Léon Bloy tout d’abord… puis Jacques Ellul à sa suite, se sont attaqués aux « lieux communs » de la société bourgeoise. Si Léon Bloy a su parfaitement cerner l’hypocrisie de son temps, Jacques Ellul quant à lui a magistralement moqué les attitudes pseudo-révolutionnaires de ces contemporains.
Je n’aurais nullement la prétention de me hisser à la hauteur de ses deux géants de la pensée, mais malgré tout, je ne peux m’empêcher de vilipender quelques lieux communs qui ont le don de me faire bouillir chaque fois que je les entends.
I
«Chacun fait ce qu’il veut ». Voila le lieu commun bourgeois par excellence. Cette sentence sert à tout justifier. Quand je dis tout, c’est tout et son contraire. Affirmation péremptoire sortie du tiroir, camouflée derrière le paravent de la lutte pour la liberté, quiconque oserait ne serait-ce que réagir à ces quelques mots serait immédiatement soupçonné d’être un odieux réactionnaire ! Et comme tout le monde le sait, être réactionnaire, c’est le mal. Léon Bloy moquait déjà un autre Lieu commun « il faut vivre avec son temps ». J’y reviendrai.
Il est toujours amusant d’entendre dans la bouche d’un lycéen que « chacun fait ce qu’il veut », puisque l’adolescent peut ici y puiser l’ultime argumentation pour avoir la possibilité de faire la fête. Car « Chacun fait ce qu’il veut » fait souvent bon ménage avec homo festivus. « Chacun fait ce qu’il veut » est l’héritier de mai 68, la formulation longue et moins paradoxale de « Il est interdit d’interdire ». « Chacun fait ce qu’il veut » est hédoniste. Il est aussi totalement immature.
Lorsque vous voyez cette dame, qui n’a rien de plus, rien de moins que la Française moyenne, les cheveux grisonnant de la retraite « bien méritée » déclamer à la télévision que « Chacun fait ce qu’il veut », c’est tout un univers qui s’écroule. Qu’un adolescent boutonneux et immature jette cela à la face de son interlocuteur comme un enfant jetterait une crotte de nez, soit, mais que cette sexagénaire y saute les pieds joints dedans, c’est le signe que la civilisation s‘écroule. Bien sûr, un calcul rapide suffira pour comprendre qu’à 20 ans, elle faisait surement partie de la génération du rouquin de Nanterre, et là, en effet, ça n’étonnera plus personne puisque contrairement à une idée reçue, la sagesse ne vient pas avec la vieillesse, sinon les maisons de retraite seraient devenues les temples de l’ère Moderne…
« Chacun fait ce qu’il veut » c’est le mariage homo autant que le grand patron qui s‘installe en Belgique ou en Suisse, puisqu’après tout, l’un est libre de se marier « avec qui il veut » et l’autre de s’installer « où il veut ». Car ce que les gens veulent, c’est avant tout leur intérêt personnel. Voila les deux faces de la médaille. La bourgeoise sociétale et la bourgeoisie d’affaire ne sont jamais très éloignées quant il s’agit de prôner ce libéralisme putride, ce libéralisme fossoyeur de toute société. Un libéralisme fossoyeur de la décence commune autant que de la civilisation.
II
Un autre lieu commun me défrise particulièrement c’est celui de la « représentativité » qu’on nous lâche à tout bout de champs comme on lâche des ballons à la fête foraine.
La représentativité est encore un avatar du libéralisme. Le parlement « représente le Peuple », telle association représente les gays/handicapés/noirs/juifs/ musulmans/travailleurs/consommateurs… Mais est-ce qu’on vous a déjà demandé votre avis à vous ? Moi non.
En réalité la représentativité est la plus grosse arnaque du système libéral. Quant un politique assène que « le Parlement représente la nation », qui peut vraiment y croire ?
Allons, allons, soyons sérieux cinq minutes, un Parlement dominé majoritairement par les professions de la justice, de la médecine ou de l’enseignement ? Un Parlement où il n’y a aucun ouvrier ? Un Parlement où les partis politiques (déjà eux-mêmes fort contestables) siègent sans aucune proportion logique avec les résultats des différentes élections (elles-mêmes contestables) ? Un Parlement où les « représentants » sont parfois absents ? Où certaines lois sont débattues par vingt personnes….
La guignolade continue lorsqu’on y ajoute que le Président a été élu « par les Français ». Ben voyons… Un peu plus de 50 % des votes, sans compter l’abstention, les votes blancs ou nuls, les non-inscrits… bref le Président doit être élu par un quart de la population en âge de voter… (Limite d’âge fixée arbitrairement, elle aussi). Mais certains continuent de vous dire que c’est le « jeu démocratique », qu’il faut le respecter, que si vous vous opposez à cette représentativité vous n’êtes vraiment pas un démocrate (le mot creux par excellence avec « liberté » et « bonheur »)… pire vous pourriez même devenir un « ennemi de la démocratie », ce qui correspond à peu près à une excommunication en règle. Circulez, il n’y a rien à voir !
La démocratie a son modèle, lui aussi est sensé être « représentatif », je ne vous parle pas de l’Angleterre, génitrice du parlementarisme en même temps qu’elle générait le libéralisme, je vous parle du fils rebelle, les Etats-Unis. Le pays qu’on qualifie de « grande démocratie », c'est-à-dire un pays où quand vous votez pour un président, non pas ici directement mais via les grands électeurs, vous empochez tous les sièges de l’état où vous êtes majoritaire. Pour ceux qui auraient les yeux embrumés par la fatigue, cela signifie que si votre candidat obtient 52.5% dans un Etat comportant 40 sièges, vous ne remportez pas 21 sièges mais…40. C’est la démocratie. Et représentative en plus ! Donc ça va. En plus les Américains nous ont libérés. Et puis leur président est noir. Et puis ils ont des super séries télé et les fast-food. Voila. Ah oui, ne pas oublier. Si aux Etats-Unis on passe par les grands électeurs, c’est parce qu’on se méfie du peuple et qu’on veut éviter des formes de « populisme » plébiscitaire, comme en France, bien que je vous ai démontré que ce n’était pourtant pas le cas. Car ne pas oublier qu’une vraie démocratie se méfie du peuple, c’est parfaitement logique, ne cherchez pas.
III
« Il faut vivre avec son temps », n’est-ce pas ?
Cette phrase va souvent de paire avec « Chacun fait ce qu’il veut ». Elle est absolument indémontrable, mais ici encore, si vous vous opposez, vous êtes un réactionnaire, ennemi de la démocratie et de la liberté. Et même, tenez-vous bien, de l’égalité. Même si « notre temps » n’est pas particulièrement égalitaire. Mais bon, ça, c’est un détail de l’histoire, hein ?
Reprenons. « Il faut vivre avec son temps » signifie souvent inclure dans la loi tout ce que le lobbying et le formatage auront inculqué à grand coup de propagande dans le crâne des honnêtes gens jusqu’à faire apparaître cela comme « normal ». L’histoire démontre que quelque soit le modèle dominant au pouvoir, la société finit tôt ou tard par suivre. Les européens furent païens, puis chrétiens. Les Français furent royalistes, bonapartistes, républicains, pétainistes, gaullistes, libéraux, … Il ne faut absolument pas tenter de comprendre pourquoi. Les honnêtes gens veulent surtout éviter les problèmes, vivre paisiblement. Cette passivité des masses profite bien souvent aux minorités d’activistes, financés, médiatisés, ils donnent l’impression à la masse qu’elle est dans l’erreur. Ainsi, lorsque vous êtes étudiant, vous constatez très vite qu’une poignée de nervis de libéraux contrariés (on appelle ça des libertaires) peut tout à fait contrôler une université, en contrôler les élections et définir le Bien et le Mal. C'est-à-dire que « vivre avec son temps » c’est vivre en subissant en silence les agissements d’une poignée d’excités. Dans le domaine de la grande politique, on appelle ça des lobbies, ils sont représentatifs, si vous vous souvenez. C'est-à-dire qu’une association en carton, financée par un mécène de la grande bourgeoisie, soutenue par un acteur ou un chanteur sans talent faisant glousser les ados et dispensant sa morale à la population lors de grandes fêtes subventionnées par vos impôts, définit pour vous la loi et ce qui est de votre temps. Et vous qui n’êtes financé par personne, dont toute la bobocratie parisienne se tape, vous qui êtes la majorité silencieuse paisible, vous vous faites imposer des lois que vous réprouvez, mais dont on vous a persuadé que « la majorité des Français l’approuve » grâce à un sondage de 1060 personnes, c'est-à-dire jamais vous ni quiconque que vous connaissez.
« Il faut vivre avec son temps » procède d’une vision de l’histoire totalement contestable. Une histoire qui irait dans le sens du progrès de l’humanité mais où en fait l’Antiquité c’était quand même plus développé que le Moyen Âge, malgré tout. Bien sur tout le monde ne s’accorde pas sur ce qu’est le progrès. Pour certains c’est le fait que « chacun fait ce qu’il veut » et qu’après tout on peut avoir des aventures sexuelles « comme on veut ». Pour d’autres ce sont des voitures volantes, même si je vois toujours pas de prototype de DeLorean par chez moi. Pour d’autre encore, c’est vivre en harmonie avec tous les êtres vivants, dans la paix et l’amour. Le progrès c’est le jour où il y’aura plus de guerre, même si ça n’aura échappé à personne que la société progressiste est belliqueuse envers ceux qui refusent son « progrès ». Encore une fois ce sont toutes les faces du libéralisme bourgeois. Vous pouvez piocher, c’est gratuit ! Moi j’ai l’impression que « vivre avec son temps », c’est un peu tourner le dos à tout ce qui se faisait avant, sauf bien sur les Droits de l’Homme de 1789.
Car voyez-vous, le passé, c’est rance, ça sent la naphtaline, c’est totalement réac. Mais pas la DDHC de 1789 qui à l’instar des textes religieux est atemporelle. Son actualité ne fait aucun doute ! Que dis-je ? Elle est toujours plus d’actualité ! Prenez Bonaparte, ou plutôt Napoléon Ier, empereur des Français, ça c’est le passé, c’est un autre monde, on peut tripatouiller le code civil de 1804 comme on veut pour « l’adapter ». Mais par contre la DDHC qui lui est antérieure de 15 ans et qui fut le socle de la Première République de 1793, hé bien elle, si vous y touchez, vous êtes l’hérétique, vous mériteriez le bûcher. Mais alors c’est à n’y plus rien comprendre, si notre monde est rationnel, grâce à l’héritage des Lumières, alors pourquoi ce sentiment que la DDHC a été sacralisée et que tout atteinte relèverait du blasphème ? Etrange n’est-ce pas ? Etrange aussi de considérer que les Lumières, c’est «toujours dans l’ère du temps » alors que des penseurs du XIXe et du XXe siècles seraient devenu totalement has been.
Bref ne vous triturez plus les méninges ! Ce qui est « de notre temps » c’est ce qu’en ont décidé les libéraux. L’énigme est résolue.