Il y a quelque temps une commission d'historiens français et allemands a été désignée en vue d'élaborer d'ici à 2006 un manuel d'histoire franco-allemande. On peut tout redouter d'une telle entreprise. Sous prétexte de vouloir réconcilier les deux peuples sur leur passé, la tentation sera grande de travestir l'Histoire, de partager la responsabilité des conflits, d'équilibrer les torts des exactions commises de part et d'autre.
L'occasion est bonne de revisiter l’oeuvre de l'un des maîtres de l'Action française, Jacques Bainville, qui a écrit précisément une Histoire de deux peuples publiée en 1915 et rééditée peu avant sa mort (1936) avec ce titre complémentaire : continuée jusqu'à Hitler.
Les constantes de l’Histoire
L'ouvrage se présente comme une longue réflexion sur l'évolution respective des deux peuples. À chaque époque, Bainville rappelle les constantes de l'Histoire. Dans des démonstrations rigoureuses, étayées par des textes, il donne de magistrales leçons de politique et on le sent un peu triste de constater l'aveuglement de la démocratie qui, chez nous, à partir du XVIIIe siècle, les a ignorées, retombant à chaque génération dans les mêmes erreurs.
Après l'éclatement de l'empire carolingien et le triomphe de la féodalité en Europe, l'Allemagne parut d'abord être la première à rétablir son unité. Une dynastie, les Hohenstaufen, s'imposa et se maintint à la tête de l'Empire. Cependant elle ne sut pas borner ses ambitions et voulut se soumettre la papauté. Elle sortit affaiblie de cet affrontement. Les souverains ne purent s'affranchir de l'élection. Le Saint-Empire romain de nation germanique était en fait une « république fédérative sous la présidence impériale », souligne Bainville
Pendant ce temps, les rois capétiens, dont l'autorité, au départ, ne s'étendait qu'à l'Île de France, consolidaient génération après génération leur autorité en instituant l'hérédité de leur pouvoir.
À partir du début du XVIe siècle, le problème des relations entre le royaume de France et l'Empire germanique prit un tour aigu. Charles-Quint régnait sur l'Espagne, l'Allemagne et les Flandres. Il encerclait la France et nos rois n'eurent de cesse d'avoir brisé l'étau. Cela les amena à s'allier avec les princes protestants d'Allemagne et même avec le Grand-Turc, choisi comme allié de revers.
Le chef-d’oeuvre de Westphalie
Au XVIIe siècle, Richelieu soutint les princes protestants durant la guerre de Trente ans qui déchira l'Allemagne. Les traités de Westphalie en 1648, où la France fut partie prenante, consacrèrent l'émiettement de l'Allemagne en plusieurs centaines de principautés. Le Roi de France se voyait reconnu le rôle de protecteur des libertés germaniques tandis que l'empereur, obligé de négocier son élection et toute demande de concours avec les princes, voyait son pouvoir affaibli. Les Allemands ne ressentirent pas cet état de choses comme une humiliation. Ils tournèrent souvent leurs regards vers la France qui empêchait tout empiétement de l'empereur sur leurs droits. L'équilibre européen fut ainsi assuré pour un siècle et demi à la satisfaction des Français et de la plupart des Allemands. Bainville a écrit de très justes et très belles pages sur les traités de Westphalie qui, souligne-t-il, furent « le chef d'oeuvre politique du XVIIe siècle ».
Au siècle suivant, le roi de Prusse Frédéric II entreprit de bouleverser l'ordre européen. Louis XIV, déjà, l'avait prévu. Cela conduisit la France à s'allier en 1756 à l'Autriche. Désormais les Habsbourg n'étaient plus dangereux pour notre pays. Il fallait en revanche contrer les ambitions du roi de Prusse. Ce fut le renversement des alliances que dénigrèrent les "philosophes" puis, les révolutionnaires.
Nationalités ethniques
La Révolution contribua à faire naître un sentiment national allemand exalté notamment par le philosophe Fichte, tandis que Napoléon, en simplifiant la carte de l'Allemagne, commençait à démanteler les traités de Westphalie. En 1815, le traité de Vienne marque un retour à l'équilibre européen. Metternich et Talleyrand avaient défendu le principe de légitimité qui interdisait à un État de s'emparer de territoires appartenant à un autre État
L'Europe de la "Sainte-Alliance" fut cependant sapée par les idées libérales et révolutionnaires tendant à reconnaître des nationalités fondées sur un principe ethnique. Napoléon III donnait le coup de grâce en favorisant l'unité italienne, puis l'unité allemande. Les conséquences furent l'installation au coeur de l'Europe d'une énorme puissance menaçant la France alors que nos rois s'étaient attachés à entretenir la division de l'Allemagne pour éloigner de notre pays les risques d'invasion.
L'unité allemande nous a valu les guerres de 1870 et de 1914 et le bouleversement de la carte européenne. Le traité de Versailles de 1919, souligne Bainville, fut un « traité moral » et non un « traité politique ». Au lieu de chercher à établir un équilibre européen, on voulut "punir" l'Allemagne. Cela dit, on lui laissa l'unité, base d'une reconquête de sa puissance. Autour d'elle on s'inspira du principe des nationalités pour redessiner la carte de l'Empire. En 1939, un nouveau conflit éclata, conséquence des fautes accumulées par la démocratie française. Bainville ne l'a pas vu, mais toute son analyse historique, conduite d'une façon rigoureuse, le laisse pressentir.
Aujourd'hui, la France entretient des relations étroites avec l'Allemagne fédérale. Est-ce à dire qu'il n'y a plus de problème allemand et que Bainville est à mettre au placard ? Ce serait imprudent.
Un problème existentiel
Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a été coupée en deux par le Rideau de Fer. Ce n'était pas une division naturelle comme celle qu'avaient consacrée les traités de Westphalie. Après l'effondrement de l'U.R.S.S., l'unité s'est refaite à la diligence du chancelier Kohl. La solution du problème existentiel de l'Allemagne a été cherchée dans son intégration au sein d'un nouvel empire où chaque nation - y compris la France abdiquerait sa souveraineté. Ce n'est là qu'une fausse solution.
Pour que l'Allemagne demeure paisible et ne trouble plus ses voisins européens, il faut que la France soit forte diplomatiquement, militairement, économiquement, socialement et que les Français retrouvent la fierté d’eux-mêmes.
L'avenir de l'Allemagne réunifiée demeure incertain. Elle peut être reprise un jour par ses vieux démons. Autant l'idée de nation est conservatrice et pacifique en France, autant elle est révolutionnaire et guerrière en Allemagne. Bainville nous aide à nous en souvenir.
Pierre Pujo L’Action Française 2000 du 7 au 20 juillet 2005
* Édition de 1936