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CHARLES MAURRAS ET MAURICE PUJO Une longue amitié

De tous les fondateurs de l'Action française, Maurice Pujo est celui qui aura été le plus proche de Charles Maurras, et le plus longtemps. Leur première rencontre est de fin janvier 1899 au café Lavenue, près de la gare Montparnasse. Seule la mort de Maurras, en novembre 1952, les séparera. Quand, durant la guerre 1914-18, ou bien après la libération de Maurice Pujo en octobre 1947, ils seront éloignés l'un de l'autre, ils s'écriront de nombreuses lettres en se consultant sur tous les problèmes, grands et petits, qui touchaient à la vie de l'Action française. Durant cinquante-trois ans, ils ont vécu ensemble la création de l'Action française, son essor, ses épreuves. Ils ne cessèrent pas d'être liés par une profonde amitié qui prenait ses racines dans l'adhésion à de hautes vérités, dans une estime réciproque, et dans une même conception de l'action politique. Maurras avait une confiance totale dans le jugement de Maurice Pujo et celui-ci manifestait une admiration et un dévouement sans borne pour Charles Maurras.
Venus de bords opposés
Pourtant, combien ces deux hommes étaient différents ! L'un, Maurras, bouillonnant, l'esprit toujours en mouvement, ferraillant avec sa plume comme il aurait combattu avec une épée (rappelons-nous son poème Destinée : « Jamais la gloire du vrai fer n'a brillé dans ta main débile »). L'autre, Pujo, toujours calme et résolu, analysant les événements et cherchant à en prévoir les conséquences, logicien implacable. Au fond, ils se complétaient et c'est pourquoi leur collaboration a duré si longtemps. Ils venaient l'un et l'autre de milieux intellectuels très différents, Charles Maurras, le Provençal, était un disciple de Mistral. Il avait, en 1892, lancé la déclaration des Félibres fédéralistes qui déjà posait la question politique de la décentralisation. Il avait collaboré à la Cocarde de Maurice Barrès et il suivait le courant nationaliste. En 1896 il avait été envoyé par la Gazette de France aux premiers Jeux olympiques reconstitués à Athènes par le baron de Coubertin et il en était revenu royaliste. En septembre 1898, il avait pris la défense de la mémoire du colonel Henry trouvé suicidé dans sa cellule du Mont-Valérien. Il avait intitulé sa série d'articles Le premier sang.
Maurice Pujo, lui, fréquentait des rivages très différents. Il était imprégné de philosophie allemande et admirait Novalis, champion de l'idéalisme absolu. Il avait lancé à l'âge de vingt ans, en 1892, la Revue Jeune devenue ensuite L'Art et la Vie. En 1894, il avait publié Le Règne de la grâce, un essai qui lui avait valu un éditorial sympathique de Jean Jaurès dans son journal La Petite République, mais aussi une note de lecture aimable de... Charles Maurras, qui ne le connaissait pas encore. Maurice Pujo était grand amateur de musique et admirait Wagner. En 1896, lorsque Maurras séjournait sous le ciel de l'Attique, Maurice Pujo se rendait au Festival de Bayreuth, en Bavière. Peut-on imaginer deux engagements plus opposés ? Pourtant, ils vont se rencontrer et lier une amitié indéfectible. Le déclic sera donné par l'affaire Dreyfus. En avril 1898, Henri Vaugeois et Maurice Pujo quittent l'Union pour l'Action morale qui s'est rangée dans le camp des dreyfusards insulteurs de l'Armée et fondent un premier comité d'Action française. Le 19 décembre 1898, Maurice Pujo publie dans le quotidien L'Éclair un manifeste intitulé L'Action française au nom des intellectuels patriotes. En somme, lorsque Maurras et Pujo se rencontrent, ils ont l'un et l'autre publiquement choisi leur camp dans la grande dispute nationale suscitée par l'affaire Dreyfus.
Maurice Pujo cependant demeure républicain. Il ne se ralliera à la monarchie qu'en mai 1903 en signant une adresse envoyée au duc d'Orléans. Mais dès 1899, il est séduit par la pensée maurrassienne qui, racontera- t-il plus tard, lui apporte alors une « illumination intérieure ». Maurras, en effet, lui fait découvrir le réel, lui qui était perdu dans les nuées de l'abstraction. Maurras lui révèle l'homme concret, celui qui est inséré dans des communautés naturelles et historiques et en fonction de qui il importe de traiter des choses politiques.
L’éloignement de la guerre
En janvier 1915, Maurice Pujo, qui est un réserviste âgé de quarante-trois ans, est mobilisé au 30e Territorial comme simple soldat. Il restera sous les drapeaux jusqu'à l'armistice de 1918. Commence alors une correspondance très suivie entre Charles Maurras et lui. Elle montre la place qu'occupait déjà Pujo dans la vie du journal et du mouvement. Les lettres courtes et précises de Maurras (un Maurras très lisible encore !) traitent de problèmes pratiques touchant l'A.F. Elles demandent l'avis de Maurice Pujo sur des décisions à prendre. Ainsi, que faire pour le Cortège de Jeanne d'Arc de mai 1915 ? Il est décidé de le supprimer en raison du nombre important de Camelots du Roi et des cadres de l'A.F. qui sont mobilisés. De simples dépôts de gerbe aux trois statues parisiennes seront opérés, mais on veillera à ce que les couronnes déposées par les républicains ne comportent aucune insulte ni pour la monarchie ni pour les prêtres, comme ç'avait été le cas les années précédentes. Dans la correspondance Maurras-Pujo il est aussi question des amis tombés au Champ d'Honneur.
Quelque temps après la mobilisation de Maurice Pujo, Maurras lui écrit : « Ma mère se désole de votre départ. Elle trouve cet argument supplémentaire : "Oui, vous vous entendiez très bien tous deux..." Je vais la détromper de ce pas. Mille amitiés en toute hâte. Charles Maurras ». Une indication précieuse sur la communauté de pensée qui existe déjà entre les deux hommes et qui n'a pas échappé au regard perspicace de Mme Maurras.
Après la guerre, Maurice Pujo devient rédacteur en chef de L'Action Française. Il est en même temps le délégué des Comités directeurs auprès des Étudiants d'A.F. et des Camelots du Roi. Sa collaboration avec Maurras va se resserrer. Ils partagent le même petit bureau au premier étage de l'imprimerie de la rue du Jour où Pujo relit les épreuves tandis que Maurras écrit sa Politique. Il arrive que Maurras s'attarde, compromettant la sortie du journal à l'heure requise pour l'expédition en province. Maurice Pujo a la tâche délicate de rappeler à Maurras les exigences de l'horaire.
Maurice Pujo pouvait surmonter la surdité de Maurras en lui parlant au milieu du front, sans élever la voix. Néanmoins les deux hommes correspondront souvent, par commodité, sous forme de notes rapides, notamment sur les enveloppes du courrier adressé par les correspondants. Maurras communique à Pujo une lettre reçue en donnant brièvement son jugement (parfois à l'emporte-pièce) sur son auteur ou son contenu et le charge éventuellement d'y répondre. Une totale confiance réciproque règne entre eux.
En été Charles Maurras prend des vacances en août car il est amateur de bains de mer dans le golfe de Fos, non loin de sa maison familiale de Martigues. Maurice Pujo, lui, part en septembre pour se livrer à sa passion favorite, la cueillette des champignons, soit en Aveyron, soit dans le Loiret. Maurras ou Pujo : l'un d'eux doit toujours demeurer à Paris.
Sous l’Occupation
La Seconde Guerre mondiale va rapprocher davantage Charles Maurras et Maurice Pujo. Ils prennent ensemble la route de l'exode en juin 1940, Maurice Pujo étant accompagné de sa famille. En juillet ils font ensemble reparaître L'Action Française à Limoges puis, à partir de novembre, à Lyon où Léon Daudet, demeuré dans le Gers durant l'été, les rejoint. Les angoisses de la guerre, les menaces résultant de l'occupation allemande, enfin la disparition du bâtonnier Marie de Roux (en 1941) et de Léon Daudet (le 1er juillet 1942), qui appartenaient à la première équipe de L'A.F. quotidienne, resserrent encore la solidarité entre les deux amis.
Le 5 novembre 1943, Charles Maurras adresse à Maurice Pujo une longue lettre testamentaire sur les dispositions à prendre pour assurer la continuité de l'Action française au cas où il viendrait à disparaître. En effet, en avril précédent, il a eu une syncope lors du congrès des étudiants d'A.F. réuni à Montpellier et il considère qu'il doit tenir compte de cet avertissement de la nature. Charles Maurras désigne Maurice Pujo pour être le chef indiscuté de l'A.F. après lui. Il définit aussi l'organisation du mouvement pour plus tard. Il estime que l'Action française doit être organisée sur le modèle de la monarchie, son président étant entouré de conseils, mais demeurant le seul maître des décisions. L'.A.F. ne saurait devenir une démocratie... Maurras termine sa lettre en demandant à Maurice Pujo : « À quand le second livre des Camelots du Roi ? » Le premier en effet s'arrête à 1909, et les Camelots ont mené bien d'autres actions par la suite. Hélas, le second livre ne sera jamais écrit...
À plusieurs reprises, durant l'Occupation Charles Maurras vient dîner chez nous. L'occasion en est fournie par l'arrivée d'un colis envoyé par des amis de l'Ouest contenant une dinde, une oie, un chapon. Lyon est l'une des villes les plus mal ravitaillées et ces volatiles permettent à ma mère d'organiser ce qui nous apparaît alors comme un véritable festin. Outre Maurras y sont conviés les collaborateurs et collaboratrices du journal repliés sur Lyon. Le maître de l'A.F. y apparaît détendu, s'intéressant, par exemple, aux études de ma sœur (sa filleule) et aux miennes (il m'appelle Pétros depuis que j'ai commencé l’étude du grec et m'a donné un exemplaire du gros dictionnaire Bailly). Un jour il s'amuse d’un poème composé par Maurice Pujo dont tous les vers riment en inde... et destiné à remercier une bienfaitrice qui a envoyé la dinde que nous dégustons.
Michel Déon, alors jeune secrétaire de rédaction de L'Action Française, doit se souvenir de la soirée où je recherchais tous les textes de Évangiles que nous pouvions posséder afin de les comparer, car une controverse était née au cours du repas pour savoir si le vin que le Christ a promis à ses disciples de boire avec eux au Paradis serait le fruit de la vigne ou bien un nectar tout à fait différent...
Le 22 juin 1944, Maurice Pujo et Georges Calzant, l'un des principaux collaborateurs de l'A.F., sont emprisonnés par la Gestapo au Fort Montluc. Maurras multiplie les démarches auprès du maréchal Pétain pour qu'il obtienne leur libération. Celle-ci survient le 10 juillet sans qu’ils aient été interrogés. Maurice Pujo revient auprès de sa famille installée dans le Loiret, en dépit de mille difficultés, car, depuis le débarquement allié les trains fonctionnent de plus en plus mal. Il retourne à Lyon fin juillet car il ne veut pas laisser Maurras seul face aux troubles auxquels la libération du territoire peut donner lieu.
En septembre 1944 ils sont arrêtés ensemble et traduits devant la Cour de justice du Rhône. Après le procès qui se déroule du 24 au 27 janvier 1945, ils sont emprisonnés à la centrale de Riom où ils sont placés à l'infirmerie en raison de leur âge. À partir de mars 1947, ils sont conduits à la prison de Clairvaux. Ils y sont installés dans un bâtiment auquel on accède après avoir franchi trois enceintes. Y sont détenus déjà les amiraux Esteva et de Laborde.
Communion de pensée
Durant ces années de prison, Maurice Pujo ne sera jamais séparé de Charles Maurras. En raison de la surdité de celui-ci, il était l'interprète obligé avec l'administration pénitentiaire, car lui seul pouvait se faire entendre de Charles Maurras en lui parlant.
Lorsque Maurice Pujo, bénéficiant d'une libération conditionnelle, quitte Clairvaux en octobre 1947, il est remplacé par Xavier Vallat, vieil ami de Maurras. Mais Vallat sera à son tour libéré en 1950. La santé de Maurras, demeuré seul, commence alors à se détériorer jusqu'à sa libération en mars 1952.
De 1947 à 1952, Charles Maurras et Maurice Pujo entretiendront une correspondance suivie. Elle traite de la ligne politique de l'A.F., de la vie du journal, de ses rédacteurs, des améliorations à lui apporter. Elle révèle une entière communion de pensée. Elle est fort instructive. Maurras s'intéresse à tout. Il va même jusqu'à complimenter mon père pour un tract que j'ai rédigé et diffusé à l'Institut d'Études politiques où je suis alors étudiant... Charles Maurras et Maurice Pujo se reverront au printemps 1952 lorsque Maurras est placé en résidence surveillée dans une clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours. Ils passeront toute une journée ensemble au mois d'août dans la propriété de Georges Calzant, directeur d'Aspects de la France, en compagnie de Mmes Maurice Pujo et Georges Calzant et d'un fidèle Camelot du Roi André Prudhomme. Ce sera la dernière sortie de Maurras qui décède le 16 novembre suivant.
Lors de ses obsèques sous la neige le 19 novembre à Tours, Maurice Pujo déclare : « Toute sa vie, tout son labeur considérable ont été une longue œuvre de charité à l'égard des Français. » Il ajoutera : « Si Maurras est mort, sa pensée est toujours vivante ; elle l'est plus que jamais. Il faudra bien qu'un jour justice lui soit rendue parce qu'elle est la vérité. La vérité ne meurt pas. »
L'hommage d'un compagnon, d'un ami, à celui dont durant plus de cinquante ans il avait partagé les luttes pour la France et le Roi.
Pierre PUJO L’Action Française 2000 du 1er au 14 septembre 2005

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