On a là deux mots qui font peur, surtout accolés l'un à l'autre. Les Européens sentent confusément tout ce qu'ils contiennent d'explosif. Le vote irlandais a exprimé cette inquiétude. Le cadre institutionnel qu'a créé la construction européenne n'est pas du tout adapté à la mondialisation. Il l'a même aggravée. Dans un cadre de mondialisation, il fallait aux différents pays plus de souplesse et de réactivité comme cela se passe dans les pays d'Asie. La construction européenne n'a apporté que de la rigidité et a anéanti toute politique budgétaire et monétaire, bref la plupart des pouvoirs étatiques nationaux.
Les Etats-Unis ont créé avec la mondialisation et le consensus de Washington une véritable machine de guerre à désindustrialiser l'Occident. Les Européens ont créé avec l'Union Européenne une machine de guerre à désindustrialiser Ia zone EURO et surtout les pays membres fondateurs.
Pendant des années, avant la mise en place de l'Euro, la France a été contributrice, c'est-à-dire qu'elle a payé pour que les entreprises aillent s'installer ailleurs que chez elle (Irlande, Espagne, Portugal, Grèce, maintenant l'Europe de l'Est). Maintenant, l'Euro fort a comme effet d'accélérer la désindustrialisation de la France, ce qui est particulièrement inquiétant car les secteurs non délocalisables (agriculture, services) ont de faibles gains de productivité, donc génèrent peu de croissance.
Tout ceci explique les faibles taux de croissance de la France depuis des années. Pour un pays, garder une industrie forte est une garantie pour l'avenir et de contrôle des secteurs innovants. En 2007, la France a perdu 50.000 emplois dans l'industrie.
L'Euro pour l'Italie a été une catastrophe.
Il faut aussi relativiser le « miracle» allemand actuel avec son excédent commercial. L'Allemagne a externalisé sa production, c'est à dire qu'une grande partie de sa production est réalisée à l'étranger par des sous-traitants, l'emballage se faisant « made in Germany ». L'excédent commercial a été fondé aussi sur une politique de désinflation compétitive (compression pendant vingt ans des salaires allemands). Les excédents commerciaux officiels n'ont donc pas amélioré le sort de l'ensemble du peuple allemand. L'image de l'ouvrier allemand se rendant à son usine en grosse Mercédès, un gros cigare aux lèvres appartient au passé.
L'Allemagne a joué son intérêt personnel contre les intérêts de la France et de l'Italie dans le cadre de l'Europe.
Europe et mondialisation ont été un mélange explosif pour la France. Il faut noter que les gagnants de la mondialisation sont maintenant en fin de compte très peu nombreux (financiers, industriels qui délocalisent sans état d'âme, ceux qui contrôlent la distribution, gros actionnaires, ... ). Une partie de la population, sans être gagnante, n'est guère touchée (fonctionnaires, professions libérales, salariés de secteurs protégés). La majorité est directement atteinte (baisse de salaires, précarité, chômage, pouvoir de négociation réduit à néant, ... ) Avec la construction européenne et le traité de Maastricht on avait promis aux Européens « des lendemains qui chantent ». Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, beaucoup d'Européens pensent que demain sera pire qu'aujourd'hui. Pendant cinquante ans on a fait rêver les Français avec l'Europe. Beaucoup d'hommes politiques ont bâti leur carrière sur ce thème. Maintenant que nos concitoyens n'y croient plus, on a inventé un nouveau gadget sarkoziste : l'Union pour la Méditerranée, invention qui ne traduit que la faillite du projet européen.
Que faire ?
Pierre Bourdieu écrivait : « La néo-libéralisme annonce un fatalisme économique contre lequel toute résistance paraît vaine. Le néo-libéralisme est pareil au SIDA : il détruit le système immunitaire de ses victimes ». Alain Minc disait plus crûment : « il ne sert à rien de pisser contre le vent ». Il est vrai que lorsqu'on interroge certains « experts» ou spécialistes en économie ils répondent la plupart du temps à la question « Que faire ? » - Rien.
Ceux qui s'enhardissent répondent : « il faut s'adapter », formule très creuse qui voudrait transformer les Français en vendeurs de saucisses et de merguez. Comme nous l'avons vu, la construction européenne a enlevé à la France ses pouvoirs de décision. Jean-Claude Trichet, grand maître de la politique monétaire avait déclaré avec toute l'arrogance et la grossièreté de ceux qui étant arrivés à des postes de responsabilité internationaux et pour qui renier son pays est un plus : « Je ne me considère pas comme Français ». Il est vrai qu'avec son salaire en euros (kolossal), la situation de la France lui importe peu.
En 2002, le candidat aux présidentielles Le Pen avait proposé de sortir de l'Euro ; on a crié « au fou » mais cette proposition pouvait se justifier, même s'il est toujours très difficile de revenir en arrière. Le Front National a aussi commis l'erreur de ne pas avoir créé un cercle d'économistes composé de libéraux pragmatiques et de keynésiens de haute Volée pour être crédible. Il est de bon ton de moquer et même haïr l'idée de frontières, mais elles protégeaient sur le plan économique. (1)
Une politique cynique consiste à faire baisser les salaires en Europe. On a donc inventé le NAIRU (Non Accelerating Inflation Ratio of Unemployment), taux de chômage qui stabilise l'inflation. On crée donc un taux de chômage important pour comprimer les salaires et l'inflation (tout en faisant croire qu'on le combat) par différents procédés, dont l'immigration.
Un état peut difficilement agir sur le plan économique puisque l'on privatise tout ce qui peut l'être. L'économie est devenue transnationale et même transeuropéenne. Le pouvoir politique ne contrôle plus grand-chose. Comme le déclarait aux politiques Hans Teitmeier, ancien président de la Bundesbank allemande : « Désormais, vous êtes sous le contrôle des marchés financiers ». L'idéologie néo-libérale qui avait pour but de liquider toute instance régulatrice étatique ou non a gagné. En tout cas, il ne faut pas demander aux peuples d'entériner des traités pour une construction européenne à laquelle ils ne croient plus. Certains en ont conclu, que comme le peuple votait NON, il ne fallait pas demander son avis au peuple.
(1) - La gauche française n'a aucune solution à apporter non pas, parce qu'elle est stupide mais parce qu'elle est empêtrée dans des schémas idéologiques archaïques et dogmatiques (Europe, universalité, bienfaits de l'immigration, lutte des classes pour la gauche radicale) mais ce qui ne sont plus du tout adaptés à la situation actuelle.
Patrice GROS-SUAUDEAU Statisticien-économiste