Prélude au mariage princier du 2 mai... Perdue par d'incessantes querelles autour de la Lorraine, la dynastie carolingienne s'éteint. À la mort de Louis V, l'archevêque de Reims, Adalbéron, oeuvre en faveur de l'élection d'Hugues Capet, loin d'imaginer qu'il engageait la France pour huit cents ans !
Cette année-là, Hugues Capet, duc des Francs, quarante-sept ans, attendait, avec patience et vigilance, que la dynastie carolingienne finît de s'effilocher. Ces descendants de Charlemagne avaient laissé la souveraineté s'émietter, se faisant les obligés de toute une "clientèle" vassalique et anarchique, tandis qu'ils s'essoufflaient à disputer à l'empereur romain germanique la Lorraine que les différents partages consécutifs au traité de Verdun leur avaient enlevée.
Les Robertiens
Tôt ou tard, si la France ne devait pas mourir, viendrait l'heure de ceux que l'on nommait alors les Robertiens, ces descendants de Robert le Fort, héroïques défenseurs de la cité contre tout envahisseur, et dont le représentant depuis 956 était ce valeureux Hugues surnommé Capet en tant qu'abbé laïc de l'église de Tours où était gardée la chape de saint Martin. Il savait que, déjà, comblant les défaillances des Carolingiens, son oncle Eudes (de 888 à 898), puis son grand-père Robert (de 922 à 923) avaient ceint la couronne des Francs (1). Son père, toutefois, Hugues dit le Grand, duc des Francs, avait su ne pas bousculer l'Histoire. À vouloir se précipiter vers le pouvoir il risquait de s'attirer la méfiance des autres féodaux...
Alors Hugues le Grand avait "fait" roi Louis IV d'Outre-mer, fils du minable Charles III le Simple ; puis Hugues et Louis IV ayant épousé tous les deux une soeur de l'empereur Othon 1er, s'étaient retrouvés beaux-frères et Hugues, à la mort de Louis avait fait élire et couronner le fils de celui-ci, Lothaire, avant de mourir lui-même. Ainsi donc Lothaire, roi des Francs, et Hugues Capet, fils du Grand, bientôt à son tour duc des Francs et second personnage du royaume, étaient cousins germains, avec l'inconvénient d'avoir tous les deux pour oncle l'empereur Othon 1er, lequel, voulant les embrigader dans son système d'empire universel, avait placé sur le trône épiscopal de Reims, ville du sacre, un homme à lui, Adalbéron. À la mort d'Othon 1er en 973, Lothaire fonçant sur la Lorraine comme sur une proie avait attiré la colère d'Othon II et une invasion germanique sur la France, dont Hugues Capet, sauvant Paris, avait profité pour apparaître comme le vrai défenseur du bien public.
Depuis lors, Hugues, déjà comte de Paris, d'Orléans, Dreux et Senlis, époux d'Adélaïde d'Aquitaine (petite-fille par sa mère de Rollon, l'ancien chef des Normands, converti au christianisme) s'occupait de ses domaines et surveillait discrètement son royal cousin, mais dès 985 Gerbert, secrétaire d'Adalbéron, écrivait à la cour impériale : « Le roi Lothaire est roi par le titre ; Hugues l'est par les faits et gestes. » Aux yeux d'Adalbéron, la race carolingienne était perdue parce que ses incessantes querelles pour la Lorraine allaient à l'encontre de la paix de la chrétienté et de l'ordre du monde.
2 mars 986 : mort de Lothaire. Les choses allaient alors se précipiter : son grand débauché de fils, Louis V, dix-neuf ans, s'était avisé de mettre Adalbéron en accusation pour agacer Othon II. Tandis que les Grands se réunissaient à Compiègne pour juger l'évêque, la nouvelle leur parvint soudain le 22 mai 987 de la mort à la chasse du jeune roi (sans avoir eu d'enfant d'une épouse de vingt ans plus âgée que lui)... Donc, retournement de situation : Adalbéron, d'accusé, passait maître du jeu et convoquait les Grands en juin à Senlis, sur les terres d'Hugues, pour une élection dont nul n'aurait pu dire qu'elle allait engager la France pour huit cents ans....
« Vous aurez en lui un père »
Ce n'était sûrement pas le sentiment d'Adalbéron qui ne voyait là qu'une élection ordinaire selon la coutume carolingienne. Excellent agent électoral, le prélat trouva les mots pour écarter le dernier des Carolingiens par le sang, Charles, duc de Basse-Lorraine, oncle du défunt Louis V : avec lui les guerres avec l'Empire seraient incessantes, de plus il avait mauvais esprit (il avait odieusement calomnié sa belle-soeur Emma, femme de Lothaire), mais surtout il tenait son duché de l'empereur et donc avait des intérêts hors du royaume. Sans le savoir Adalbéron ébauchait ce qui allait être une tradition capétienne fondamentale : le roi doit sortir « des entrailles du royaume », comme disaient alors les chroniqueurs...
Puis Adalbéron continua son discours dont il ne pouvait mesurer toute la portée : « Donnez-vous pour chef le duc Hugues, désigné par ses actions, par sa noblesse et par ses forces, celui en qui vous trouverez un défenseur non seulement de la chose publique mais de vos intérêts privés. » C'était définir pour huit siècles l'essence de la royauté, gardienne du bien public et protectrice des droits de chacun contre les féodaux. Puis selon Richer, Adalbéron ajouta, comme s'il entrevoyait toute l'histoire de France : « Élisez le duc Hugues vous aurez en lui un père. »
Une importante majorité se dégagea dès le 3 juin en faveur d'Hugues Capet lequel fut sacré à Noyon le 3 juillet, prononçant alors le serment de « faire justice, selon ses droits, au peuple qui nous a été confié ».
Hugues Capet était roi, mais non le roi d'Adalbéron, ni celui des Grands qui l'avaient élu. En quelques mois, il allait faire sentir sa volonté d'oeuvrer dans la durée. C'est pourquoi nous resterons en 987 avec notre prochaine chronique.
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 2 au 15 avril 2009
1 - Ce que semble ignorer Philippe Goulliaud écrivant dans Le Figaro des 21-22 mars qu'Hugues Capet fut « élu premier roi des Francs en 987 » et oubliant, du même coup, tous les Mérovingiens et tous les Carolingiens...