Dénonciateur d'un « Grand Remplacement » Renaud Camus pointe un « changement de peuple » rendu possible par « la Grande Déculturation ». Il y voit « le phénomène le plus considérable de l'histoire de France depuis des siècles, et probablement depuis toujours ». Il a bien voulu nous éclairer sur ce sujet, à l'occasion de la sortie de son dernier livre.
Est-il besoin de présenter Renaud Camus à nos lecteurs ? Ecrivain, auteur, notamment d'un journal tenu depuis 1985 et publié année par année, il a également écrit sur l'art et la culture, ainsi que des essais polémiques et politiques, auxquels appartient son dernier ouvrage, Le Grand Remplacement, qui fait l'objet de cet entretien. Il a fondé en 2002 le Parti de l'In-nocence, qu'il dirige toujours, « constitué autour des valeurs de civisme, de civilité, de civilisation, d'urbanité, de respect de la parole et d'innocence », "nocence" étant entendu comme "nuisance", du latin nocere...
o L'Action Française 2000 – Pourriez-vous donner une définition du "Grand Remplacement" – titre de votre dernier livre –, une réalité qui pourrait se révéler aussi dramatique pour le peuple français que le Grand Dérangement, jadis, pour les Acadiens... ?
o Renaud Camus – Oh, le Grand Remplacement n'a pas besoin de définition, ce n'est pas un concept, c'est un phénomène, évident comme le nez au milieu du visage. Il suffit pour l'observer de descendre dans la rue, ou seulement de regarder par la fenêtre. Un peuple était là, stable, occupant le même territoire depuis quinze ou vingt siècles. Et tout à coup, très rapidement, en une ou deux générations, un ou plusieurs autres peuples se substituent à lui, il est remplacé, ce n'est plus lui. Il faut noter que la tendance à considérer les êtres et les choses, les objets, et les peuples, donc, comme remplaçables, interchangeables, donc, est assez générale, bien conforme au triple mouvement selon lequel le monde s'est à la fois industrialisé, déspiritualisé et décultivé, si je puis dire. On peut penser à une sorte de taylorisme tardif, généralisé : au début ce sont les pièces qu'on change, ensuite ce sont les hommes et finalement les peuples. Mais, pour cela, il faut les abrutir, les hébéter, leur enseigner l'oubli, et d'abord l'oubli de ce qu'ils sont.
o Vous notez très vite le retournement de sens qu'il y a à appeler "cités" des zones qui, précisément, « ne parviennent pas à le devenir », puisqu'elles sont de non-droit, ajoutant que notre époque se caractérise par l'antiphrase et le mensonge...
o Oui. Quand on ne peut pas changer les choses, ou qu'on juge inutile de le faire, trop compliqué, trop coûteux, trop risqué, on change les mots. Prenez "populaire", qui s'est mis à désigner parmi nous ce qui n'est pas le peuple français traditionnel : un quartier populaire, c'est maintenant un quartier d'où le peuple anciennement installé a été évacué, transplanté, chassé – un quartier populaire, c'est un quartier immigré, où le Grand Remplacement a déjà eu lieu. Prenez "culture" : quand il n'y a plus de culture, on appelle "culture" ce qu'il y a. Le Monde s'émerveillait récemment de l'état de la culture en France, en rappelant que des millions de gens avaient vu Intouchables ou assistaient à des "concerts" de rock. "Musique" est un des premiers termes qui aient radicalement changé de sens, vers la fin du XXe siècle, et se soient mis à désigner à peu près le contraire de ce qu'ils avaient voulu dire jusque-là. J'ai découvert récemment que "cinéphile", que j'avais un peu perdu de vue, est revenu pour désigner ceux qui vont souvent au cinéma : si vous allez six ou sept fois par an au cinéma, vous êtes un cinéphile, même si c'est pour ne jamais rater Kad Merad ou Alain Chabat.
o En quoi la Grande Déculturation – un autre de vos concepts – est-elle à l'origine de ce Grand Remplacement ?
o Ah, je n'ai jamais dit qu'elle en était à l'origine. Je dis qu'elle en est la condition nécessaire. Un peuple qui connaît ses classiques ne se laisse pas mener sans regimber dans les poubelles de l'histoire. L'hébétude concoctée de concert par l'enseignement de l'oubli et l'industrie du divertissement est seule à même de produire l'être remplaçable qu'exige le marché globalisé.
o Vous militez « pour un accroissement maximal de la différence de statut et de traitement entre citoyens et non-citoyens » ; comment dénoncer auprès de compatriotes endoctrinés ces deux sophismes, le premier qui sépare la citoyenneté de la nationalité, le second qui rend un « acte délictueux » – la clandestinité – « créateur de droits » ?
o En les adjurant de se réveiller et d'en croire leurs yeux. Le complexe médiatico-politique vole aux citoyens leur propre expérience en lui substituant en permanence, autre "remplacisme", un discours sociologico-idéologique destiné à les convaincre qu'ils ne voient pas ce qu'ils voient, qu'ils ne vivent pas ce qu'ils vivent, que tout ça est dans leur tête, qu'à l'école le niveau monte, que partout la sécurité s'améliore, que l'immigration diminue, qu'il n'y a pas de races mais qu'elles sont égales, que d'ailleurs tout et tout le monde est égal, ce qui est évidemment la condition de l'interchangeabilité.
o Vous observez que « Georges Pompidou, c'est à peine imaginable, parlait encore, il y a quarante ans à peine, et à Sciences- Po encore, du génie de notre race ». J'ajouterai que, dans le même discours, il avait osé citer le Maurras de Kiel et Tanger. Où en est, en France, plus encore que la liberté d'expression – nous vivons des années de plomb – l'indépendance de l'esprit ?
o Dans les interstices, dans les lapsus, dans les souterrains, dans la syntaxe, dans l'échec, dans le souvenir d'enfance, dans le désir fétichiste, dans l'absence, dans la non-coïncidence avec soi-même, dans l'érudition, dans le mot pour un autre, dans la solitude, dans les cimetières, dans les bouchons d'oreille, en Pologne, au pied de la lettre.
o La France, regrettez-vous, n'est plus qu'une « simple expression géographique », sans épaisseur culturelle et historique, mais vous en exonérez la Révolution française alors que c'est l'Encyclopédie qui, précisément, définit la nation uniquement comme « une quantité considérable de peuple, qui habite une certaine étendue de pays, renfermée dans de certaines limites, et qui obéit au même gouvernement ». N'est-ce pas l'homme abstrait des Lumières qui a fait de tous les Français des Français de papier ?
o C'est bien la première fois qu'on me reproche d'exonérer la Révolution française de quoi que ce soit ! Il me fallait vraiment venir à l'Action française ! La seule petite excuse que je trouve à la Révolution française, c'est qu'elle n'a pas cru à ce qu'elle a dit et qu'elle eût été stupéfaite de constater qu'un siècle plus tard, on commençait à prendre au sérieux ses exercices de rhétorique. Les hommes de la Révolution, convenez-en, se sont montrés de farouches patriotes, et cela au sens le plus classique du mot. Comme tous les Français de l'âge classique, ils avaient un si fort sentiment naturel, c'est-à-dire culturel, de ce que c'était que d'être français, qu'ils pouvaient bien dire en s'écoutant parler que les habitants de la Terre entière avaient vocation à devenir français, que c'était un concept universel : ils n'y croyaient pas une seule seconde. Ils déclarent Thomas Paine ou Anacharsis Clootz citoyens français, ils les font élire à la Convention, mais à la première occasion, quand ces malheureux commencent à ne pas voter comme on voudrait qu'ils votent, on déclare très inélégamment qu'ils ne sont pas français, que ça ne compte pas, et ils sont exclus de l'assemblée. L'ennui est que par la suite d'aucuns ont cru, ou prétendu croire, à ces billevesées – ce qui, dans un premier temps, nous a d'ailleurs valu quelques excellents Français, en un temps où le France s'aimait assez pour être aimable, désirable, et avait une assez haute idée d'elle-même pour ne se laisser pas trop marcher sur les pieds. Nous en sommes loin.
o Êtes-vous toujours candidat à l'élection présidentielle au nom du parti de l'In-nocence, que vous avez fondé ? Quelles sont vos raisons d'espérer ?
o D'espérer être élu ? Minces. D'espérer être officiellement candidat, bardé des fameuses cinq cents signatures ? Médiocres. Mais sérieuses d'espérer un réveil de notre peuple, avant qu'il ne soit tout à fait trop tard. Appelons cela le syndrome de Jeanne d'Arc, ou du 18 Juin, ou du fond des abymes. Les peuples ne disparaissent pas si facilement. Un beau jour, quelqu'un se souvient, puis quelqu'un d'autre, et c'est un cri énorme dans toute la vallée. Qui aurait pu penser que la langue hébreu sortirait du tombeau ? Peut-être le français connaîtra-t-il un jour le même sort, qui sait, et son peuple avec lui. J'ai une conception lazaréenne de la patrie.
Propos recueillis par François Marcilhac L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 19 janvier au 1er février 2012
✓ Renaud Camus, Le Grand Remplacement, éditions David Reiharc, 113 pages, 13 euros