Que reste-t-il de souveraineté à la France, dès lors que les règles de l'Union européenne l'emportent sur ses lois ? Une peau de chagrin.
Les prochaines élections européennes conduisent à s'interroger sur l'indépendance juridique qu'a encore la France. La question est d'importance, bien qu'elle ne soit pas souvent abordée, sans doute parce que le sujet est quelque peu technique. Pour comprendre la situation, il est nécessaire de se placer, d'une part, du point de vue européen et, d'autre part, du point de vue français, même si les deux systèmes convergent.
La primauté du droit communautaire
Le droit communautaire est constitué de deux ensembles : d'un côté, le droit institutionnel (composé de tous les traités ayant concouru à l'établissement de l'Union européenne) et, de l'autre, le droit matériel qui est l'ensemble des règles élaborées par les institutions européennes. Au sein de ce dernier, il faut distinguer le règlement de la directive. Le premier est un texte à portée générale qui s'applique directement et immédiatement dans les États membres. La seconde est un texte fixant un objectif aux États, ces derniers devant le transposer dans leur droit interne. Mais, quelle est la force de ce droit de l'Union ?
La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a profité de son rôle d'application et d'unification du droit de l'Union pour imposer le principe de la primauté de ce dernier sur les droits nationaux. Quatre arrêts doivent retenir particulièrement l'attention. La CJCE a affirmé que l'ordre juridique communautaire ne concerne pas seulement les États mais aussi les citoyens (Van Gend en Loos, 1963). Elle a, ensuite,considéré que cet ordre est intégré à celui des États membres (Costa c. ENEL, 1964). Mais, elle est allée encore plus loin : l'acte communautaire, même contraire à la constitution d'un État membre, doit être appliqué (International Handelsgesellschaft, 1970). Enfin, le juge communautaire a dicté sa conduite aux juges des États : ces derniers ne doivent pas appliquer une règle nationale contraire à un texte européen (Simmenthal, 1978). Ainsi, du point de vue de l'Union, la chose est claire : les droits nationaux doivent plier devant la règle communautaire.
Face à cela, les systèmes juridiques des États membres ont-ils résisté ? Du point de vue français, deux questions doivent être distinguées : quelle est la place des engagements internationaux (et donc notamment du droit communautaire) d'une part, par rapport à la constitution française et, d'autre part, vis-à-vis de la loi nationale ? Quand la France veut signer un engagement international, en particulier un traité européen, si ce dernier comporte des clauses contraires à sa constitution, celle-ci doit être révisée (art. 54 de la constitution de la Ve République). Elle s'efface donc derrière le texte international ou communautaire. La logique veut donc que ce dernier ait une valeur supérieure à la constitution.
L'effacement du droit français
Mais, les plus hautes juridictions françaises - Conseil d'État, Sarran (1998), Cour de cassation, Fraisse (2000), Conseil constitutionnel, TCE (2004) - ont affirmé que, puisque c'est la constitution qui prévoit, elle-même, qu'elle doit être révisée, elle reste donc, en droit interne (la précision est d'importance) la norme supérieure. L'hypocrisie, à moins qu'il ne s'agisse de la politique de l'autruche, atteint ici son comble.
Pour ce qui est de la loi, la situation est encore plus défavorable au droit national. L'art. 55 de la constitution prévoit que le droit international a une valeur supérieure à la loi interne. Ce principe s'applique explicitement vis-à-vis des lois votées avant la ratification du texte international. Mais la jurisprudence a également appliqué ce principe vis-à-vis des lois postérieures, c'est-à-dire que si le Parlement français vote une loi sur une question déjà traitée par le droit communautaire, celle-ci n'aura aucune force réelle : elle ne s'appliquera pas. La Cour de cassation a, la première, affirmé cette position (Jacques Vabre, 1975). Le Conseil d'État a rejoint cette analyse (Nicolo, 1989). La haute juridiction administrative a, ensuite, étendu le bénéfice de ce régime à l'ensemble des actes de droit communautaire : les règlements (Boisdet, 1990) et les directives (Rothmans, 1992). Il est même allé jusqu'à affirmer la responsabilité de l'État si la loi française est contraire aux textes internationaux (Gardelieu, 2007). La conclusion de tout cela est limpide : non, la France n'est plus juridiquement souveraine !
Bernard Lhéritier monde & vie 6 juin 2009