires.
Ce qui frappait tout d'abord, c'était l'immensité des forêts. Elles occupaient la majeure partie du sol, les deux tiers au moins. Ce qui en subsiste n'en peut même donner l'idée. Elles s'étalaient alors dans toutes les directions, mais c'est surtout au nord de la Loire qu'elles présentaient une masse profonde et quasi continue.
un pays de forêts
Presque étouffées par elles, les terres cultivées apparaissaient comme d'étroites clairières prenant jour le long des fleuves, autour des ruisseaux, sur les terrasses et dans les vallons de collines étagées. Les plus considérables se trouvaient en Beauce, en Limagne, dans la plaine toulousaine et le Soissonnais.
Sous le dôme de feuillage vivaient, avec les sangliers et les loups, les animaux monstrueux qui épouvantaient les Méditerranéens : rennes, élans, aurochs, difformes héritiers du chaos primitif. Les troupeaux de chevaux, le gros et le petit bétail trouvaient pâture dans les clairières.
Les porcs vaguaient par milliers dans les chênaies. Ils étaient de taille énorme, à moitié sauvages. Leur viande, fraîche ou salée, faisait, avec le laitage, le fond de l'alimentation.
Mais les forêts n'étaient pas abandonnées aux tanières des bêtes ou aux courses rapides des chasseurs. Des populations nombreuses de «boisilleurs» y ont toujours élu domicile : bûcherons, charbonniers, sabotiers, fagoteurs, charrons, potiers, résiniers, tourneurs, briquetiers, chercheurs de miel sauvage, arracheurs d'écorces, faiseurs de cendres... Comme le minerai de fer se trouvait un peu partout, en petits gisements épars, les fondeurs et les forgerons s'établissaient, eux aussi, à proximité du combustible.
Que de Gaulois se sont appelés SiIvanus ou Silvinius ! Que de Français, Dubois ou Dubosc !
10 à 15 millions d'habitants
Au second siècle avant notre ère, la Gaule passait pour une des régions les plus peuplées du monde. Cette opinion ne venait pas de l'exacte connaissance du pays ; elle traduisait la façon dont les Celtes et les Galates s'étaient présentés au monde gréco-romain. À l'époque des invasions, la surprise et la crainte troublèrent les calculs des Méditerranéens ; leur imagination fit le reste.
À ces vagues hyperboles, les érudits modernes ont substitué des tableaux et des statistiques. S'aidant des chiffres d'effectifs militaires, ils ont évalué la masse totale des Gaulois, Belges et Rhénans compris, tantôt à cinq millions d'âmes - ce qui est sans doute trop peu - tantôt à trente millions - ce qui est excessif, eu égard à l'étendue des friches, des forêts et des marécages. Mais un chiffre compris entre 10 et 15 n'est pas invraisemblable.
Tous ces hommes étaient répartis en tribus, sociétés permanentes que les Latins appelèrent pagi. Leurs territoires étaient parfaitement délimités à la fois par les règlements entre voisins et par les conditions du sol.
Dans les montagnes, c'était un vallon ; dans les pays de forêts, une vaste clairière fertile. Quelquefois un étang ou un bassin maritime donnait à la tribu son caractère propre.
Certaines tribus s'adonnaient surtout à la pêche, d'autres à la culture ou à l'élevage. « Ce lien entre le sol et les hommes était si naturel et si puissant qu'après deux mille ans de vie nationale, la plupart des pays de France observent encore une manière à eux de parler, de penser et de travailler. » (Jullian.)
Mais précisément ces pays d'une seule tenue, ces petites unités si nettes et si monotones, ne pouvaient servir de base à de véritables Etats, c'est-à-dire à des unités économiques et militaires, capables de se suffire à peu près en tout.
Le vrai groupe politique de la Gaule, César l'appelle Civitas, la Cité. Ce n'est pas une ville, c'est un être moral, un peuple organisé, une concorde, une société de protection et de solidarité, disposant de territoires complémentaires, plaines et montagnes, guérets et bois, bons et mauvais pays, unis les uns aux autres pour échanger à la fois leurs produits et leurs moyens de défense.
Au-dessus des trois ou quatre cents tribus, apparaissent cinquante à soixante cités. Les plus considérables s'étendent sur trois ou quatre de nos départements, les plus petites arrivent au tiers ou au quart.
Sous le nom d'Arvernes se groupent les hommes de la Limagne, du plateau granitique, des monts d'Auvergne et du Livradois. Aux Lingons appartiennent le plateau de Langres et le Dijonnais. Les Séquanes descendent des monts du Jura jusqu'au Doubs et à la Saône.
Les Carnutes réunissent la plaine de la Beauce et les collines du Perche ; les Eduens le noir et glacial Morvan, les coteaux élevés du Beaujolais et du Charolais, la plaine de Bourgogne, les pâturages du Nivernais, les landes de la Sologne bourbonnaise. L'unité et la force de leur État viennent de ce qu'il est à cheval sur la Loire, l'Allier et la Saône.
L'usage des voies d'eau et la perception de péages sont pour les Eduens une source incomparable de puissance et de fortune. Leurs voisins s'en rendent compte et s'efforcent de leur arracher ces avantages.
les noms gaulois ont subsisté
Il importe, au début de notre histoire, de prêter une attention particulière à cette répartition du sol. Les limites des nations gauloises ont survécu à l'indépendance. Elles se retrouvent, non sans vicissitudes, dans le tracé des circonscriptions romaines, des évêchés, des bailliages.
Leurs noms ont traversé les âges pour parvenir jusqu'à nous. Arras est la ville des Atrebates, Amiens celle des Ambiani, Trêves celle des Trevires, Reims celle des Rèmes, Soissons celle des Suessiones, Metz celle des Mediomatrici, Senlis celle des Silvanectes, Paris celle des Parisii, Troyes celle des Tricasses, Langres celle des Lingons, Chartres celle des Carnutes, Bourges celle des Bituriges.
Les terres exploitées sont si bien cadastrées que les arpenteurs du fisc romain n'auront qu'à embrigader les arpenteurs gaulois, auxquels ils prendront même quelques termes de leur vocabulaire, en tout cas leurs mesures : l'arpent, la lieue, sont celtiques. 
Cet attachement au sol a un revers. Les Gaulois que rencontra César n'étaient plus les terribles Gaulois de la bataille de l'Allia, les Celtes qui se conduisaient quelques siècles plus tôt comme les maîtres méprisants de l'Europe. Tel chef éduen s'appelle bien encore Dumnorix, roi du monde, tel peuple arbore fièrement le nom de Bituriges, rois de l'univers : ce ne sont que des souvenirs.
Tout a changé. Les Gaulois n'ont pas seulement renoncé au char de guerre qui avait jadis disloqué les légions, ils ont perdu le moral qui soutenait leurs ambitions. La guerre civile s'est installée dans toutes les cités.
La monarchie a peu à peu disparu. Une grande partie de la population est opprimée. Le gouvernement est aristocratique.
Les nobles, les puissants dominent les assemblées et accaparent les magistratures. Ils commandent personnellement à de grandes masses d'hommes. D'abord, à leurs esclaves : l'Helvète Orgetorix, le plus riche propriétaire de son pays, en a dix mille. Puis aux ambacts que les Romains appelèrent des clients : ce sont des hommes libres qui se sont donnés à un maître par serment. Ils vivent de ses dons, ont droit à sa protection, l'assistent dans ses querelles et le suivent à la guerre comme écuyers et gardes du corps.
L'État perçoit des impôts : un impôt direct qui pèse surtout sur les pauvres, des péages, des douanes et des loyers. Chez les Eduens, Dumnorix s'offrit un jour à prendre à ferme les péages. Personne n'osa surenchérir ; il fut déclaré fermier à un prix dérisoire.
les villes
À en juger par les textes de César qui sont la principale source de nos connaissances, toutes les régions de la Gaule auraient possédé à peu près également des villages et des fermes isolées où vivaient les nobles, entourés de leurs hommes d'armes et de leurs serviteurs.
Or, ce sont là des formes très distinctes de l'habitat rural et nous constatons, à l'époque moderne, qu'elles se trouvent très rarement associées. Il y a des provinces de groupement comme l'Alsace, la Lorraine et la Franche-Comté, et des provinces de dispersion, comme le Bocage normand et la Bretagne.
Cette répartition différente de la population rurale s'explique non seulement par la nature du sol, la distribution des points d'eau, les conditions du travail, mais aussi par la façon dont la terre est possédée et par les traditions propres à chaque région. On est donc amené à croire qu'au temps des Gaulois les contrastes étaient moins poussés, moins établis qu'aujourd'hui.
Nous sommes mieux renseignés sur les places fortes. À vingt-cinq kilomètres d'Autun, à l'extrémité méridionale du Morvan, se détache une sorte de promontoire qui domine tout le pays environnant. C'est le mont Beuvray, dans l'antiquité Bibracte.
Sur le plateau qui le couronne s'élevait, à huit cents mètres d'altitude, la capitale des Eduens, retrouvée et exhumée à partir de 1865. Cet enclos de 5 kilomètres de tour et de 135 hectares de superficie n'était pas habité dans toute son étendue : c'était un refuge pour le temps de guerre.
Gergovie, capitale des Arvernes, de moindre superficie, put recueillir quatre vingt mille soldats. En temps ordinaire, Bibracte devait ressembler aux grandes cités du Turkestan, où, derrière les levées et les palissades de l'enceinte, on trouve, alternant, des amas de cabanes, des terrains vagues, des cimetières, des champs de foire, des dépôts d'armes, des granges et des greniers. La population permanente était composée d'artisans qui, à l'abri du rempart, étaient venus chercher la sécurité nécessaire à qui emploie le capital.
Lyon n'existe pas encore
À droite et à gauche du chemin central qui traverse l'oppidum du nord au sud s'étagent en gradins des lignes irrégulières de masures à demi souterraines, baraques de vente, habitations et ateliers, les uns minuscules, les autres assez vastes et bien organisés.
Une sorte de gradation semble régler la succession de ces ateliers à mesure que l'on s'avance vers le centre : d'abord les fonderies, puis les forges, puis la quincaillerie, enfin l'orfèvrerie et l'émaillage.
Ailleurs, en Normandie, en Anjou, dans le Berry, en Lorraine, les archéologues ont souvent constaté les rapports étroits qui paraissent unir la métallurgie du fer et certains ensembles de fortifications très anciennes ; Les murs contenaient des scories en abondance ; le sol, par endroits, en était parsemé.
En somme, l'oppidum gaulois est un atelier et, par occasions, une foire ou un marché. À la différence de bien des villes de l'Italie, primitive et antique, il n'est en aucune façon un centre agricole.
Assurément, toutes les villes fortes de la Gaule n'étaient pas situées sur des hauteurs aussi farouches, de climat aussi rude et aussi venteux. Lutèce, la ville des Parisii, était dans une île ; À varicum, la ville des Bituriges, dans la plaine, protégée par des marais. Aussi les habitants en étaient-ils plus nombreux, les demeures moins incommodes, l'aspect plus riant.
Un trait imprévu de la géographie gauloise mérite encore d'être signalé : Lyon n'existe pas. Combien de fois cependant a-t-on décrit les avantages impérieux du site où s'est fixée la ville, au confluent de deux grandes rivières, à la jonction de plusieurs routes importantes ! Or, les Eduens trafiquent à Mâcon et à Chalon, les Allobroges à Genève et à Vienne. Ni les uns, ni les autres ne paraissent avoir songé à Lyon.
De tous les lieux souverains de la France future, c'est donc vers le mieux doué que les hommes ne convergent pas encore. Est-ce parce que Lyon est trop proche d'une frontière âprement disputée ? Peut-être. Mais cet épisode démontre qu'il n'est pas, en géographie humaine, de nécessité absolue. La nature offre des possibilités, et même des tentations. En dernière analyse, l'homme choisit.
sur les routes
Commercialement, la Gaule n'était point isolée. Elle faisait partie d'un milieu économique plus vaste. Les métaux, or, argent, cuivre, fer, dont elle tenait marché et qu'elle trouvait épars sur son sol ou dans les sables de ses rivières, lui avaient donné une réputation de richesse, d'ailleurs surfaite, car beaucoup de ces petits gisements s'épuisèrent vite.
Elle expédiait à Rome des lainages, des salaisons et des esclaves. Toujours en guerre entre eux, ou contre leurs voisins, les Gaulois regorgeaient de cette denrée, dont ils se servaient volontiers comme d'un instrument d'échange. On donnait un esclave pour une amphore de vin, prix courant.
De Grèce et d'Italie, ils faisaient venir des objets de luxe, dont les archéologues ont trouvé de nombreux exemplaires dans les tombes, couronnes, miroirs, coupes de céramique peinte. Au surplus, depuis le second siècle (avant .J.-C.) au moins, les Gaulois se servaient de l'alphabet grec.
Les voies de communication étaient nombreuses et variées. La vitesse avec laquelle se sont déplacées les légions romaines fait penser que les pistes étaient suffisamment entretenues, que les ponts et les bacs ne manquaient pas. Nous savons du moins qu'il existait trois grands ponts sur la Loire, près de Saumur, à Orléans et à Nevers, un sur l'Allier à Moulins, un sur la Seine à Paris, deux sur le Rhône, à Genève et à Pont-Saint-Esprit.
Les voies d'eau étaient plus fréquentées encore. Il y avait un grand rassemblement de barques, de pirogues et de radeaux, en amont de Paris, vers Melun et Meaux, un autre sur le Rhône vers Avignon. La liaison entre la Loire et le Rhône se faisait par la montagne de Tarare qui appartenait aux Eduens et, plus au sud, par le col du Pal qui appartenait aux Arvernes.
La marine était nombreuse et exercée. Les rivages de l'Armorique et de la Normandie formaient une même route océanique, longue et sinueuse, qui allait sans lacune d'île en île et de port en port, depuis les sables de Vendée jusqu'aux falaises du pays de Caux : et le long de cette route se sont confédérées toutes les cités qui en étaient riveraines.
Au premier siècle avant J.-C., la prépondérance appartenait aux Vénètes (Morbihan) qui avaient presque monopolisé le trafic avec la Grande-Bretagne, productrice d'étain. Ce commerce déterminait des relations continues, des services à peu près réguliers. Le port de débarquement était Corbilon (peut-être Saint-Nazaire), au débouché du chemin de la Loire ; un autre se formait déjà à Boulogne, à quelques heures seulement de la rive opposée. De la Manche à Marseille, par bateaux et par chariots, le transport du métal demandait un mois.
les Gaulois chez eux
Bien que le sol français recèle toutes sortes de roches, les Gaulois n'ont pas bâti de murailles maçonnées. Les remparts de leurs citadelles étaient composés d'une charpente en bois et d'un appareillage en pierres. S'ils pouvaient résister aux attaques, ils cédaient assez vite à l'action du temps : le bois pourrissait et les blocs, privés de soutien, s'effondraient.
Les maisons sont faites de bois, de claies de roseau, de chaume et de torchis. Elles ont la forme ronde des habitations primitives en tous pays. Une toiture en pente leur tient lieu de couronne. Au milieu, un trou pour laisser passer la fumée.
Les pauvres n'ont que cette simple cabane ; les riches un vrai bâtiment avec un vestibule, des chambres de repos (ils donnent sur des tapis ou des fourrures), une salle d'apparat qui est à la fois salon et cuisine. Au mur sont clouées les têtes des vaincus illustres ; d'autres, soigneusement embaumées à l'huile de cèdre, sont conservées dans des coffres, principaux meubles de la maison.
Voici un banquet. Le chef ou l'invitant est assis au milieu, à égale distance de tous les égaux, car les Gaulois sont gens à protocole, à hiérarchie et à formalités. S'il s'agit de nobles, les hôtes sont accompagnés de serviteurs et d'écuyers qui se tiennent derrière eux portant les boucliers et les épées. Les femmes sont à part, mais elles paraissent à leur heure.
L'assistance est propre et bien vêtue, car les Celtes ont grand soin de leur personne et ils n'ont pas peur de se baigner. Ils portent les cheveux demi-longs, relevés sur le front, quelquefois teints ou décolorés à l'eau de chaux.
L'imagerie populaire leur prête de gigantesques moustaches tombantes à la façon des gendarmes de vaudeville. Le Gaulois mourant du Capitole n'a qu'une moustache très courte et les monnaies portent l'effigie d'un Vercingétorix glabre.
Les hommes sont vêtus d'une chemise de lin, d'un pantalon long en laine (les braies), non pas flottant comme chez les Scythes, mais très ajusté, d'une blouse serrée à la taille par une ceinture et d'un manteau agrafé (la saie ou le sayon). Les chaussures, en très bon cuir, sont des chausses et non des sandales. Tout le costume est de couleurs vives et variées, car on sait cultiver un grand nombre de plantes tinctoriales, entre autres le pastel qui donne le bleu et la jacinthe qui donne le rouge.
Le bijou le plus caractéristique est une sorte de collier serré que les Latins ont appelé torques parce que le modèle le plus simple est fait d'une tige de métal tordue. Les plus beaux sont en or, chargés d'ornements en relief.
Les convives s'assoient sur des bottes de roseaux autour d'une table basse. Les viandes rôties à la broche, bouillies ou cuites à l'étuvée, sont apportées sur de grands plats en métal. Les convives saisissent les morceaux à pleines mains et y mordent à belles dents. De temps en temps, ils se servent d'un petit couteau pour couper un tendon ou trancher une articulation. Au menu figurent aussi des poissons, du pain avec des oignons et de l'ail, un brouet d'avoine et d'orge, des pommes et des noisettes.
Le vin est, rare car il vient d'Italie ou de Grèce. On boit surtout du miel délayé dans l'eau, de la bière d'orge ou de blé, dans laquelle on a fait macérer des herbes aromatiques, notamment du cumin. C'est dans ces festins, semble-t-il, que survivaient avec leurs excès traditionnels le souci, le culte, la culture maladive de l'honneur. Les Romains s'étonnaient que presque toutes les beuveries gauloises s'achevassent en rixe. Mais c'est pour cela qu'on se réunissait.
le père, maître absolu de sa famille
On voudrait savoir comment les Gaulois vivaient en famille. Chacun d'eux se présente simplement comme le fils de son père Vercingétorix, fils de Celtic. Il n'existe pas de vocable familial et héréditaire.
Selon César, le père est maître absolu de sa maison, de sa femme et de ses enfants mineurs, avec droit de vie et de mort. Pourtant, il n'achète pas sa femme. C'est elle, au contraire, qui lui apporte une dot, le mari la double d'un bien égal et ce patrimoine inaliénable, grossi chaque année du revenu, reste la propriété du survivant.
Le mariage est une institution aussi régulière et rituelle que dans l'ancienne Rome. On peut supposer que la dignité de l'épouse, le respect de la mère, ont été sinon des faits constants, du moins des formules de vertus et de devoirs.
Les Gaulois n'ont pas eu d'art plastique, mais un art industriel très estimable. Leurs armes sont belles. Leurs boucles de ceintures, agrafes, broches (ou fibules), vases de métal et vases de terre, témoignent d'un goût réfléchi pour l'ornementation géométrique. Surtout, ils ont inventé beaucoup, d'objets de première importance, qui sont restés en usage dans la vie domestique.
Pour conserver le vin, ils remplacèrent les amphores de terre cuite, seules en usage chez les Grecs et chez les Romains, par les futailles en bois, douvées et cerclées. Gardé quelques mois en fût, le vin vieillit mieux, en prenant tout son bouquet. En outre, les tonneaux sont faciles à équilibrer et se prêtent à la manipulation.
L'outillage agricole et artisanal doit encore aux Gaulois le char à bancs, la herse pour briser les mottes, le tamis en crin ne cheval ; la tarière à mèche en spirale, la grande faux pour les foins, enfin la véritable charrue.
Le labour se faisait encore chez les Méditerranéens à l'aide de l'araire primitif, la charrue sans roue des peuples arriérés. Les hommes du nord imaginèrent autre chose : ils attachaient le timon à un avant-train muni de roues et par-devant le soc, ils suspendaient un coutre ou couteau, dont la partie acérée était dirigée vers le bas, pour trancher la terre compacte et amorcer le sillon.
les dieux
Les Gaulois avaient un grand nombre de dieux qui se mêlaient à tous les phénomènes de la nature. Certains étaient attachés à un lieu, à une fontaine, à une source, à un fleuve, à une forêt. D'autres se manifestaient partout. C'est ainsi qu'un dieu des eaux, Borvo, a donné son nom à la fois à La Bourboule, à Bourbonne-les-Bains, à Bourbon-Lancy et à Bourbon l'Archambault. On lui jetait des offrandes dans les étangs.
Les petites gens avaient un culte particulier pour des déesses familières que les Gallo-Romains ont appelé les déesses mères. Elles dispensent et entretiennent la vie. Vêtues de longues robes, dans une attitude paisible et grave, elles tiennent sur leurs genoux ou dans leurs mains des corbeilles de fleurs, des cornes d'abondance ou des enfants nouveau-nés.
Bien entendu, ces représentations sont postérieures el la conquête. Auparavant, les dieux avaient sûrement des aventures, un type, une physionomie, mais ils ne vivaient que dans les imaginations. Si les plus grands avaient déjà des statues, ce n'étaient que d'informes piliers de bois ou de pierre qui rappelaient le dieu, mais qui ne prétendaient pas le montrer.
Les Anciens nous citent avec des signalements incertains quelques noms, mais nous ne savons même pas s'il s'agit des divinités d'un canton ou de divinités généralement reconnues. Teutatès signifie certainement le dieu du peuple. Esus signifie peut-être le seigneur. Taranis est le nom commun du tonnerre. On nous dit qu'ils formaient une triade. Comment s'articulait-elle ? Mystère.
C'est à peine si, grâce à des figurations des temps gallo-romains nous entrevoyons quelques mythes. Esus, par exemple, est-ce le dieu bûcheron qui, sur l'autel trouvé dans la Cité et conservé au musée de Cluny, abat un arbre près d'un monstre, un taureau surmonté de trois grues, larvos trigaranos, vieille figure assurément puisqu'un comique athénien du IIIe siècle avant notre ère, au lendemain de l'invasion celtique qui avait failli submerger l'Orient, parle du trygéranon comme d'un animal redoutable qui ne se trouve pas en Grèce... 
Les dieux participaient à tous les moments de l'existence terrestre. La naissance, les fiançailles, le mariage, les procès, la maladie, un voyage, la réception d'un hôte, la chasse, la guerre, le travail, exigeaient que l'un d'eux fût pris à témoin. Le calendrier trouve à Coligny nous montre que les mois et les jours avaient une valeur religieuse propre. L'espace lui-même était imprégné de divinité.
les druides
Aussi n'est-il pas surprenant que les prêtres, les druides, aient une telle place dans la société. Leur intervention dans le culte est souveraine et continue. Point d'acte important dans la famille ou dans la cité qui se passe de leur concours.
II ne leur manque même pas l'arme terrible de l'excommunication, qui retranche le coupable de la vie régulière pour le vouer à l'exil et aux frayeurs. Aucune loi ne protège plus l'excommunié, aucune justice ne lui est due. Nul ne peut s'approcher de lui. Il est maudit à jamais chez tous les peuples.
Les dieux gaulois sont avides d'or et de sang. D'énormes holocaustes d'êtres humains, prisonniers innocents, condamnés à mort, leur sont présentés à dates fixes et en cas de péril public. Esus demande que ses victimes soient pendues aux arbres, Taran aime les bûchers, Teutatès les noyades, d'autres les crucifixions.
Et toujours les druides servent d'intermédiaires dans ce trafic sanglant. Ils sont en relation immédiate avec les puissances invisibles ; ils parlent en leur nom ; ils connaissent les paroles magiques, les incantations et les interdictions rituelles qui servent à les désarmer et à les séduire.
En outre, les druides sont les éducateurs de la jeunesse ; ils n'instruisent pas seulement ceux qui se destinent à leur succession, mais tous les jeunes nobles qui viennent à eux. C'est une des singularités les plus remarquables de la société gauloise ; les fils des principaux de chaque nation sont soumis à un noviciat intellectuel qui est dirigé par des prêtres et qui a le caractère solennel d'une initiation. L'usage de l'écriture est interdit. Il faut écouter, retenir, apprendre par cœur, ne rien perdre des vérités révélées.
Quel était le contenu de cet enseignement ? Il englobait sans doute le droit, les traditions épiques, la liturgie, l'histoire des dieux, l'art d'interpréter les présages. Mais les connaissances scientifiques des druides étaient fort courtes, tout juste suffisantes pour dresser un calendrier lunaire.
Ce qui nous est parvenu directement d'eux est une sentence à trois membres, une triade comme les Celtes les affectionnaient : « Aimer les dieux, ne rien faire de bas, exercer son courage. » On peut en déduire que les préceptes moraux sur le sens de la vie tenaient une grande place dans les directions.
pas de temple chez les Gaulois (1)
Cependant, les druides possédaient une doctrine métaphysique. Ils croyaient à l'immortalité de l'âme et pensaient qu'au-delà de la tombe la vie continue sur des terres fabuleuses, vaguement entrevues dans les mers du couchant, d'où l'âme revient un jour pour être incarnée à nouveau. En somme, un capital constant et roulant d'âmes est distribué entre les deux mondes géminés et les échanges entre les deux se font vie par vie et âme par âme (H. Hubert).
Pour le guerrier, la mort n'est qu'une introduction à d'autres exploits héroïques. Aussi emporte-t-il avec lui ses plus belles armes et ses plus riches parures. Bien entendu, les mystères sont le privilège du patriciat ; les leçons s'adaptent à la vie même de l'aristocratie, dont elles contribuent à conserver les vertus militaires et les privilèges sociaux.
Cette religion sans livres et sans idoles fut aussi une religion sans temple bâti. Les lieux de réunion étaient des enceintes à ciel ouvert situées au sommet des montagnes dans les clairières des forêts.
Une fois par an, les druides de toutes les cités s'assemblaient au pays des Carnutes, autour du grand prêtre et, après les sacrifices, ils se constituaient en tribunal d'arbitrage. C'est à eux qu'étaient portées les affaires de meurtre et d'héritage. Ils fixaient les sommes dont les meurtriers pouvaient racheter leur crime. Leur prestige et la crainte des dieux garantissaient l'exécution des sentences.
Les druides ne forment pas une caste héréditaire. Ils sont un ordre de la société, mais aussi une confrérie, un collège que l'on a rapproché des confréries analogues qui ont existé chez d'autres peuples indo-européens, flamines et pontifes de Rome, mages iraniens, brahmanes de l'Inde.
Enfin, ils représentent une institution internationale, commune aux Celtes de l'Occident, ceux de Gaule, et ceux de Grande-Bretagne sinon ceux d'Irlande que des savants disent avoir mené une vie indépendante. Par eux se maintiennent dans le monde celtique, continental et insulaire, les mêmes idées morales, les mêmes traditions mythologiques, les mêmes pratiques rituelles, les mêmes solutions juridiques, c'est-à-dire tout ce qui assure le fonctionnement de la société.
La psychologie collective est un genre assez arbitraire. Cependant, on peut dire qu'avec tous ses défauts : crédulité, turbulence, bavardage, instabilité d'humeur, et de résolution, le Gaulois portait en lui le stimulant le plus énergique du progrès, le sentiment et l'orgueil de sa personnalité.
pourquoi la Gaule a perdu son indépendance
La grande faiblesse de la Gaule a été de ne pas former un corps de nation. Nous voyons, à la vérité, dans quelques circonstances les députés de plusieurs peuples se réunir en une sorte de congrès et se concerter pour préparer une entreprise commune, mais nous ne voyons jamais une assemblée régulière qui se tînt à époques fixes, qui eût les attributions déterminées et constantes, qui fût réputée supérieure aux différents peuples et qui exerçât sur eux quelque autorité.
Les nations gauloises se faisaient la guerre ou concluaient des alliances, entre elles et avec l'étranger, comme font les États souverains. Il existait assurément un patriotisme supérieur fait d'éléments dissemblables, communauté de nom, de langue et de mœurs, relations commerciales et religieuses, mêmes façons de penser et de sentir, même code de l'honneur et de l'hospitalité. Mais ces liens assez lâches ne remplaçaient pas une entente politique.
Dans l'intérieur même de chaque peuple, les esprits étaient divisés. « Les Gaulois, a écrit César, changent aisément de volonté ; ils sont légers et mobiles, ils aiment les révolutions. »
Les désordres tenaient une grande place dans toutes les existences ; le pouvoir se déplaçait incessamment ; les intérêts, les convoitises, les dévouements, s'attachaient au parti plus qu'à la patrie ; l'amitié ou la haine d'une cité dépendait de celui que la dernière crise intérieure avait porté au pouvoir. Il n'est pas douteux que chaque homme n'envisageât l'intervention de l'étranger selon le bien ou le mal qu'elle devait faire à sa faction.
Les divisions des Gaulois rendirent très facile la conquête romaine.
Pierre Gaxotte de l'Académie française Historia janvier 1967
(1) Contrairement à se que dit l'auteur, les celtes et donc les Gaulois avaient des temples.

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