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Génération décervelée : Vrais et faux problèmes

Chers lecteurs, voici donc une nouvelle année scolaire qui commence, nos enfants prennent le chemin de l'école, qui dans un établissement public, qui dans une école catholique sous contrat, qui - moyennant souvent bien des sacrifices - dans une école libre, vraiment libre. Les parents le savent bien : rien n'est parfait dans ce bas monde et une école choisie avec soin peut décevoir, celle où l'on met ses enfants, résignés, faute de pouvoir faire autrement, peut se révéler être celle dont ils avaient précisément besoin. Mais avec raison, le choix de la liberté apparaît de plus en plus souvent indispensable pour que les enfants du XXIe siècle aient réellement à l'école la possibilité de développer leur intelligence, d'apprendre à penser et à raisonner. C'est une véritable guerre culturelle que nous menons, une guerre contre l'ignorance, contre la laideur, contre la domination des passions sur la raison. Voilà pourquoi en cette rentrée 2010, cette rubrique continue. Au risque de me répéter, parfois.
On se perd parfois dans des discussions qu'on devrait pouvoir rayer d'un trait de plume. Tous les ans ce sont les mêmes sujets qui retiennent l'attention médiatique : les aspects matériels de la rentrée (du coût des fournitures scolaires au poids du cartable), les premières grèves à prévoir, les larmes charmantes des tout-petits qui, souvent très tôt, prennent le chemin de l'école (sans être assurés d'en sortir en sachant lire et compter d'ici à 15 ans)... On parle aussi de la dernière réforme en cours (un mot de cela un peu plus tard) ou du nombre d'enfants inscrits à l'école, au collège, au lycée, des classes qui ferment en zone rurale, bien plus rarement du casse-tête de l'enseignement dans des classes où les nationalités se multiplient et les connaissances se divisent. On évoque les parcours d'excellence (oui, il en demeure) et les écoles du tout-venant. Mais, globalement, l'affirmation d'une méfiance à l'égard de l'institution n'a pas droit de cité au journal de 20 heures. Et le sentiment qui semble prédominer est celui du fatalisme.
Une vraie presse libre, une télévision qui informe, des journalistes curieux raconteraient une autre histoire celle des moyennes et grandes sections de maternelle où des gamins « apprennent » à écrire des mots qu'ils ne savent ni lire ni comprendre, des CP où des méthodes de lecture présentées comme « syllabiques » plongent les élèves dans l'apprentissage purement visuel d'une activité qui concerne d'abord l'analyse pas à pas et l'oreille, des parcours fourre-tout où les jeunes sont coulés dans un moule sans que l'on se préoccupe de leurs talents, des programmes imposés par un Etat Big Brother qui ose décréter par le menu ce que les jeunes doivent savoir et, surtout, penser et aimer.
Quels beaux sujets, pourtant, pour des journalistes qui se voient bien en garants de l'indépendance et de la liberté !
Ce manque de vérité criant est sans doute la première raison pour laquelle je reprends, comme chaque année depuis 2002, cette rubrique. Elle est peut-être un peu essoufflée. Je m'y répète assurément. Mais voyez-vous, devant l'avortement des esprits, auquel bien des facteurs concourent mais où les choix pédagogiques jouent un rôle de premier plan, mon indignation demeure entière. Des enfants vont souffrir, demain, la semaine prochaine, parce que des maîtresses croyant bien faire - vont les déstabiliser, parfois les désespérer en les empêchant d'apprendre selon leur nature et en leur demandant des efforts surhumains.
Je le dis et je le redis encore : on ne peut plus, dans la grande et scandaleuse affaire de l'échec scolaire, faire comme si les choses allaient somme toute de mieux en mieux parce que les gouvernements successifs s'attellent aux problèmes ; on ne peut plus faire comme si les causes du mal restaient mystérieuses, comme s'il n'y avait aucune solution. Chers lecteurs de Présent, vous avez des enfants, des petits-enfants, des proches qui viennent d'envoyer leurs petits à l'école pour la première fuis. Parlez-leur de cette rubrique, parlez-leur de ce journal qui ne parle pas comme les autres journaux, aidez-nous à exister, à survivre, et à dire ce que nous avons sur le cœur et ce que nous savons, parce que ce faisant vous leur rendrez service.
Le problème de l'apprentissage de la lecture est et reste crucial. Dans l'ensemble - il y la d'heureuses exceptions, souvent dans le hors-contrat, mais aussi dans les écoles publiques ou privées sous contrat - nos enfants sont confrontés à des méthodes qui les privent de la capacité d'apprendre d'abord les éléments des lettres, puis les lettres et leurs sons, et ensuite les sons codifiés par les assemblages de lettres, les syllabes, et enfin les mots, toujours en verbalisant. Elisabeth Nuyts (L'école des illusionnistes) a montré qu'apprendre à lire de manière globale et très tôt silencieuse produit - entre autres deux effets nocifs qui devraient faire proscrire cela comme un poison : cet apprentissage crée des dyslexies chez les enfants qui n'apprennent pas principalement de manière visuelle, et pire, chez tous, il favorise la lecture non verbale, la « pensée » sans mots, l'écriture et le parler mécanisés. Quand rien ne vient compenser cela, quand en outre les enfants sont parqués dès leur plus jeune âge devant la télévision ou leur écran d'ordinateur, leurs capacités visuelles (s'ils en ont) sont développées à outrance au détriment de la pensée consciente. Chez les auditifs, dont Elisabeth Nuyts a constaté qu'ils doivent dire les choses pour les voir ou à tout le moins pour les retenir, les dégâts peuvent être encore plus désastreux comme en témoigne le nombre de jeunes avec un vocabulaire désespérément pauvre, et une pensée, forcément, à l'avenant.
À quoi s'ajoutent bien d'autres méthodes et aberrations pédagogiques. Elles vont dans la même direction, comme j'ai essayé de le montrer ici depuis des années, mais elles savent si bien se masquer derrière une accumulation de « connaissances » exigées par des programmes qui ne sont pas aussi pauvres qu'on voudrait le croire. Ces « savoirs » et ces « compétences » accumulés ne donnent souvent pas aux jeunes les moyens de comprendre ce qu'ils font. Ou ils déforment carrément leur pensée, leur sens du sujet et de l'objet, du temps qui passe et de leur pouvoir d'agir sur le monde.
Dans les semaines à venir, je vous parlerai sans doute de la réforme du lycée, mais non sans avoir interrogé des responsables d'écoles sur sa réalité, puisqu'à l'heure qu'il est, rien n'est prêt, pas même les manuels scolaires. Et que dans une bonne part des établissements, les possibilités accrues de choisir des options ne correspondent à rien, faute de professeurs pour les enseigner. Et que la « science économique » obligatoirement dispensée aux élèves de seconde - qui essuient les plâtres de cette énième réforme ne compensera pas leurs dyslexies, dyspraxies et autres dyscalculies acquises dans le primaire. Non, elle ne mettra même pas les jeunes de 15 ans en mesure de comprendre la crise que nous traversons, ne parlons même pas d'y apporter des remèdes !
Je vous parlerai de l'apprentissage des langues, mis au service de tout autre chose que... l'apprentissage des langues.
Je vous parlerai de méthodes de lecture qui ont bonne presse, mais qui méritent sans doute un œil un peu critique.
Je continuerai de décrire le désastre en rappelant qu'il n'est ni inéluctable, ni irréversible et que chacun, à sa place, a les moyens d'aider un jeune à ne pas y être englouti.
Mais surtout, aujourd'hui, je formule le vœu qu'en cette nouvelle année scolaire, des parents aient assez le sens de leurs droits d'éducateurs pour mettre leur nez dans les livres qui seront donnés à leurs enfants. Qu'ils n'aient pas peur de passer pour d'éternels grincheux en se manifestant, en réclamant mieux, en réaffirmant qu'ils sont les premiers responsables de l'éducation et de l'instruction de leurs enfants. Qu'ils s'informent, et qu'ils ne se laissent pas endormir par le système. On a les libertés que l'on mérite, et pour lesquelles on se bat.
JEANNE SMITS PRESENT du 3 septembre 2010

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