Au premier abord, j'ai eu une érection mentale : que nous fait encore le bellâtre bandant ? Au second rabord, j'ai débandé. Il y a quelque chose de vrai et donc sincère dans le sort jeté à Lakshmi Mittal par Me Arnaud Montebourg. Le jetsetter plein aux as semble être sur l'orbite d'un projet de classement personnel au palmarès de Forbes, plus que dans l'ambition irrépressible d'un leadership mondial de l'acier. Riche à milliards (30 de mémoire), sa holding est endettée à milliards (23 de mémoire) et les agences de notation la classent en catégorie "spéculative". La faute à pas de chance, le capitalisme, chère médème, c'est aussi prendre des risques. Acheter des mines qui finiront en canettes c'est de l'intégration verticale. Sauf que la mine vaut ce que vaut sa matière, et rien que cela ! En période de récession, l'intégration verticale congèle la structure et les réglages ne se font pas. Le produit fini se rétreint, à l'autre bout le minerai ne paie plus la mine. Alors on bricole ; Mr Mittal qui appartient à la caste mercantile des Marwaris, a une formation commerciale et n'est pas ingénieur, il bricole ses chiffres. Il me fait penser furieusement à Bernard Tapie, fameux redresseur d'industries à dépecer.
Même s'il est désavoué implicitement par son président qui reçoit ce cher Lakshmi au château, Me Montebourg aura eu le mérite de faire exploser le consensus libéral d'auto-régulation des marchés, présentement celui de l'acier, régulation dévoyée par la capacité de nuisance de gestionnaires trop courts ou mal-intentionnés. Nulle valeur ne monte jusqu'au ciel et la croissance ne se mesure pas sur l'échelle ouverte de Richter. Aussi, capturer des coulées de fonte et des laminoirs en Europe occidentale, sur le marché le moins prometteur de la planète, comme l'a fait Mittal par une OPA hostile sur Arcelor en 2006, peut se juger comme une intention de détruire à terme un concurrent des sidérurgies low-cost émergentes, à la faveur du premier retournement de conjoncture ; nous y sommes. Et c'est ce que dit Montebourg à Mittal quand il lance : "le problème des hauts-fourneaux de Florange, ce n'est pas les hauts-fourneaux de Florange, c'est Mittal". Dans un billet précédent, nous avions montré pourquoi le site de Florange est une "entité sidérurgique" qu'il est malaisé de découper en appartements, les uns rentables, les autres moins ou pas du tout : Le site de Florange est intégré. On entre du charbon et du fer d'un côté, on sort des bobines de tole et des canettes de l'autre. Mittal arrête seulement une partie du site, celui de la coulée à chaud. Bercy a 60 jours pour présenter à Mittal un acheteur du process ; le prix de cession sera négocié avec le repreneur présenté par M. Montebourg ! Mais quel industriel peut vendre à son conseil d'administration l'achat d'une coulée à chaud, avec deux vieux hauts fourneaux, dont le client de cette production contrôlerait le train de laminage des brames en aval ? Qui ferait le prix à qui ? Il faut être un grand dépendeur d'andouilles pour y croire. En l'état, Mittal garderait la cokerie pour approvisionner ses trois hauts fourneaux de Dunkerque qui lui retourneront des brames pour le train à chaud et laminoir de Florange. S'il cède la cokerie, à quel prix achèterait-il ce coke pour Dunkerque ? Il mettrait évidemment ces brames en concurrence avec celles que le repreneur de la coulée à chaud distraira de ses ventes, repreneur qui cherchera raisonnablement à récupérer un peu des six ou sept cents millions d'euros que lui aura coûté la mise à niveau de son achat... (source).
Il n'est pas étonnant que le nouvel acheteur (russe ?) ne puisse s'engager que sur la totalité du site, aux fins de quoi l'expropriation par l'Etat est à mon sens justifiée, même si en droit on pourra se disputer longtemps. N'oublions pas qu'il n'y a pas de capitalisme français digne de ce nom capable de suppléer l'Etat et que la nationalisation est l'arme des pays faibles, mais c'est ainsi. Il suffira de payer Mittal en bons grecs ! Notre Trésor en a plein.
"Rentable, le site de Florange est un établissement inscrit au greffe du tribunal de commerce de Nancy que l'Etat peut reprendre sans l'aval de son propriétaire moyennant indemnisation. L'idée serait une association avec un opérateur industriel, minoritaire dans le capital le temps de stabiliser l'activité. Mais l'Etat est particulièrement impécunieux. Le prix éventuel du site de Florange demeure un mystère. Sollicités, ni le ministre ni ArcelorMittal ne s'avancent sur la question. Mais la mauvaise conjoncture pousse les prix à la baisse, indique un expert" (Les Echos).
Moralement, le coup de sang du ministre est juste : couler une usine pour qu'elle n'en concurrence pas une autre en refusant de la vendre est faire peu de cas des ouvriers et de la stratégie globale industrielle du pays-hôte. Quand le libéralisme tourne au capitalisme sauvage - on y est en plein - il ne sert pas la société où il s'exerce, la seule finalité qui vaille. Seule est à prendre en compte la viabilité de l'activité sur un cycle conjoncturel, c'est oui ou c'est non. Il semblerait qu'à Florange ce soit oui (mais pas assez pour ces messieurs à gros cigares). Quant à la menace d'impact sur les vingt mille salariés français du groupe, elle est risible. Si les produits plats de Dunkerque et de Fos sont touchés par la nationalisation de Florange (on se demande comment Mittal fera ce lien), la valeur des sites diminuerait sensiblement. Leur valeur de rachat serait dès lors plus abordable et il y aurait bien plus de repreneurs intéressés par ces deux sidérurgies sur l'eau qu'on en a trouvés pour l'usine lorraine enclavée.
Pour une fois qu'un ministre français se bat, on peut tirer son chapeau. Non ?
Le point faible du projet montebourgeois est que les "managers" de son côté n'en sont pas. Les socialistes sont l'espèce la plus éloignée de la "production" qui soit. La ruse technocratique ne suffira pas, il faut aussi de réelles compétences industrielles de classe internationale pour arracher la sidérurgie française à l'ornière hindoue. Langue au chat !
Mais le vrai maillon faible c'est le volet politique qui peut faire foirer le projet d'Arnaud. Et les syndicats s'y attendent, qui n'ont aucune confiance dans la fermeté d'un président aussi irrésolu que M. Hollande. "Iront-ils au bout ?" est la seule question qui court les vestiaires. Il est parfois bon d'aller au clash, à chaud, en toute mauvaise foi si nécessaire, sans oublier les menaces collatérales déloyales. Seule la victoire est belle, elle nettoie les noirceurs car ce sont les vainqueurs qui l'écrivent. C'est hélas le contraire du tempérament temporisateur de M. Normal, son goût du consensus, ce compromis a minima dont le Ciel nous a punis.
Si les choses s'étaient arrangées ce soir à l'Elysée, sur le dos des ouvriers comme à Gandrange, on aurait pu prévoir de grandes secousses politiques attisées par la énième reculade socialiste ; les communistes y sont prêts, capitalisant sur le mécontentement général et sur la cure d'austérité prussienne. Les écologistes ne pourraient pas se laisser distancer et l'aile gauche du PS se détacherait de chacun des deux groupes parlementaires au Sénat et à l'Assemblée nationale. Il faudrait beaucoup de bagout corrézien pour rattraper ça. Ce n'est pas fini, il reste encore trois jours.
Terminons sur la provocation du maire de Londres, Boris Johnson. En tournée de promotion à New Delhi, sans son coiffeur, il a appelé les Indiens à rejoindre sa capitale économique et financière plutôt que de perdre leur temps en France, oubliant que ce ne sont pas les états-majors qui coulent l'acier mais des ouvriers et que la sidérurgie anglaise est au main des Indiens de la Tata Steel qui ont le même logiciel prédateur que Mittal Steel. Le reste est aux Séoudiens de l'Al-Tuwairqi Group (Thamesteel) qui ont fait un coup d'accordéon en janvier dernier pour éponger leurs pertes à moindre prix. Si d'appeler ces chiens est patriote, alors M. Johnson est inégalable en humour