Un gazouillis (1)⇓ venant d'Amérique, et reçu ce matin de la part d'un lecteur de Hayek, fait observer au sujet des élections du 6 novembre : "Laissons une chance à Barack Obama, il a hérité d'une pagaille pas possible, léguée par son prédécesseur : Barack Obama".
Ce chef d'État réélu peut encore nous surprendre. Si important qu'il puisse paraître aux yeux du reste du monde, à vrai dire, le pouvoir présidentiel des États-Unis dépend, pour son action, d'un ensemble de dispositifs institutionnels, qui le limitent et coopèrent avec lui. Même le gouvernement qu'il constitue suppose l'agrément des ministres par la représentation nationale. Une telle forme d'investiture bipartisane non écrite va à l'encontre de l'idée que nous nous faisons, en France, de la "séparation des pouvoirs". Il se trouve qu'elle fonctionne, en raison de liens civiques, philosophiques et religieux assurant la continuité et la solidité du pays et de ses classes dirigeantes.
Pour les Européens, l'interlocuteur essentiel se trouve au Département d'État, en charge de la politique extérieure. Or, ce ministère devrait chercher un autre titulaire.
Ses orientations dépendent largement du Sénat. Celui-ci n'a aucunement changé de couleur, contrairement aux espoirs des républicains depuis 2010. Au contraire, la majorité, qui reste démocrate, s'y est même paradoxalement renforcée, la droite dure du Tea Party ayant pénalisé dans certains États es candidats jugés trop centristes (2)⇓).
Mais, pendant la campagne, Hillary Clinton a annoncé son intention de ne pas rester en poste. On pourrait s'en réjouir, considérant celle-ci comme la personne la plus néfaste au sein de la politique américaine, car la plus dangereuse pour l'Europe.
Hélas, elle se sent, depuis longtemps, appelée à jouer un rôle ultérieur que l'on peut d'autant plus redouter. Il s'agirait d'un scénario la transformant, en 2016, en première femme présidente des États-Unis. Certains se souviennent de Georges Pompidou se déclarant après son éviction en 1968 "en réserve de la République", avant d'être élu en 1969. L'épouse de Bill Clinton se tiendrait quant à elle en réserve du pouvoir mondial adossé à la puissance de son pays.
La force du système politique américain, en dehors des travers bien connus de la démocratie, tient à des mécanismes bien huilés. La réélection d'Obama se sera révélée finalement très courte. Il obtient tout juste 50 % des voix contre 48 % à son adversaire et 2 % aux quatre autres petits candidats.
À noter donc que, depuis 2008, le président sortant a perdu 3 points, signe assez rare d'une forte déception populaire.
Les effets arithmétiques du vote par État lui ont seuls permis une majorité artificielle par les mécanismes du scrutin. Car une courte avance dans quelques gros État comme la Californie, New York, etc. donne un bloc de grands électeurs considérable.
Cela cependant ne doit pas nous tromper : les élections à la Chambre des représentants, assemblée beaucoup plus proche de la réalité du pays ont donné une fois encore une large majorité aux conservateurs.
De ce fait la configuration actuelle peut se révéler idéale pour redresser la politique mondiale de Washington. Elle permettra de perpétuer une politique de poudre aux yeux à laquelle excellait Mme Clinton car un accord bipartisan se réalise presque toujours, y compris sur les sujets sensibles et conflictuels.
La majorité républicaine de la Chambre des représentants s'efforcera de réduire le périmètre de l'intervention de l'État. Cela renforcera, paradoxalement, le rayonnement international du président et du sénat démocrates, que la situation financière aujourd'hui désastreuse affaiblit. Ceci se concrétiserait notamment vis-à-vis de la Chine et de la nébuleuse islamo-wahhabite, c'est-à-dire des adversaires stratégiques de l'occident intervenant, en même temps, comme bailleurs de fonds des États-Unis.
Autrefois Maurice Duverger enseignait à des générations d'étudiants et de lecteurs du "Monde" la fable de l'équivalence des républicains et des démocrates. Cette approximation s'est révélée plus fausse d'année en année, de présidence en présidence. La vague du conservatisme, courant doctrinal apparu seulement avec la fondation de "National Review" en 1953 (3)⇓, désormais en développement constant, n'a cessé d'approfondir le fossé idéologique entre les deux partis.
Aujourd'hui en France on n'a voulu voir dans les élections de 2012 que l'affrontement de deux candidats à la direction du seul pouvoir exécutif.
Il s'agit au bout du compte de bien autre chose : il s'agit de la lente dérive vers un pouvoir mondial à quoi coopèrent : aux États-Unis le parti démocrate ; et, dans le reste du monde, l'Internationale socialiste. Que ces deux forces s'adossent elles-mêmes à certains cercles liés à la finance accapareuse et au pétrole ne doit pas non plus être tenu pour anecdotique, encore moins pour anodin.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr
notes
- cf. sur Twitter. ⇑
- cf."Democrats Deliver String of Stinging Defeats" in New York Times du 6 novembre 2012.⇑
- Le conservatisme américain prend alors racine dans le refus du système de Yalta et l'horreur de l'Union soviétique. La véritable naissance du conservatisme en Angleterre remonte au rejet de la Révolution française. cf. "aux sources du parti conservateur" L'Insolent du 19 septembre 2012. ⇑