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Le Mont Saint-Michel, une épopée spirituelle

Le Figaro Magazine - 11/06/2011
La beauté du site, la richesse de son histoire et la vie religieuse qui s'y maintient se conjuguent pour faire du Mont-Saint-Michel un lieu sans équivalent.
 
C'est une des plus petites communes de France par la superficie et le nombre d'habitants : une quarantaine de personnes sont domiciliées au Mont-Saint-Michel. Chaque année, elles doivent pourtant accueillir plus de 3 millions de visiteurs. Franchi en 2005, ce seuil vaut au célèbre rocher d'être classé comme le deuxième site touristique du pays.

« On ne s'habitue pas au Mont-Saint-Michel, s'exclame Patrice de Plunkett. Cet endroit stupéfie depuis mille ans. C'est le seul cas de surprise inusable. » Journaliste (cofondateur du Figaro Magazine, dont il fut le directeur de la rédaction dans les années 1990), blogueur et écrivain (on lui doit une dizaine de livres), l'auteur raconte l'histoire du Mont dans la collection « Le Roman de... », que dirige Vladimir Fédorovski. Un moine du XIIe siècle ayant déjà écrit Le Romanz del Munt Saint-Michel, Plunkett a mis son titre au pluriel *.

Voici donc huit romans du Mont-Saint-Michel : la terre et la mer, l'archange, les pèlerins, les moines, les chevaliers, les prisonniers, les romanciers et les foules d'aujourd'hui ont chacun le leur. Nourri d'anecdotes, l'ensemble se lit d'un trait et permet de comprendre ce qui attire ici : la beauté du site, la richesse de son patrimoine, la spiritualité qui s'y attache. De quelque côté qu'on l'aborde, le Mont-Saint-Michel représente un choc visuel : l'immensité de la baie, le flux de la marée, les irisations de la grève, la silhouette de l'abbaye se détachant sur la masse de granit. Spectacle dont nul ne se lasse, et auquel le cycle des saisons ajoute sa touche : les amateurs de lumière préfèrent le printemps, les rêveurs ont une dilection pour l'hiver.

L'ensablement de la baie est un phénomène naturel, mais il a été amplifié, à partir du XIXe siècle, par la poldérisation d'importantes parcelles et par l'édification de la digue qui a permis d'accéder au Mont à pied sec. Pour maintenir l'originalité du site, différents projets ont été élaborés entre 1975 et 1995. La solution finalement choisie consiste à faire jouer au nouveau barrage mis en service en 2009 sur le Couesnon un effet de chasse d'eau : la retenue, constituée à marée montante et lâchée à marée descendante, devra s'écouler par des chenaux entourant le Mont de part et d'autre. Le parking devant être supprimé afin de rétablir la circulation de l'eau, des navettes spéciales transporteront les visiteurs. Menacé dans son écosystème, le Mont millénaire est ainsi devenu l'objet d'une passion contemporaine : le respect de l'environnement.

En été, on compte jusqu'à 20 000 visiteurs par jour. Les deux tiers se contentent d'arpenter l'unique ruelle du Mont. Rien de nouveau sous le soleil, rappelle Patrice de Plunkett : en 1318, treize pèlerins meurent étouffés par la foule. En 1527, le secrétaire du cardinal d'Aragon constate que les Montois vivent de leurs boutiques de souvenirs : coquilles, statuettes de saint Michel, bijoux bon marché, jouets d'enfants. Les promeneurs qui, aujourd'hui, se plaignent des tarifs des crêpes ou des glaces devraient savoir qu'en 1402, l'abbé du Mont-Saint-Michel sévissait contre un cabaretier de Genêts, à l'ouest de la baie, parce qu'il avait forcé sur les prix...

C'est en 709 que l'évêque d'Avranches, Aubert, fonde sur le rocher un sanctuaire dédié à saint Michel. Les pèlerinages s'y succèdent. En 966, les bénédictins prennent possession de l'endroit. En 1203, lorsqu'un incendie détruit l'abbatiale, il est décidé de rebâtir tous les bâtiments monastiques, mais la configuration des lieux interdit de les disposer autour du cloître, selon le schéma classique. C'est donc sur trois niveaux que s'élèvera la Merveille, prouesse technique et chef-d'œuvre artistique. Saint Louis, Philippe III, Philippe le Bel et Charles VI font pèlerinage au « Mont-Saint-Michel au péril de la mer ». Pendant la guerre de Cent Ans, les défenseurs du Mont restent fidèles au roi de France. Au XVIIe siècle, les mauristes tentent d'enrayer la décadence monastique, mais ils sont bannis par la Révolution. Transformé en prison, le Mont nourrit la légende romantique. Dans des pages plaisantes, Plunkett évoque les rivalités entre détenus républicains et légitimistes sous la monarchie de Juillet, tous faisant front commun contre l'incendie de 1834. Napoléon III ferme la prison en 1863, et le Mont est classé monument historique. De Paul Féval à Maupassant, il inspire les écrivains. Les touristes arrivent, des hôtels et des restaurants s'ouvrent, et Anne Poulard met au point la recette d'une célèbre omelette.

En 1966, pour le millénaire de l'arrivée des bénédictins, des moines reviennent, encouragés par Malraux. En 2001, le relais est pris par les Fraternités monastiques de Jérusalem, communauté habituée à vivre à proximité des foules modernes. Dans l'abbatiale, les passants déposent des intentions de prière - pour un malade ou un disparu - qui ne diffèrent guère de celles de leurs prédécesseurs médiévaux. Le pèlerinage au Mont-Saint-Michel est devenu tendance : les chemins sont rénovés et balisés, et des passeurs professionnels font traverser la baie à des milliers de marcheurs. Comme à Saint- Jacques de Compostelle, ces pèlerins ne sont pas forcément chrétiens, mais tous sont en quête de quelque chose qui les dépasse. Les Japonais - le bus de Rennes en débarque tous les jours - sont fascinés par le Mont. En 2005, un couple de Tokyoïtes, bouddhistes et ne connaissant ni le christianisme ni le français, était saisi par la grâce et, quatre ans plus tard, se faisait baptiser.

Le Mont, « ce granit spirituel », écrit Patrice de Plunkett, « fait contrepoids à notre société : il témoigne d'une autre vision de l'existence ». Au pied de l'archange, même s'ils ne le savent pas, les badauds sont aussi des pèlerins.
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
*Les Romans du Mont Saint-Michel, de Patrice de Plunkett, Editions du Rocher.

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