Quoi qu’on en dise, et quelque raison qu’on se fasse d’une décadence de la morale politique qui semble ne pas connaître de limites, entre tripatouillages et bidouillages à l’intérieur d’un même parti, palinodies tranquilles et cyniques au faîte du pouvoir, discrédit répété des institutions et des fondations de la République de la part même de ceux qui sont censés en assurer la solidité et la pérennité, rien ne nous est épargné. C’est ainsi que l’écurie Sarkozy est souillée de crottins, au point qu’on lui souhaiterait un Hercule, si l’on ne lui désirait davantage le sort que Samson avait réservé au temple de Dagon ; ce même Sarkozy, inquiété pour des sommes d’argent illicites ayant pu servir à financer sa campagne de 2007, et provenant de la générosité sénile de Liliane Bettencourt, a recours à la tactique qui lui a si bien réussi durant son mandat, de dénigrement du juge, et du mépris affiché pour l’institution judiciaire, pendant que, dans le même temps, une action en justice est diligentée pour y voir un peu plus clair dans les dysfonctionnement de Sciences Po, école « prestigieuse », pourvoyeuse d’une élite dont on fait les cadres de la vie publique, et dans l’organisation de laquelle personne, durant ces cinq ans pendant lesquels Descoings et sa mafia s’étaient évertués à saper l’enseignement national, n’avait rien perçu d’anormal. La gauche n’étant pas en reste dans cette course à l’infamie, elle qui criait à l’injustice lorsque l’on attentait à la retraite à 60 ans, elle qui voyait dans la « Règle d’or » et le traité de stabilité européen un obstacle scandaleux à l’indépendance des politiques nationales, elle qui dénonçait avec force rhétorique les mesures de prélèvements fiscaux portant sur la TVA, n’a pas fait mieux que de se renier à une vitesse qui a médusé ceux qui croyaient encore qu’elle était encore à gauche.
Il est vrai que, depuis des lustres, notre classe politique apparaît comme une caste au-dessus de toute atteinte. La coupure avec le peuple, avec la nation, semble irréversible, et le déni de démocratie qu'a été le rejet sournois et méprisant du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen a été un révélateur éloquent de ce schisme. Un autre signe est la liste des membres de l'oligarchie qui passent à travers les gouttes de la justice; et quand bien même ils seraient atteints par quelque gouttelette, comme Ayrault, Désir et Juppé, on voit bien que leurs protections imperméables leur permettent de postuler aux plus hautes fonctions.
La désaffection pour la chose publique, qui se traduit pas l’abstention et le vote pour des partis « protestataires », ainsi que par des sondages catastrophiques, ne laissent pas d’interroger sur la stabilité d’un régime qui se survit à lui-même, et qui ne semble plus avoir de légitimité que dans les liens qu’il tisse avec des puissances transnationales, occultes ou non, et dans le bruit des lobbies intérieurs qui saturent l’espace médiatique au point de faire croire à la profondeur de leur existence et de leur importance sociale. La farce dont a été victime récemment la notion, pourtant très grave, de « clause de conscience », en est une illustration, qui permet de juger par les faits la légèreté peu reluisante de ceux qui tiennent les rênes du pays.
A l’occasion du Congrès des maires de France, le mardi 20 novembre, auguste assemblée qui, d’une certaine façon, incarne la France profonde, la France des 36 000 communes, le président de la République, François Hollande, a concédé, comme c’est le cas pour les médecins qui refusent de pratiquer des avortements, le « droit de conscience ». C’était une demande de plusieurs centaines d’élus locaux. Un brin de démagogie politicienne s’est bien lové dans cette protestation contre un « mariage pour tous » que les religions monothéistes considèrent, à juste titre, comme dangereux pour nos traditions et notre civilisation, puisqu’une pétition avait été organisée par Copé et le courant de la « Droite dure », comme l’on dit, mais cela n’enlevait pas à la revendication un caractère légitime qui rencontre un écho dans l’opinion.
Or, dès le lendemain, les groupuscules, les comités bien en cour des pratiques sexuelles tous azimuts, les stars de la chanson politicienne, les maîtres chanteurs, les corbeaux des plateaux télé, les maquereaux des micros et les brouteuses de paillassons ministériels, bref, une brigade d’associations dont l’unique légitimité est leur financement public et l’appui puissant que le personnel médiatique leur apporte, sont montés sur la barricade pour entonner l’air déclamatoire de la République qu’on assassine.
Le porte-parole de l'Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans), après un entretien d’une demi-heure avec le chef de l’Etat, a proclamé : "Il n'y aura pas de liberté de conscience dans le projet de loi sur le mariage pour tous qui sera présenté". Et Hollande d’obtempérer : « La loi doit s’appliquer partout… ».
On n’est pas plus conciliant et obéissant.
Noël Mamère avait prévenu : "Cela signe la victoire idéologique de la droite". Il avait jugé qu’"en cédant aux maires les plus ultra, François Hollande [faisait] preuve d'une mollesse politique inexplicable". Mieux vaut sans doute la mollesse devant des minorités qui semblent chez elles dans les ores de l’Elysée…
Ce même Mamère s’était illustré en célébrant symboliquement un mariage homosexuel dans la mairie de sa bonne ville de Bègles, et cela en enfreignant clairement le règlement qu’il invoque maintenant, et qui enjoint effectivement aux représentants de l’Etat de respecter formellement les lois de la République.
Faut-il rappeler à une gauche qui, parvenue au pouvoir, se sent soudain pourvue d’un devoir rigoureux – et menaçant – de rappel à la loi, qu’elle avait fait de la « désobéissance civile » un cheval de bataille, un fonds de commerce ? Souvenons-nous que dans les écoles, les instituteurs arguaient de leur droit de citoyen pour refuser d’évaluer les élèves, que des associations soutenaient les sans papiers, les cachaient aux forces de police, que l'association "droit au logement" organisait, sans qu'il ait eu protestation des partis de gouvernement, gauche comprise, l'occupation illégale d'appartements, que des faucheurs de maïs transgéniques narguaient l’Etat (à bon droit, me semble-t-il), que, plus anciennement, des femmes ont revendiqué des interruptions de grossesse quand cette pratique était illégale, et encore plus lointainement, que des militants de gauche ont apporté leur soutien à des nationalistes algériens, lesquels tiraient sur nos soldats. Inutile de rappeler aussi que les pussy riot, ce groupuscule d'agit prop occidentaliste et financé par des organisations américaines, sont soutenues par tout ce que la planète libérale compte de bonnes âmes éprises de libertés infinies - dont celle, probablement, du renard dans le poulailler. On a vu le Ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot, ridiculiser sa fonction en arborant une cagoule à la manière de cette secte hystérique.
Quel drôle de déclaration de la part de Hollande, d’ailleurs, qui, le 11 novembre, réhabilitait des mutins de la Grande Guerre ! Au nom de quoi donc certains s’étaient-ils refusé à aller combattre ? Si l’on fait la part de la lâcheté, finalement compréhensible humainement dans cette situation, il est sûr que plusieurs auraient pu se réclamer de la « clause de conscience ».
N’est-ce pas d’ailleurs le principal reproche qu’on adressa à maints serviteurs de l’Etat durant l’Occupation, cette obéissance totale aux commandements, sans qu’il y ait eu de leur part une réaction morale, une hésitation, en toute conscience, à suivre des ordres criminels, comportement certes répréhensible (mais cependant à relativiser, pour quelques-uns) qui leur valut la honte, le mépris, souvent la prison, parfois la mort ? Et ne trouve-t-on pas admirable l’engagement de Français, de droite et de gauche, qui, mus par leur cœur et leur conscience, rejoignirent les rangs de la Résistance ? Il est plaisant de constater que le PC, soi-disant « parti des fusillés », le Front de gauche, de Mélenchon, les chefs du parti socialiste et les ministres, se réfugient derrière la sacro-sainte force de la loi, quand toute leur culture politique, du moins de façon déclamatoire, pour le moins, en conteste la validité absolue.
Bien sûr, comme en tout comportement humain, dans cette longue complaisance avec la révolte contre la loi, il faut faire la part de l’hypocrisie, de la tartufferie. « On a toujours raison de se révolter » était un leitmotiv de la gauche. On n’allait pas plus loin, bien souvent, et l’essentiel, au fond, était que l’on fût contre le système, et que l’on contribuât à l’abattre. Qui se parait de la défroque du rebelle cachait mal les paillettes du spécialiste de la politique, qui, dans la société du spectacle, on le voit maintenant, se trouve comme un saltimbanque en foire.
Toutefois, bien que ces choses aient été trop longtemps souillées par des motifs peu avouables, il reste dans la « clause de conscience » l’héritage fort honorable d’une tradition qui est le fond de notre civilisation, d’Antigone et Socrate à saint Thomas, de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui reconnaît le devoir d’insurrection, à la Résistance contre la tyrannie nazie, à laquelle se réfère volontiers le régime actuel, qui est fort loin d’être à sa hauteur.
Qu'on le veuille ou non, et les LGBT peuvent couiner (le terme est de l’élégant Peillon, qui l’applique à ses adversaires) comme ils-elles- ? veulent, la question du mariage présente des problèmes que les repus, blasés, sceptiques, athées, matérialistes, cyniques, parvenus et tannés par la savonnette à vilains ne peuvent, ne pourront jamais comprendre parce qu’ils ne croient en rien, hormis dans la finance, dans leurs certitudes de Bouvard et Pécuchet, leur hédonisme du prisunic, et leur morale à la Homais.
Claude Bourrinet http://www.voxnr.com/