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Enquête sur la droite en France : Bruno Larebière : « Nous nous trouvons à une charnière historique de renversement des perspectives »

Après avoir été journaliste durant près de trente ans, Bruno Larebière a créé une société de conseil en communication. Il conçoit des stratégies de communication, élabore des « éléments de langage » et pilote des campagnes - dont certaines ont fait grand bruit - pour des collectivités territoriales, entreprises, institutions et politiques.

Monde et Vie : Bruno Larebière, on constate un net déficit de communication à droite. À quels obstacles se heurte l'homme de droite dans sa manière de communiquer ?
Bruno Larebière : Le principal obstacle que rencontre l'« homme de droite » - quelle que soit « sa » droite -, c'est lui-même. A savoir, c'est selon, une difficulté à mettre à jour son logiciel, c'est-à-dire à prendre en compte les évolutions sociologiques et politiques, la certitude - légitime -qu'étant porteur du « bon sens », les choses doivent s'imposer par elles-mêmes et n' ont pas besoin d'être expliquées par une campagne de communication, la méfiance, voire le rejet d'un « monde médiatique » conçu comme univoque et par définition hostile, etc.
Je pourrais citer aussi une hémiplégie qui lui fait tenir tout ce qui est émis par des gens de gauche comme a priori détestable selon un sectarisme qui, trop souvent, n'a rien à envier à celui de la fraction la plus bruyante de la gauche, la difficulté intellectuelle qu' il éprouve à concilier les exigences de la modernité en matière de communication et les exigences de son combat politique antimodemiste, et un refus de s'adapter techniquement au terrain.

Votre réquisitoire est violent...
Il l'est, et, si je l'exagère volontairement, c'est afin de bien faire comprendre que la communication est d'abord affaire de méthode avant d'être une affaire d'imagination. Il est impératif de faire d'abord sauter les verrous psychologiques de Y« émetteur » si l'on veut qu'il ait une chance de se faire entendre du « récepteur ». Sinon, il ne va parler qu'à lui-même et à ceux qui sont d'accord avec lui, ce qui n'a aucun intérêt.

N'existe-t-il pas à droite un complexe face aux médias, un défaut d'identité, voire une honte de se réclamer de la droite et de ses idées ?
C'est ce que je vous disais: quand j'entends parler de la « caste médiatique », cela me fait hurler. On confond par cette formule les quelques grands éditorialistes avec l'ensemble d'une profession composée de personnes qui cherchent avant tout à faire leur métier. On peut les ostraciser globalement, si ça fait plaisir, mais qu'on ne cherche pas ensuite à leur expliquer qu'on n'est pas de mauvais bougres. L'erreur inverse, tout aussi idiote, est de chercher à les convaincre qu'on a raison.
Ce qu'on est légitimement en droit d'attendre d'un journaliste, c'est qu'il rapporte ce qu'on lui dit et ce qu'on fait, et commente mots et actes sur la base de la réalité de ce qu'on est.
Pour ce qui est de la honte de se réclamer de la droite, cela relève de la difficulté à mettre à jour son logiciel. Pour beaucoup d' « hommes de droite », la société est la même en 2012 que ce qu'elle était dans les années Mitterrand et Chirac, que j'associe dans la chape de plomb du « politiquement correct » qui a pesé sur la France. Or c'est faux. Les années Sarkozy, quoi que l'on pense de son action, ont libéré la parole, ouvert des espaces, fissuré tout l'édifice de la « bien-pensance » de sorte qu'il faut être sourd et aveugle pour croire qu'il est encore tabou de se dire de droite.

La droite ne souffre-t-elle pas aussi d'avoir perdu la bataille de la sémantique ?
Certes, mais les seuls combats qu'on est sûr de perdre sont ceux que l'on n'a pas menés...
Presque toutes les tendances de la droite ou des droites ont maintenant leurs « think tank » (leurs laboratoires d'idées) qui commencent à trouver une certaine résonance. Mais c'est là un travail de longue haleine qu'il eût été judicieux de mettre en place dès 1981. Il paraît que l'UMP, el veut structurer un laboratoire d'idées. À la bonne heure ! Que n'y a-t-elle pensé plus tôt...

Peut-il exister une communication de droite et quelles pourraient en les principales caractéristiques ?
Paradoxalement, la droite, qui se veut en phase avec le réel, doit d'abord apprendre à voir la réalité sociopolitique de la France telle qu'elle est et non selon l'idée qu'elle s'en fait. À cet égard, le travail mené par Patrick Buisson pour Nicolas Sarkozy a été exemplaire.
Ensuite, cette « communication de droite » qui n'est que l'application à la droite des techniques de communication, doit prendre en compte à la fois le temps court, caractéristique époque, et le temps long, qui est a priori consubstantiel à la droite. De façon concrète, la droite doit apprendre à la fois à « travailler en mode projet » c'est-à-dire sur un temps court avec des immédiats (ce que font très bien les Identitaires), et accepter de s'investir dans des travaux de fond qui ne porteront leurs fruits que dans dix, vingt ou trente ans (ce que font très bien les réseaux catholiques).
Pour ce qui relève purement, ou concrètement, de la communication, la droite dispose d’atouts considérables. Je suis profondément persuadé que nous nous trouvons à une charnière historique de  renversement des perspectives - là aussi, que la droite arrête de cultiver un défaitisme paralysant - et que beaucoup de choses qui n’étaient plus audibles le redeviennent.
En raison de la crise économique et lourdes incertitudes pesant sur l'avenir, les Français retrouvent ces « valeurs refuges » que sont ancrage dans un terroir, le renforcement des liens familiaux, le besoin d'inscription dans lignée via la recherche généalogique, etc. Ce terreau est extrêmement favorable à ce que la droite exerce, selon la formule d'un historien célèbre, « son droit de piratage sur ce monde ».
À condition de faire preuve de curiosité à 360° et de réactivité, de bienveillance vis-à-vis les Français, et, sur le plan des messages, de simplicité, d'inventivité et de qualité graphique à la hauteur des valeurs dont elle est porteuse. Notamment dans les domaines de la communication d’influence et de la mobilisation de l’opinion.
propos recueillis par Hervé Bizien monde&vie novembre 2012
Pour contacter Bruno Larebière: contact@les-messagers.fr

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