Philippe Baillet fait parti de ces auteurs qu'il est difficile de classer ou d'étiqueter dans la mesure où cette race d'écrivain n'éprouve nullement le besoin de poser, de se « donner un genre », ou d'appartenir par principe à cette catégorie clairement identifiable d'hommes d'un seul livre, pour exister. Italianiste brillant (on lui doit des traductions de plusieurs grands penseurs transalpins dont Julius Evola, Del Noce, l'analyste et contempteur de « l'irréligion naturelle », et l'adaptation en langue française de l'ouvrage, très complexe, de Roberto Fondi, La révolution organiciste), évolien au nom de la "tradition", nourri des thèses de la Nouvelle Droite mais catholique convaincu, Baillet, qui fut l'un des cofondateurs en 1977 de la revue Totalité, fuit la médiocrité d'une manière épidermique mais s'abreuve en faisant toujours abstinence de préjugés des œuvres et des penseurs qui fourbissent leurs armes dans le grand combat civilisationnel contre la modernité qu'il exècre congénitalement. Modeste, trop modeste, il se définit comme « docteur en rien » alors que sa plume est remarquable et que ses critiques sont toujours étayées d'arguments indéniables, d'illustrations pertinentes et de précisions toujours bienvenues qui n'alourdissent jamais son texte. À ce propos on appréciera la précieuse utilité de ses notes de bas de page qui apportent systématiquement une lumière nouvelle à ses écrits ou une ouverture vers d'autres contrées, vers d'autres idées mais bien sûr toujours en rapport avec les thèmes qu'il développe. Avec son nouvel ouvrage intitulé Pour la contre-révolution blanche, Philippe Baillet explique fort bien pour qui et pour quoi il écrit, pour ceux qui naissent actuellement des décombres de la société moderne, pour les Blancs ayant pleine conscience de l'extrême précarité de leur race, pour les surhommes précoces d'aujourd'hui et surtout pour ceux de demain qui sortiront nécessairement de terre à l'issue de la guerre civilisationnelle inéluctable, comme se sont naturellement métamorphosés en fascistes les survivants virils de la Grande Guerre fratricide. Pour ce faire, il a sélectionné une quinzaine d'articles provenant pour la moitié d'entre eux du Choc du mois "original" (sa première version) où il collabora brillamment à partir du onzième numéro à la toute fin des années quatre-vingt jusqu'à la disparition de la revue, mais aussi de la Nouvelle Revue d'histoire, de Catholica ou de La Nef. La première leçon formulée par l'auteur, exprimée parfaitement par l'exemple même de son travail, est l'importance des mots et des notions utilisés par l'écrivain ou par le journaliste réactionnaire. Si l'on devine aisément qu'un tel cerveau ne peut que mépriser la phraséologie, le verbiage et les énoncés approximatifs (comme tout bon traducteur qui doit exprimer d'une façon optimum, avec fidélité, la pensée subtile d'un auteur), il a surtout compris que les mots étaient des armes et les phrases des bataillons et qu'il ne fallait en aucun cas utiliser, en les adoptant, les termes de l'adversaire. C'est ainsi qu'il rejette le vocable "révolution" dont la connotation est moderniste au profit de l'expression "contre-révolution" qui évoque sans ambiguïté un retour réfléchi aux sources de l'enchantement, de la religiosité et de l'ordre. Mais, posons-nous d'emblée la question, Baillet croit-il réellement à l'ultime victoire du bien sur le mal ou pense-t-il que ce monde est à l'agonie et que les efforts, même surhumains, d'une cohorte de blancs régénérés intellectuellement et spirituellement, ne font et ne feront en fait que retarder les morts de l'esprit et des libertés humaines pour laisser intégralement place à une masse informe vile et servile soumise constamment à l'infâme médiocrité de sa propre image ? Cela n'aurait guère d'importance si à l'image de Donoso Cortès, ce contre-révolutionnaire espagnol qui apparaît dans une certaine mesure comme le précurseur de Carl Schmitt en tant que théoricien de « la situation d'exception » ou de la dictature (qui « a pour la jurisprudence la même signification que le miracle pour la théologie ») Philippe Baillet écrivait et agissait, comme cela semble être le cas, à l'instar de Donoso, en travaillant de toutes ses forces pour le renouveau ou la sauvegarde de la civilisation malgré la certitude de sa fin inéluctable ? « On peut très bien, écrit-il ainsi, jour après jour, faire ce qui doit être fait, remplir son devoir d'état, sur un fond de désespérance à peu près totale en ce qui concerne la possibilité d'inverser le cours des choses ».
On comprend mieux, par ailleurs, pourquoi, en France en particulier, l'œuvre de Donoso et sa vision millénariste de la politique ne se diffusèrent que parcimonieusement, là où la tradition a été profondément rationalisée sinon "positivisée" par les théorèmes maurrassiens. Et nous pourrions nous demander sur ce point si la préparation de la dictature puis son organisation peuvent être correctement menées par des cerveaux ayant irrémédiablement fait le deuil d'une victoire finale, sensiblement irréversible, sur le plan mondain, et qui auraient été "vaccinés" contre tout enthousiasme né du sentiment du possible triomphe permettant souvent le dernier coup de rein paradoxalement fatidique... Les articles consacrés à Friedrich Nietzsche et surtout, selon nous, au poète et romancier Antonin Artaud (initialement paru en 1988 soit 40 ans après sa mort) ont certainement été motivés par ce même "mystère" constitué par la juxtaposition au sein d'une même cervelle d'un pessimisme concernant l'avenir de l'occident donc du monde voué à l'apocalypse et d'une volonté viscérale, instinctive, de lutter contre « l'insupportable », loin de tout dandysme jugé par l'auteur comme une posture impossible en notre temps. En effet, Artaud qui a tenté (malgré la maladie taraudeuse) de lutter contre « la putréfaction de la culture occidentale » en "littérature", au théâtre et au cinéma (Maurras écrivait dans Trois idées politiques que « le bon peuple veut des modèles, et l'on s'obstine à lui présenter des miroirs ») a été contraint pour survivre encore lors de ses dernières années pendant lesquelles la réalité lui était devenue insupportable de « devenir fou» du fait de sa faiblesse découlant peut-être d'un excès de lucidité, plutôt « que de forfaire à une certaine idée supérieure de l'honneur humain ». Ou la difficulté de rester soi dans un monde empoisonné...
Cependant l'ouvrage de Philippe Baillet ne se limite pas à ces questions psychologiques et philosophiques liées à la plus pure métaphysique, au demeurant fort intéressantes, mais décrypte également les actions néfastes des penseurs du système dont l'imbécillité seule rivalise avec leur malhonnêteté et leur méchanceté. Ceux-là accompagnés de la justice (systémique) et des media ont créé un nouveau régime que le paléo-conservateur et racialiste Samuel Todd Francis (1947- 2005) a appelé (pour la première fois dans la revue Chronicles eu 1992) anarcho-tyrannie, système sociopolitique où les vrais criminels ne sont pas réprimés en même temps que le sont les citoyens innocents, Sur le sujet, Baillet offre à ses lecteurs un article inédit (et le plus long du recueil) d'une remarquable densité dans lequel sont présentés avec force précisions les courants conservateurs américains et où sont mises en exergue les spécificités et l'essence du paléo-conservatisme qui ne peut en aucun cas être comparé avec l'idéologie des néocons dont le postulat est le mondialo-sionisme. Ici le constat des agressions commises par le système à l'encontre des Blancs et résumé par un petit texte de Robert S. Griffin (que l'ami Jim Reeves connaît bien) est d'une magnifique limpidité : Ces agressions permanentes visent à faire adopter par les Blancs « trois opinions contradictoires dans le domaine racial. Premièrement, la race n'existe pas : deuxièmement, elle existe mais n'a pas d'importance : troisièmement, elle existe et importe, et, en ce qui concerne les Blancs, leur race est quelque chose dont ils doivent se sentir coupables et qu'ils doivent expier ». Et Baillet d'ajouter avec ironie que « tous les actes racistes de l'histoire, sans exception, ont été commis par des Blancs non juifs : et ces actes, bien sûr, ne pouvaient avoir pour seule et unique cause que la malignité profonde, la méchanceté viscérale des Blancs non juifs. » Tel est le miroir sur lequel se reflète en permanence l'image dénaturée de la masse blanche qui pour se faire pardonner (et la contrition doit être, semble-t-il, éternelle) ne possède qu'un moyen: Se saigner et fondre, humiliée, jusqu'à complète disparition.
Valentin BARNAY. RIVAROL 29 OCTOBRE 2010
Philippe Baillet, Pour la contre-révolution blanche, portraits fidèles et lectures sans entraves, Editions Akribeia (45/3, route de Vourles, 69230 Saint-Genis-Laval. « vww.akribeiafr », 188 pages, 18 euros (frais d'envoi = 5 euros ; 2 livres et plus = 6,5 euros).