Les programmes d'histoire au collège ne soufflant plus mot de Clovis ni des Mérovingiens, il nous semble utile de rappeler brièvement dans cette chronique qu'ils ont laissé leur empreinte dans l'histoire de France, entre 496 et 732. Deux dates qui ne diront bientôt plus rien aux petits Français.
Clovis ? Connais pas. Ou connais plus. Le fondateur de la dynastie mérovingienne, la première qui ait régné sur ce qui allait devenir la France, et à laquelle notre pays doit son nom, est exclu - le mot est à la mode - des programmes d'histoire au collège. A l'heure où le président de la République prétend réfléchir à l'identité nationale et où son ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Eric Besson, affirme sans vergogne que la France n'est qu'un conglomérat de peuples qui veulent bien vivre ensemble, voilà qui n'a rien de rassurant. A vrai dire, c'est même l'ensemble des Mérovingiens qui passe à la trappe de l'Education nationale. Les collégiens, qui ne gardent pour la plupart qu'un souvenir très approximatif de ce qu'ils ont appris en primaire de cette période-clé de notre histoire nationale, devront donc comprendre par eux-mêmes, si toutefois l'idée et le désir leur en viennent, comment on est passé de l'Empire romain aux Carolingiens : soit un saut chronologique de quelque 230 ans, une séquence plus longue que celle qui nous sépare de la Révolution française !
Clovis remplacé par l'empereur chinois Wu
Gageons que la plupart d'entre eux auront au mieux retenu l'anecdote fameuse du vase de Soisson, bien faite pour frapper- d'un coup de francisque - les imaginations enfantines, mais qui est loin d'être essentielle à l'œuvre du roi franc. Que s'est-il donc passé sous son règne ? Rien sans doute qui vaille d'être retenu : sous l'influence de sainte Clotilde et de saint Rémi, le baptême du barbare fait de la France la « fille aînée de l'Eglise », pour des siècles. Ce n'est pas par hasard que Reims, site de l'événement, deviendra la ville des sacres. Ce n'est pas non plus par hasard qu'en 1996, le pape Jean-Paul II s'y rendra, au vif déplaisir de tout ce que la France compte de sectes laïcardes, pour y célébrer dans le cadre du XVe centenaire de l'avènement du roi franc une messe qui fera écho à celle du Bourget : « France, fille aînée de l'Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? »
Les collégiens français n'entendront plus résonner dans le baptistère rémois les paroles de saint Rémi : « Dépose humblement tes colliers, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. » Dans la superbe biographie qu'il a consacrée à Clovis, Michel Rouche explique que « le collier porté orgueilleusement sur la poitrine des chefs était celui de la déesse Freyja rayonnant de prospérité et de gloire. » Et commente : « Le roi des Francs, en jetant les symboles de son pouvoir charismatique, franchissait le pas qui le faisait entrer dans la sphère chrétienne d'un pouvoir délégué par Dieu : il séparait le roi du prêtre. »
Il nouait aussi avec l'Eglise catholique l'alliance qui devait en faire son champion contre l'arianisme alors partout triomphant, en particulier au royaume wisigoth. Avec Clotilde, il posa, écrit Michel Rouche, « les fondations d'un organisme politique romain et chrétien. »
Les Mérovingiens ne s'arrêtent pourtant pas à Clovis. Les fils que lui donna Clotilde - et Thierry, qu'il avait eu d'un premier lit - n'ont pas laissé dans l'histoire un souvenir très attrayant. Clovis lui-même avait gardé, malgré sa conversion, des manières radicales de traiter ses rivaux - on le vit bien lorsqu'il poussa Chlodéric, fils de Sigebert le boiteux, à assassiner son propre père, avant d'éliminer le parricide et de s'emparer de son royaume.
Clotaire et Childebert, fils de Clovis, ne reculèrent pas devant l'assassinat de leurs neveux. malgré Clotilde - un seul d'entre eux échappa massacre et fut plus tard canonisé sous le nom saint Cloud. Ils retournèrent aux coutumes barbares et à la polygamie - elle devait rester courante parmi les princes chrétiens jusqu'aux Carolingiens -, mais n'apostasièrent pas. Les petits-fils, à en croire les chroniques, ne furent pas moins sanguinaires et tous les écoliers connaissaient naguère la lutte furieuse de Frêdégonde et Brunehaut, cette dernière ayant sur ordre de Clotaire II, été finalement attachée nue par les cheveux, la main et le pied à la queue d'un cheval furieux.
Cette litanie de crimes a longtemps conduit les historiens à peindre ces siècles sous les couleurs les plus sombres. Dans l'ouvrage qu'il a consacré à Clovis dans sa série « Les rois qui ont fait la France », Georges Bordonove - qui traite l'ensemble de la période mérovingienne - est plus nuancé : « L'héritage des Mérovingiens, complexe, contradictoire, pour cela même difficile apprécier, n'est point aussi négatif qu'il le paraît au premier abord », écrit-il dans sa conclusion « On ne saurait oublier que les Mérovingien furent le trait d'union entre le Bas-Empire en décomposition et le spectaculaire redressement carolingien », écrit-il. « ils ont mis fin aux incursions des Barbares en Occident et, dans une certaine mesure, en raison de leur supériorité militaire, aux migrations des peuples venus de l'Est. Ils s'avancèrent plus loin en Germanie que les Romains n'avaient osé le faire au zénith de leur puissance. Anciens Barbares, issus eux-même de Germanie, ils tentèrent, et réussirent, l'amalgame avec les Gallo-Romains. Ils ne détruisirent point les structures de l'Empire. Ils s'en réclamèrent et s'efforcèrent de les exploiter. Ils essayèrent aussi indirectement, en protégeant l’Église, de sauver la civilisation latine. » Ainsi dessinèrent-ils, finit Georges Bordonove, « la première ébauche de l'Europe chrétienne et politique » et annoncèrent-ils la renaissance carolingienne.
La dynastie suivante fut elle-même en quelque sorte l'héritière des Mérovingiens par les maires du Palais, dont le plus célèbre, Charles Martel, arrêta comme on sait l'invasion arabe à Poitiers. On comprend, en ces temps de discrimination positive, que l'Education nationale ait préféré laisser dans l'ombre un souvenir aussi politiquement incorrect. En revanche, les élèves de sixième étudieront avec intérêt le règne de l'empereur Wû dans la Chine de Han, en attendant de commencer le programme de 5e par l'étude l'islam (10 % du temps consacré à l'Histoire). 732 ? Connais pas !
Jean-Pierre Nomen monde et vie. 30 janvier 2010