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Pétain et le problème juif

La découverte d'un document annoté par le maréchal Pétain n'apporte rien de nouveau, selon le professeur François-Georges Dreyfus, qui rappelle la banalité de l'antisémitisme dans les années précédant l'Occupation.
La publication d'un avant-projet portant sur le statut des juifs fait couler beaucoup d'encre et entraîne certains à commettre de graves erreurs. Il y a peu de chances que les annotations soient de la main du maréchal Pétain, dans la mesure où on le voit mal renuméroter les articles après modification. On en tire, par ailleurs, des affirmations excessives et discutables.
Les instituteurs montrés du doigt
Examinons-les : elles suppriment la dérogation dont auraient bénéficié les descendants des juifs français installés en France avant 1860, et durcissent les conditions faites aux enseignants et aux magistrats. La dérogation était la reprise d'une proposition du Consistoire central des Israélites de France de fin septembre 1940, ainsi que l'a montré le professeur israélien Asher Cohen dans Persécution et Sauvetage (Le Cerf, 1993). Il était évident qu'elle n'avait aucune chance d'être acceptée. Cela laisse penser que l'avant-projet retrouvé émane de la Chancellerie. On voit mal Alibert imposer une telle proposition. Les mesures aggravées contre les enseignants s'inscrivent dans une logique que l'on oublie. Entre les deux guerres, les instituteurs sont dans leur majorité pacifistes, et depuis la fin des années vingt, cela inquiète les milieux militaires. Pour redonner courage à la jeunesse, renforcer son patriotisme, il faut réformer la formation des instituteurs. C'est pourquoi en 1934, après le 6 Février, le Maréchal, qui entre dans le gouvernement, souhaite le portefeuille de l'Éducation nationale ; mais cela aurait été une telle provocation que Doumergue lui confie la Défense. Dans l'esprit du Maréchal, empêcher les juifs, à la fois pacifistes et fauteurs de guerre, d'enseigner, est assez logique. Fauteurs de guerre, en effet, à la fin de 1938, après la Nuit de cristal et la prise de Prague par Hitler, ils poussent à la guerre contre l'Allemagne.
Le Maréchal n'est pas le seul à s'en inquiéter. Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Daladier, se plaint, en mars 1939, dans le quotidien radical de Périgueux, dont il est le député, des menées belliqueuses de la communauté juive. Jérôme Carcopino, ministre de l'Éducation nationale de 1940 à 1942, demande des dérogations pour un millier d'enseignants, essentiellement du secondaire et du supérieur. Le Conseil d'État, dont l'avis est obligatoire, rejette les trois quarts de ses demandes. Or, les neuf dixièmes des conseillers d'État avaient été nommés avant 1940 ! En définitive, il n'y eut que quelques dérogations accordées. Par exemple pour Marc Bloch, Louis Halphen ou Robert Debré
D'un poste à l'autre
Les autres ministères agiront d'une manière totalement différente. Puisque les cadres supérieurs juifs doivent être révoqués, on va modifier l'intitulé de leur emploi. M. X, ingénieur des Ponts et Chaussées, ou M. Y, ingénieur du Génie maritime, deviennent conseillers techniques de l'administration, du ministère de l'Intérieur ; on transforme en "agents supérieurs" des administrateurs civils et des membres du corps préfectoral. Au reste, en zone libre, il n'y a pas d'école spéciale pour les juifs et on ne porte pas l'étoile. On peut voyager normalement et les mariages mixtes ne sont pas interdits à la différence des Pays-Bas. D'ailleurs, entre 1940 et 1944 il y a une proportion plus grande de juifs à l'X et à l'École normale supérieure, que dans l'entre-deux guerres.
En fait, les mesures antisémites sont liées à l'état d'esprit qui règne en France depuis les années trente, en raison de l'afflux de juifs allemands poussés à l'émigration et de juifs polonais et roumains fuyant l'antisémitisme de leurs États alliés de la France. Médecins et avocats se plaignent de leur concurrence, tout comme les artisans du textile ou de l'alimentation. C'est au temps de Vichy que sera créé l'ordre des Médecins proposé par le Sénat depuis des lustres. On imagine mal l'importance de cet antisémitisme. Un écrivain rapporte qu'on est venu lui demander son aide pour empêcher l'expulsion d'étrangers. Voici ce qu'il raconte : « Je suis allé les voir... J'ai trouvé une famille d'Askenasys, les parents et leurs quatre fils, qui n'étaient d'ailleurs par leurs fils et n'avaient aucun permis de séjour... On devinait celui qui vendrait les cartes postales transparentes, celui qui serait le garçon à la Bourse, puis Stavisky, celui qui serait le médecin avorteur, celui qui serait au cinéma, d'abord le figurant.. puis M. Cerf et M. Natan. » Et l'auteur conclut ainsi : « Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées, il ne peut l'être que par la race française et nous sommes complètement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle atteint sa forme raciale. » Ce texte n'émane pas de l'extrême droite raciste ; il est de Jean Giraudoux. Il a été publié dans Pleins Pouvoirs. L'"achevé d'imprimé" est du 17 juillet 1939, et il n'est pas inintéressant de se souvenir que le 25 juillet suivant, M. Giraudoux sera nommé commissaire général à l'Information du gouvernement de la République. On le voit, l'antisémitisme règne partout, y compris à gauche. Nombre de militants de la SFIO se plaignent de l'entourage essentiellement juif de Léon Blum.
Dès lors, ayons le courage de dire que cet avant-projet autour duquel on fait tant de bruit n'apporte rien de nouveau. Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères du Maréchal, avait déjà montré dans ses Mémoires l'aggravation donnée par le Maréchal à la condition faite aux enseignants juifs. Dire que le gouvernement de Vichy fait preuve d'antisémitisme est incontestable. Il y est poussé par l'opinion, et par les mesures prises en zone occupée par les Allemands. Mais il faut établir un bilan objectif. Les deux tiers des juifs de France déportés appartiennent à des familles juives arrivées après 1920, tandis que les juifs français ont été relativement protégés. Cette distinction entre français et étrangers est bien entendu la conséquence de la volonté du gouvernement de protéger les premiers. Mais il y a aussi le comportement des autorités juives elles-mêmes : à l'automne 1941, le père Fessard et l'abbé Glasberg viennent demander au cardinal Gerlier d'intervenir en faveur des juifs étrangers que l'on va interner dans des camps ; ils s'entendent répondre par le président du Consistoire central, appelé par le cardinal, qu'il ne faut rien faire, car cela entraînerait des risques pour les juifs français.
Un bilan nuancé
Depuis un certain nombre d'années bon nombre d'historiens français, à la suite de Robert Paxton, développent une pensée unique, sommaire et réductrice, présentant une image manichéenne de la France sous Vichy. Selon eux, il faut mettre en avant l'origine française de la politique antisémite. La situation est beaucoup plus complexe : le livre de Mme Linore Yagil, La France, terre de refuge (Le Cerf, 2010), remet les choses au point. Les historiens israéliens sont, en définitive, plus objectifs que nombre d'historiens français. Ce sont eux qui rappellent le plus souvent qu'aux Pays-Bas, où il n'y a pas de gouvernement, 82 % des juifs résidant dans le pays ont été déportés. En Belgique, 45 % l'ont été. Les déportés depuis la France représentent 21 % de la population juive de 1939.
Je ne suis pas sûr que le nombre de survivants aurait été aussi important si les maires, les brigadiers de gendarmerie, les curés de campagne ne s'étaient pas sentis couverts par leurs supérieurs. On oublie un peu facilement que 20 % des préfets seront déportés entre 1943 et 1945. Par exemple, le préfet de l'Hérault, M. Hontebeyrie, laisse ses services aider les persécutés (juifs, communistes, résistants) et la Résistance. Il n'est pas révoqué par Vichy, mais déporté par la Gestapo. Il n'est pas le seul à être dans ce cas (cf. la situation en juin 1944). Notons d'ailleurs que la résistance française fait elle-même preuve d'antisémitisme dans le Premier Cahier de l'OCM (Organisation civile et militaire), rédigé par M. Blocq-Mascart, et publié un mois à peine avant la rafle du Vel d'Hiv.
Si le maréchal Pétain avait été aussi antisémite qu'on le dit, « la zone libre n'aurait pas été, comme le dira Annie Kriegel, une terre d'asile et un îlot préservé ». Après tout, on pourrait distinguer la zone libre où vivent 215 000 juifs dont 26 000 seront déportés, et la zone nord où ils sont 113 000 et dont 48 000 seront déportés. C'est bien la preuve que le gouvernement de Vichy est quand même arrivé à limiter le désastre que sera la déportation.
François-Georges Dreyfus L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 21 octobre au 3 novembre 2010

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