L’islamisme allemand contemporain trouve ses racines chez les volontaires musulmans levés contre l’URSS de Staline
Depuis un discours controversé du Président fédéral Wulff, on discute de plus en plus intensément en Allemagne pour savoir si l’islam est propre à ce pays ou non. Les débatteurs ne sont à l’unisson que sur un point: l’islam est désormais présent en terre germanique. La même remarque vaut pour l’islamisme. Ce qui conduit tout naturellement à la question: comment l’islamisme est-il arrivé en Allemagne ?
Vu l’immigration de plusieurs millions de Turcs musulmans, on peut supposer que l’islamisme présent aujourd’hui en terre allemande provient de cette vague migratoire. Toutefois, on doit bien constater que l’infiltration initiale d’un islamisme en Allemagne n’est pas un effet de l’immigration, après 1945, de travailleurs de confession musulmane. Deux livres publiés récemment le démontrent:
Stefan MEINING,
Eine Moschee in Deutschland. Nazis, Geheimdienste und der Aufstieg des politischen Islam im Westen, Verlag C. H. Beck, München, 2011, 316 pages, 19,95 euro.
&
Ian JOHNSON,
Die vierte Moschee. Nazis, CIA und der islamische Fundamentalismus, Verlag Klett-Cotta, Stuttgart, 2011, 360 pages, 22,95 euro.
Ces deux livres sont parus quasi simultanément, leurs titres se ressemblent fort et leurs couvertures également: ce qui pourrait faire penser à une action concertée. Cependant, à la lecture, on s’aperçoit quand même qu’il s’agit d’un hasard.
Les deux ouvrages décrivent le même phénomène. Stefan Meining, rédacteur du magazine politique “Report München”, dépendant de l’ARD, se concentre sur la responsabilité des services allemands dans l’émergence de l’islamisme, tandis que Ian Johnson, Prix Pulitzer, met surtout l’accent sur celle des services secrets américains. La lecture de ces deux ouvrages nous donne une belle image d’ensemble et nous permet de constater, en plus, que l’islamophilie peut prendre de multiples visages. La direction nationale-socialiste —rien moins!— fut la première a faire venir délibérément en Allemagne des représentants de la haute hiérarchie de l’islam politique, à commencer par Hadj Mohammed Amin al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem et chef religieux de la communauté musulmane de Palestine. Le motif de cette démarche se trouve dans la ferme résolution de Hitler lui-même, de son Ministre des affaires de l’Est Alfred Rosenberg, ainsi que des chefs de la Wehrmacht et de la Waffen-SS, d’utiliser et d’engager l’islam comme arme secrète contre l’URSS. Dans le cadre de cette politique, plusieurs centaines de milliers de musulmans du Caucase et d’Asie centrale ont été, jusqu’en 1945, enrôlés dans des unités de volontaires comme la “Division SS musulmane Nouveau Turkestan”. Ces unités avaient tout naturellement besoin d’un accompagnement politique et religieux.
La plupart de ces légionnaires musulmans, qui ont eu la chance, après la défaite de l’Allemagne, de ne pas avoir été rapatriés de force et d’avoir ainsi échapper à la mort par fusillade, se sont installés à Munich et ses environs. Parmi eux: quelques imams qui avaient auparavant servi dans les unités de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS. Trois cents de ces “oubliés” fondèrent en 1953 la “Religiöse Gemeinschaft Islam” (“Communauté religieuse islamique”). Dès ce moment, le jeu a repris car le gouvernement fédéral allemand avait, lui aussi, l’intention d’utiliser à son profit les émigrants de confession musulmane. L’acteur principal de cette politique, côté allemand, fut le “Ministère fédéral des expulsés, réfugiés et victimes de la guerre”. A cette époque-là, ce ministère était placé sous la houlette de Theodor Oberländer (membre du parti “Gesamtdeutscher Block”/”Bund der Heimatvertriebenen und Entrechten” – “Bloc pour toute l’Allemagne”/”Ligue des Expulsés et Spoliés”). Pendant la guerre, Oberländer avait été le commandeur d’une unité spéciale de la Wehrmacht, la “Bergmann”, au sein de laquelle servaient d’assez nombreux volontaires musulmans venus du Caucase. L’objectif d’Oberländer était d’utiliser la “Religiöse Gemeinschaft Islam” pour faire éclater l’Union Soviétique en provoquant une révolte généralisée des peuples non russes, ce qui aurait entraîné, comme effet second, la réunification de l’Allemagne dans les frontières de 1937. C’est la raison pour laquelle, par l’entremise d’Oberländer, l’association musulmane de Munich a reçu le soutien financier du gouvernement fédéral allemand.
L’islam politique a été une arme pendant la Guerre Froide
Parallèlement aux tentatives ouest-allemandes d’enrôler l’association musulmane de Bavière, la CIA, et son organisation satellite, l’AMCOMLIB (“American Committee for Liberation from Bolshevism”) commencent, elles aussi, à s’intéresser aux exilés ex-soviétiques et musulmans de Munich et de sa grande banlieue. Or les Américains paient beaucoup mieux que les Allemands: les membres de la “Communauté Religieuse Musulmane”, fixés à Munich, vont progressivement se faire recruter pour agir dans le cadre de la guerre psychologique menée par les Etats-Unis. Ils vont commencer par une collaboration au micro de “Radio Liberty” où ils vitupèreront contre la politique soviétique à l’égard des nationalités et de la religion islamique. L’islam politique allemand s’est donc transformé en un instrument américain dans la Guerre Froide, chargé de “tordre le cou” au communisme athée, avec, pour corollaire, d’amener à une révision générale des conséquences de la seconde guerre mondiale.
Les ex-légionnaires anti-soviétiques, qui se laisseront embrigader dans les services allemands ou américains, ne se présenteront pas, à l’époque, comme des fondamentalistes musulmans, à l’instar de ceux que nous connaissons aujourd’hui: ces anciens soldats de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS s’étaient assimilés au mode de vie allemand; ils aimaient boire de l’alcool et se livrer à de joyeuses libations; leurs femmes et leurs filles ignoraient délibérément les prescriptions vestimentaires islamiques; toutes les autres consignes religieuses n’étaient pas davantage prises au pied de la lettre. Chose curieuse et digne d’être rappelée: c’est justement cette liberté par rapport aux prescrits rigoureux de la religion musulmane qui va provoquer une mutation décisive de la situation. Elle a eu lieu à l’occasion de la première “conférence islamique d’Allemagne”, tenue le 26 décembre 1958 dans la salle paroissiale catholique Saint-Paul à Munich.
Lors de cette manifestation, pour la première fois, des étudiants très croyants et très rigoristes, venus des pays arabes, rencontrent les émigrés issus des régions islamisées de l’URSS. Au départ, il n’y a pas de confrontation directe entre les deux groupes: tous s’accordent pour que soit réalisé un premier objectif, celui de construire un lieu central de prière à Munich. Pour y parvenir, ils créent au début du mois de mars de l’année 1960, une “Commission pour la Construction de la Mosquée”. Le directeur de cette commission, que les participants ont élu, n’était pas un ancien légionnaire issu du Turkestan ou du Caucase mais l’Egyptien Said Ramadan, figure de proue du mouvement des “Frères musulmans” qui était aussi, à l’époque, secrétaire général du “Congrès islamique mondial”. La raison principale qui a justifié l’élection de Said Ramadan fut qu’on espérait qu’il ramènerait des subsides en provenance des pays arabes pour la construction de l’édifice religieux. C’est ce qu’il fit. Mais, simultanément, il entama une campagne de dénigrement des anciens légionnaires des armées allemandes, parce que leur mode de vie n’était plus “pur”, ce qui conduisit à leur marginalisation totale.
Au bout de ce processus d’éviction, qui se situe en mars 1962, les protagonistes arabes d’une interprétation pseudo-traditionaliste et rigide de l’islam ont pris le contrôle de la Commission, qui, quelques mois plus tard, allait se dénommer “Islamische Gemeinschaft in Süddeutschland” (“Communauté Islamique d’Allemagne du Sud”). Depuis le 4 décembre 1982, elle s’appelle, en bout de course, “Islamische Gemeinschaft in Deutschland”. Depuis lors, l’organisation établie à Munich a servi de plaque tournante à un réseau islamiste qui n’a cessé de croître à la manière d’un rhizome sur tout le territoire de la République fédérale, sans que les autorités allemandes ne s’en alarment outre mesure.
Celles-ci n’ont montré de l’intérêt pour ce réseau qu’à partir du 11 septembre 2001, lorsque le troisième président en fonction, le Syrien Ghaleb Himmat, fut soupçonné de terrorisme: d’après les renseignements fournis par le “Financial Crimes Enforcement Network”, une instance dépendant du Ministère américain des finances, il aurait fonctionné comme fournisseur de fonds pour al-Qaïda.
Wolfgang KAUFMANN.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°35/2011; http://www.jungefreiheit.de ).
par R.Steuckers