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Comme l'Irak, la Syrie sera-t-elle « ramenée à l'âge de pierre » ? (arch 2010)

Si le marasme frappant le pays et surtout le tsunami des "affaires" lui en laissent le loisir, c'est en septembre que Nicolas Sarkozy devrait rendre à Bachar AI-Assad la visite officielle que celui-ci nous fit en juillet 2008, à l'occasion du sommet sur l'Union Pour la Méditerranée. Comment notre président sera-t-il reçu ? Fort courtoisement sans doute, même si les Syriens, quelque peu estomaqués par son style, le surnomment volontiers « le danseur», mimique burlesque à l'appui, et s'ébaudissent des 1 52 000 photos et de vidéos disponibles sur Internet et montrant notre Première Dame nue comme un ver. Au demeurant, c'est pour éviter toute fausse note que Bernard Kouchner avait été le premier ministre français des Affaires étrangères à se rendre le 23 mai dernier à Damas où - pur hasard, je vous l'assure -, je séjournais moi-même.
Si, à cette occasion, je n'ai pas croisé l'illustre French Doctor, et m'en console aisément, je regrette amèrement en revanche de n'avoir pas prolongé mon séjour jusqu'à début juin, en tout cas après l'arraisonnement meurtrier par les commandos marine israéliens du bateau amiral de la « flottille du salut » tentant de briser le blocus de Gaza. J'aurais bien aimé en effet suivre « en direct » les réactions des Jordaniens et surtout des Syriens.

MOSAÏQUE ETHNIQUE ET RELIGIEUSE
Peu avant la Révolution française, le jeune Français Constantin-François Chassebœuf parcourut pendant trois ans routes et pistes du Nil à l'Euphrate, de l'Egée à la mer Rouge, et publia à son retour, sous le nom de Volney, un passionnant « Voyage en Egypte et en Syrie » si documenté que, dans son introduction à l'édition de 1959 chez Mouton & Co, Jean Gaulmier écrit à juste titre qu' « il est encore presque impossible d'étudier, sous quelque aspect que ce soit, les régions visitées sans recourir à son témoignage », sur le climat, les ressources, les sites et surtout les innombrables minorités ethniques et religieuses chrétiens, druses , "Kourdes", Bédouins, Arméniens, Tcherkesses et autres Ottomans. À la différence de Volney, je n'ai passé que dix-sept jours en Syrie et en Jordanie et ce qu'on lira ne prétend nullement à l'exhaustivité ni même peut-être à la réalité vraie. Ce n'est qu'un kaléidoscope. D'images frappantes (des familles campagnardes pique-niquant au son d'un transistor criard sous les arcades de la célébrissime mosquée des Omeyyades, où les Occidentales doivent, comme dans les autres lieux de culte sunnites, revêtir un long manteau à capuchon) ou sublimes, celles du Krak des Chevaliers admirablement préservé, en passant par les « villes mortes » byzantines - mortes, déjà, de la désertification... Des sensations, des impressions retirées de ce que j'ai pu voir, de la Méditerranée aux frontières turque, irakienne et israéliennes au sud, et des conversations que j'ai pu avoir, facilitées par un puissant sésame : négligemment épinglé sur mon sac à dos, un badge à l'effigie de Saddam Hussein naguère offert par Farid Smahi. Un sésame qui m'a valu d'être interpellée dans les rues ou les mosquées, par des hommes et des femmes de toutes conditions, sur le thème immuable : « Saddam, very good man, Americans very bad ». Une entrée en matière comme une autre à des entretiens plus approfondis, et généralement très politiques.

LES PALESTINIENS, DES FRÈRES MAL AIMÉS
On ne s'en étonnera guère : dans leur immense majorité, Jordaniens et Syriens abhorrent l'Amérique - de Bush comme d'Obama -, et ils abominent l'Etat hébreu même si, sur les ondes de la radio de l'armée syrienne, le Grand Mufti Ahmed Bader Hassoun a rappelé le 19 janvier dernier que « l'islam exige de ses fidèles qu'ils protègent le judaïsme » et préconisé un rapprochement entre les adeptes des deux religions du Livre. Cette exécration induit-elle un total dévouement à la cause palestinienne ? Même si, au lendemain de la tuerie du 31 mai, le président Al-Assad a qualifié Israël, qui n'est « pas un partenaire pour la paix », d' « État pyromane », on peut en douter.
La chose est compréhensible dans le cas des Jordaniens de souche, désormais minoritaires sur leur propre territoire et qui n'ont pas , oublié les terribles combats de 1970 entre Bédouins autochtones et réfugiés palestiniens, batailles rangées qui aboutirent à la répression connue sous le nom de « Septembre noir ». Ayant naturalisé en masse les Cisjordaniens après 1948 et surtout 1967 à la suite de la guerre dite des Six-Jours, et accueilli leurs notables dans les gouvernements d'Amman, les sujets du roi Hussein s'estimèrent alors trahis et, depuis, une solide rancœur subsiste à l'égard de ces hôtes forcés. 
D'autant que, accusent-ils, les plus beaux magasins, les plus luxueux hôtels du pays appartiennent à des Palestiniens, « en cheville avec les banques américaines », qui « tiennent tout ». D'ailleurs, Yacer Arafat, chef de l'OLP, n'avait-il pas profité de sa position pour accumuler frauduleusement « une immense fortune » dont il avait confié la gestion au Judéo-Marocain Gabriel Banon, par ailleurs beau-père du (très atlantiste) député français Pierre Lellouche, aujourd'hui secrétaire d'Etat aux Affaires européennes auprès de... Kouchner ?

« GAZA C'EST L'AFRIQUE »
Bien que n'ayant pas un tel contentieux avec les Palestiniens, les Syriens semblent partager ces préventions à leur égard. Du reste, rappellent-ils volontiers, « Gaza, c'est géographiquement en Afrique. » Autrement dit, c'est aussi exotique que ce Maghreb qu'ils méprisent, en particulier l'Algérie. « Nous, nous avons depuis des siècles une véritable littérature et nous sommes restés ethniquement des Arabes (ce qui reste à démontrer : les teints et les yeux clairs ne sont pas rares, héritages de la Galicie celte, de la présence alexandrine et de l'Empire ottoman où Albanais et Circassiens très leucodermes étaient nombreux) mais eux sont négrifiés par l'esclavage subsaharien et ils parlent un dialecte incompréhensible, un sabir pollué par le berbère et le français », m'a ainsi assené un universitaire aleppin, ajoutant : « Écoutez leur musique, le raï, c'est totalement métissé et çà ne ressemble à rien tandis que nous, si nous célébrons l'année Chopin, nous utilisons toujours les mélodies et les instruments traditionnels ».
En Jordanie, pour tenter d'apaiser les tensions entre "occupés" et "occupants" volontiers assimilés à des Levantins affairistes, le roi Abdullah II a épousé une Palestinienne, la blonde Rania. Mais celle-ci, en raison de ses études à l'université américaine du Caire et de son assiduité au Forum économique de Davos, n'est jamais parvenue à se débarrasser du sobriquet « l'Américaine » que lui a donné le petit peuple - qui avait surnommé « l'Anglaise » la princesse Mouna née Antoinette Avril Gardiner, deuxième épouse de Hussein et mère d'Abdullah. Preuve que de solides préventions anti-occidentales subsistent dans la patrie d'adoption du colonel Lawrence et de Glubb Pacha, créateur de la Légion Arabe... dont, au coucher du soleil, des vétérans en grand uniforme jouent de la cornemuse dans l'antique théâtre de Jerash, la toujours merveilleuse Gerasa perle de la Decapolis romaine du temps où Amman s'appelait Philadelphia -, dans l'espoir d'arrondir leur retraite.
Plus prudents, les dirigeants de Damas ont doté leurs Palestiniens de passeports "syro-palestiniens" afin, jurent-ils vertueusement, que ces réfugiés conservent leur « droit au retour » au cas, fort aléatoire, où Tel-Aviv se résignerait à la création d'un véritable État palestinien. Sans doute la télévision fait-elle grand cas des souffrances des Gazaouis et s'indigne-telle de cette abomination qu'est le « mur de la sécurité » ravageant et mutilant la Cisjordanie mais, dans le peuple, on sent que le cœur n'y est pas.

ALAOUITES, DONC CHIITES
En revanche, en Syrie comme en Jordanie,la fraternité semble totale, et spontanée, à l'égard de l'Irak, et c'est singulier dans le cas de la Syrie car les relations étaient si fraîches entre les deux factions Baath (parti fondé à Damas par le chrétien orthodoxe Michel Aflak) au pouvoir à Bagdad et à Damas que feu Hafed AIassad, ancien général d'aviation et ministre de la Défense parvenu au pouvoir en 1970, soutint Téhéran pendant l'interminable et meurtrier conflit Iran-Irak.
Si la quasi-totalité des Jordaniens sont sunnites, la Syrie musulmane, officiellement République laïque, est partagée entre sunnites, la majorité : 78 %, et trois sectes chiites très minoritaires, les druses, les ismaïliens et les alaouites 10 %, auxquels appartiennent une grande partie des cadres de l'armée et le clan des Al-assad encore que Bachar ait épousé une sunnite, Asma ( comme lui, toutefois, longiligne et d'apparence très aryenne avec ses cheveux blonds et son teint clair). Il est permis de penser que c'est cette appartenance, autant que la séculaire rivalité civilisationnelle entre Damas et Bagdad, qui incita Hafez à soutenir le pays des mollahs.
Mais comme rien n'est simple dans l'Orient compliqué, les chiites syriens se veulent "éclairés", au contraire de leurs coreligionnaires iraniens et irakiens. Contrairement à eux, ils n'ont ni clergé ni mosquées, boivent de l'alcool, sont généralement monogames et laissent leur épouse ou leurs filles s'habiller à l'européenne alors que les sunnites, influencés par l'islam wahhabite, se veulent ultra rigoristes, D'où la construction accélérée de mosquées dans les hameaux les plus perdus et la présence obsédante de femmes toutes de noir vêtues. Mais, comme rien n'est simple dans l'Orient compliqué (bis), prière de ne pas confondre cette vêture avec le niqab : si les Syriennes ont le visage et la tête voilés de noir, leur robe également noire est parfois si ajustée qu'elle ne cache rien de la silhouette, et souvent pailletée, de même que le voile. Certaines sont même ornées, dans le dos, de motifs en strass, fleurs ou papillons ! Quant aux dessous, mini slips et wonderbras pigeonnants made in China, ils occupent des étals entiers dans les souks où ces dames se disputent sans complexes ces affûtiaux affriolants.
Et rien de plus stupéfiant que de voir ces créatures voilées soulever leur voile pour allumer une cigarette ou, surtout en Jordanie d'ailleurs, sortir « en filles » pour fumer le narghilé et applaudir un chanteur à la mode.

HAMA TRENTE ANS APRÈS
La plus grande surprise de ce voyage, je l'ai d'ailleurs éprouvée à Hama, l'Epiphania hellénistique, temple du sunnisme et pour cela théâtre voici trente ans de violents affrontements. En 1980, en effet, un Frère musulman originaire d'Hama avait tenté d'assassiner le président Alassad, ce qui avait entraîné l'arrestation de plusieurs imams ; une agitation chronique s'ensuivit, qui déboucha en février 1982 sur une insurrection, conduite par une grosse centaine d'officiers sunnites. Assad réagit brutalement, ordonnant à l'armée d'assiéger la ville et de la bombarder à l'artillerie lourde. Le siège dura près d'un mois, et 10 000 civils selon le gouvernement - 25000 selon les insurgés - y perdirent la vie. Une hécatombe en tout cas très lourde pour cette cité d'un demi-million d'habitants et dont le tiers, y compris de nombreux joyaux architecturaux, fut alors détruit. Sans que, soit dit en passant, ce nettoyage par le vide soit beaucoup reproché à Hafez Al-assad alors qu'imputé à l'Irak (sauf par la CIA, qui en rendait l'Iran responsable), le gazage des cinq mille Kurdes de la ville frontalière d'Halabja fut toujours retenu à charge contre Saddam Hussein.
Je m'attendais donc à voir une ville sombre, austère, endeuillée. Or, en ces jours de festival - c'était vers le 11 mai -, Hama était joyeuse, bruyante et amicale envers les étrangers d'ailleurs très rares participant à ces réjouissances bon enfant se déroulant le long de l'Oronte, combien plus beau, avec ses admirables norias de bois datant de la présence byzantine et fonctionnant toujours malgré leurs quinze siècles d'âge, qu'à Antioche, où les Turcs semblent prendre pour un dépotoir le fleuve cher à Barrès.

LE GRAND TURC EN EMBUSCADE
C'est pourquoi, j'en reviens à Gaza, je me demande comment, au-delà des félicitations officielles, les Syriens ont pris l'opération de secours organisée par les Turcs et en reconnaissance de laquelle quantité de bébés gazaouis ont été prénommés Erdogan. En effet, si le mandat français (1918-1945) fut largement bénéfique sur le plan culturel et marqué par un début d'industrialisation, les Syriens ne pardonnent pas à Paris d'avoir laissé la Turquie s'emparer en 1939 du sandjak d'Alexandrette (lskanderun) et du district d'Antioche, et ils ne pardonnent pas davantage à la Turquie actuelle de contribuer à la désertification du pays - déjà si asséché par la perte du Golan et l'occupation depuis 1967 par les Israéliens qui récupèrent toutes les eaux du plateau par ses gigantesques barrages sur l'Euphrate. Excipant de la présence de camps d'entraînement de guérilleros kurdes - alors que les Syriens partagent avec les Turcs une solide méfiance à l'égard des Kurdes « qui ne sont jamais contents et cherchent toujours des histoires » -, Ankara avait ainsi à plusieurs reprises interrompu le cours de l'Euphrate.
Certes, les feuilletons télévisés turcs tel Le cri de pierres, violemment anti-israélien, ont été très suivis en Syrie où est en préparation une grande série historique sur la fin de l'empire ottoman, géant débonnaire « victime des puissances européennes », et les investissements turcs sont très appréciés, comme ceux de la chaîne hôtelière Dedeman, qui a construit un superbe établissement à Palmyre. Mais Damas commence à s'inquiéter de l'activisme diplomatique et économique déployé par Ankara dans les territoires arabes naguère possessions de la Sublime Porte. Au demeurant, la conversion relativement rapide de la République kémaliste du laïcisme à l'islam presque radical laisse sceptiques beaucoup de Syriens qui, fiers de leur histoire multimillénaire quand les futurs Seldjoukides n'étaient encore que des coureurs de steppe illettrés, y voient un simple opportunisme : bridé dans ses ambitions européennes, le Grand Turc chercherait des exutoires à sa volonté de puissance. En Asie centrale, à la faveur de l'éclatement de l'empire soviétique, et au Moyen-Orient en profitant de l'enlisement et des échecs du monde arabe.

L'HUMILIATION IRAKIENNE
De ces échecs, le plus cruellement ressenti car le plus humiliant est, à l'évidence, le si rapide effondrement de l'Irak et l'odieuse occupation qui s'en est suivie. Les Syriens - qui se targuent d'avoir inventé l'écriture, à Ougarit, dont les ruines n'évoquent aujourd'hui que de très loin la gloire et la prospérité passées - parlent du pillage des musées de Babylone et de Bagdad comme s'ils en avaient été eux-mêmes victimes et, surtout, ils ont ressenti physiquement le gigantesque et lamentable exode consécutif à la guerre. « Nous qui sommes pauvres et devons exercer plusieurs emplois pour obtenir un salaire décent, nous avons dû accueillir trois millions et demi de nos réfugiés, mais c'étaient nos frères », répètent-ils tandis que les Jordaniens, eux, assurent avoir reçu un million et demi de réfugiés. Des chiffres évidemment très exagérés, l'ONU ayant évalué à deux millions le nombre des Irakiens contraints à l'exil. Proportion déjà énorme : près du dixième de la population !
Ce qui est sûr en tout cas est que les deux pays comptent de très importantes communautés irakiennes et que le flux ne s'est pas tari, de plus en plus de chrétiens, victimes de persécutions, quittant l'Irak si heureusement rendu à la démocratie.

COUPOLES ET COUVENTS : JUSQUE À QUAND ?
En Jordanie, la présence chrétienne est marginale mais elle reste significative (13 % de la population selon les sources les plus optimistes) en Syrie où elle pourrait jouer un rôle important si, des nestoriens aux protestants, des jacobites orthodoxes aux melkites ou aux maronites catholiques, les chrétiens n'étaient divisés en multiples confessions qui ont, au fil des siècles, affaibli leur influence et favorisé l'essor de l'islam dans ces contrées qui furent pourtant les premières à accueillir la Bonne Nouvelle.
Il est peu de lieux aussi chargés d'émotion, esthétique comprise, que Saint-Siméon, hommage à ce moine stylite réputé avoir passé quarante-deux ans sur sa colonne. Jusqu'à l'achèvement de Sainte-Sophie, l'édifice fut la plus grande cathédrale chrétienne du monde. Par la beauté du site, l'harmonie des constructions aujourd'hui à moitié ruinées et la pureté de leurs lignes annonçant dès le Ve siècle le style roman, Saint-Siméon est une merveille qui parle autant au cœur qu'à l'esprit. Lorsque j'y allai, un prêtre italien célébrait la messe pour des pèlerins dont les touristes syriens respectaient la ferveur, intimant aux gosses braillards l'ordre de se taire.
Les écoles chrétiennes restent très courues, y compris par les musulmans de la Nomenklatura locale. Non loin de Damas, sur les contreforts des monts de l'Anti-Liban, le village de Maalula - dont le couvent Sainte-Thérèse est également un lieu de pèlerinage - est presque entièrement peuplé de catholiques de rite orthodoxe grec pratiquant encore l'araméen, la langue du Christ dans laquelle sont célébrés les offices. Alors que les Arméniens de Jérusalem se disent brimés par les autorités israéliennes et, pour certains, préparent leur départ, à Alep les coupoles dorées de leurs églises rivalisent de hauteur avec les minarets et en mai, mois de Marie, nombre de jeunes filles revêtent une longue robe bleue ceinturée de corde et coiffent un voile blanc, en révérence à la Vierge, sans que les musulmans semblent s'en formaliser. Dans mon hôtel de Damas, où un couple de catholiques latins fêtait ses noces d'argent, les voiles noirs des invitées mahométanes côtoyaient les spectaculaires robes du soir des chrétiennes.
Mais, outre que cette coexistence pacifique pourrait facilement basculer dans l'hystérie antichrétienne, comme cela s'est si souvent produit en terre d'islam, il n'est évidemment pas question de fraternisation poussée ni de mariages mixtes. Au demeurant, les mariages toujours arrangés par les familles, en Syrie comme en Jordanie, et généralement célébrés assez tard, le promis devant disposer d'une bonne situation et d'une maison avant de présenter sa demande - restent rares entre obédiences musulmanes même si l'alaouite Bachar a ouvert la voie en choisissant une sunnite. Ainsi les Druses pratiquent-ils la plus rigoureuse endogamie. « C'est mieux comme ça, m'expliquait l'un d'eux. On se connaît, on a la même histoire, les mêmes traditions, les mêmes coutumes. Chez nous, par exemple, il ne nous viendrait jamais à l'idée d'épouser une Noire ou une Chinoise même si elle nous plaisait. Il faut d'abord penser à la famille et aux enfants ! » Qui oserait dire le contraire ?
Ainsi, près d'Amman, survit depuis deux siècles une communauté de Nubiens importés d'Égypte par les Turcs pour travailler la canne à sucre. Regroupés dans le même village, ces "Nègres" se marient entre eux. Chacun chez soi et le troupeau sera bien gardé !

DE PETRA À PALMYRE, LA ROUTE DES MERVEILLES
Tout comme beaucoup d'Occidentaux se rendent en Jordanie à seule fin de faire de la plongée dans le golfe d'Aqaba et de découvrir Petra la nabatéenne, site en effet exceptionnel et, autour du fameux Khazneh - le "Trésor", si souvent vu en photos ou dans les films, qui ne lui rendent pas justice -, plus accessible qu'on ne le dit, jusqu'au Château croisé, au monastère du IIIe siècle et à l'Autel des sacrifices -, Palmyre la cananéenne est une étape obligée et parfois unique. « Si vous ne deviez voir qu'une seule chose en Syrie, ce serait Palmyre. Même si vous avez déjà vu assez de ruines pour le restant de vos jours, faites un effort car celles-ci sont inoubliables », ordonne ainsi le guide Lonely Planet.
Oasis dans l'immense désert caillouteux allant jusqu'à la ville-frontière de Deir ezZur, centre pétrolier où l'on empruntera bien sûr le « pont des Français » enjambant l'Euphrate et qui, à la fraîche, se transforme en paseo, Tadmor, rebaptisée , Palmyre par les Grecs et promue « ville libre » par les Romains en l'an 150 de notre ère, coupe bien sûr le souffle. Par l'incroyable étendue (50 hectares), la richesse et l'élégance de ses ruines, l'enchevêtrement des cultes et des traditions, les temples dédiés aux dieux Nebo et Bel (Baal) voisinant avec les autels des divinités romaines, les pharaoniques tombeaux de l'aristocratie marchande avec les thermes (édifiés sous Dioclétien), l'agora et le théâtre proprement palatiaI.
Palmyre, où Septimia Bathzabbai Zineb, dite reine Zénobie, leva en 270 l'étendard de la révolte contre l'Empire  (qui vainquit ses armées et la ramena à Rome pour le triomphe d'Aurélien), est à l'architecture coloniale romaine ce que Hanoï fut à l'architecture coloniale française : un miracle, les architectes ayant avant tout veillé à respecter l'esprit des lieux où l'histoire souffle si fort. Mais elle n'est pas la seule : Apamée, Rassafa - non loin du lac Assad et ceinte de remparts à l'ombre desquels s'élevait la basilique Saint-Serge avant la conquête par le calife omeyyade Hicham -, Bosra avec son austère et grandiose théâtre de basalte (et son musée des mosaïques, où l'on peut admirer de superbes swastikas) sont aussi des endroits magiques, qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Tant que la Syrie est un pays sûr, où les mendigots sont rares et les autorités inflexibles avec les voyous.

DES MENACES SE PRÉCISENT
Car qui peut présager de son avenir ? Appuyé sur une croissance longtemps impressionnante (+ 147 % en vingt ans, de 1983 à 2003, si bien que chacun ou presque mange à sa faim et que l'état sanitaire est convenable), le régime semble solide. Mais après les convulsions du Liban, l'ordalie infligée à l'Irak a montré la fragilité des régimes proche et moyen-orientaux et des menaces se dessinent. James Cartwright, adjoint du chef des armées des États-Unis, déclarait ainsi le 13 mai dernier : « Durant les dix prochaines années, nos forces auront à mener des combats semblables à ceux qui furent menés en Irak et en Afghanistan ». Hasard ? Le mois précédent, Damas avait été accusée par Washington d'avoir livré des missiles SCUD au Hezbollah, accusation reprise par Tel-Aviv, qui avertissait la Syrie de son intention de « la ramener à l'âge de pierre », bien que l'allégation ait été formellement démentie par Saad Hariri, Premier ministre du Liban (où Al-Assad s'est rendu à la mi-juillet). Ainsi d'ailleurs que par le Hezbollah qui précisait n'avoir nul besoin d'antiques SCUD, disposant depuis 2006 d'armes autrement sophistiquées.
N'importe, l'administration Obama profita aussitôt de l'occasion pour proroger d'un an les sanctions prises contre Damas en 2004, et la menace subsiste, au point que certains se demandent si, malgré l'enlisement des États-Unis en Irak et en Afghanistan, certains faucons néo-conservateurs ne gardent pas cette histoire de SCUD en réserve pour l'utiliser le moment venu, comme fut exploité contre Bagdad le mythe des « armes de destruction massive ».
Quitte à transformer en République islamique, soumise à la Charia, l'actuelle République laïque syrienne où les chrétiens bénéficient d'une relative sécurité ? Mais on sait que, sans hésitations ni états d'âme, ce risque fut pris ailleurs par ceux-là même qui proclament jusque sur leur monnaie « ln God we trust».
Camille Galic RIVROL du 30 juillet au 2 septembre 2010
< camille.ggalic@orange.ft >.

Commentaires

  • chère,irremplaçable caille galic, vous cherchant et ne vous trouvant pas avec votre emal publié dans Présent vous voici
    sur ce site avec un long article, comme vous savez les écrire, même s'il date il toujours d'actualité. Nous tremblons pour
    l'hebdo porté par vous, à bout de bras tant d'années . Venez-vous apporter à Présent un air qui lui fait défaut .MERCI

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