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Galante compagnie royale

Jamais la monarchie en France ne fut misogyne. Les femmes n'étaient pas successibles parce qu'elles risquaient par mariage de faire tomber le royaume entre des mains étrangères, mais leur rôle fut souvent capital : ainsi le règne de François 1er ne se comprend bien que si l'on connaît l'essaim de femmes d'exception qui consacrèrent leur vie au bel et galant homme qu'il était.
D'où l'immense intérêt de l'ouvrage de Christiane Gil intitulé Les femmes de François 1er - une histoire toujours palpitante, souvent grandiose, parfois irritante, jamais confinée dans les alcôves, et tout imprégnée du tragique de la fragilité humaine et aussi nationale... On peut se demander comment, sans ces femmes admiratives qui, par leur bon sens, leur autorité, leur diplomatie, leur charme... ont réchauffé son courage, François 1er aurait pu maintenir la France contre les incessantes convoitises de Charles Quint, tout en favorisant l'éclosion extraordinaire des Beaux Arts.
Pourtant le roi n'était pas un personnage falot. S'il aima les femmes, il ne les écouta pas toujours et, éternel enfant gâté, les fit parfois trembler et souffrir...
Louise, Claude, Françoise...
D'abord sa mère, Louise de Savoie (1476-1531). Cette fille de Philippe de Bresse (un cadet des Savoie) et de Marguerite de Bourbon, fut toute jeune veuve de Charles d'Angoulême, cousin de Louis, duc d'Orléans ; elle se consacra alors d'un amour total à ses enfants, Marguerite, née en 1492, et François, né en 1494, sans trop savoir quel destin leur préparait l'Histoire, jusqu'au jour où la mort (1498) de Charles VIII sans dauphin fit du duc d'Orléans le roi Louis XII et du jeune François (le plus proche neveu) l'héritier présomptif du royaume.
Louise vit d'un assez mauvais œil Louis XII marier le beau François (très tôt coureur de jupons) à Claude, sa fille chétive, dont la main avait failli être donnée au fils des souverains espagnols, Charles - le futur Charles Quint... Pourtant, le 25 janvier 1515, le couronnement de François fut une apothéose pour Louise qui dès lors allait veiller jalousement sur ce « César », en mère idolâtre mais non possessive. Elle avait, écrit Christiane Gil, « l'instinct du pouvoir et une intelligence réaliste ».
En cette année 1515 - l'année de Marignan ! -, tout souriait au jeune roi, qu'un torrent de tendresse portait vers la belle Françoise de Foix, épouse de Jean de Laval, comte de Châteaubriant, représentant du roi aux États de Bretagne : elle devait consoler le roi quand en 1519 les électeurs du saint empire germanique lui préférèrent Charles Quint. Pour Françoise, François allait désormais bâtir Chambord...
Le ciel s'assombrit sur l'Europe dès 1521. L'affrontement entre François Ier et Charles Quint - deux bouillants souverains - était inévitable. L'enchevêtrement, que Christiane Gil démêle sans jamais dérouter le lecteur, des amours, des faits d'armes cruels et des controverses religieuses sans concession, où l'on voit le roi pleurer sincèrement son épouse Claude - cette grande âme dont il s'était trop peu occupé -, puis le parlement s'agiter, puis le cousin de Louise, le connétable de Bourbon (amant éconduit ?) trahir la France, puis le roi devenir après le désastre de Pavie (1524) le prisonnier de l'empereur - autant d'occasions d'admirer la diplomatie de Louise alliant le souci de l'unité du royaume à celui de l'inévitable bouleversement des alliances.
Marguerite, Anne, Éléonore, Diane...
Auprès d'elle, veillait aussi la sœur très aimante du roi, son « double », sa « mignonne », Marguerite, récemment veuve du duc d'Alençon. C'est elle qui devait négocier la délivrance de François 1er, au prix de la promesse de mariage de celui-ci avec Éléonore, la sœur de Charles Quint, mais aussi de l'atroce traité de Madrid (1526) signé sous la contrainte et de la détention en échange à Madrid des deux fils aînés du roi, François, dauphin, huit ans, et Henri, duc d'Orléans, sept ans.
Rentré en France, le roi put serrer sur son cœur sa mère et sa sœur, lesquelles, pour le détourner de Françoise de Châteaubriant (qu'il n'oublierait pourtant jamais !), poussèrent dans ses bras la jeune et fine Anne d'Heilly.
Au milieu des fêtes somptueuses de la cour, ayant épousé Henri d'Albret, roi de Navarre, Marguerite restait la première dame du royaume et ne songeait, avec sa mère Louise, qu'à établir la paix en Europe. Désir qui animait aussi Éléonore, sœur de l'empereur, qui devint reine de France en 1530 après avoir aidé les deux autres femmes à négocier la délivrance des enfants royaux. Éléonore allait désormais œuvrer à la toujours fragile conciliation entre son frère et son mari, sans oublier le non moins coriace Henri VIII, roi d'Angleterre.
La nouvelle favorite, Anne d'Heilly, bientôt duchesse d'Étampes, vit sans plaisir prendre la place de confidente du roi celle qui consola celui-ci dans son immense chagrin à la mort de sa mère (1531) : Diane de Poitiers, dame de Saint-Vallier, épouse du grand sénéchal de Normandie, Louis de Brézé. Cette femme un peu hautaine, séduisante par son esprit, sa culture et ses manières raffinées allait bientôt faire son "galant" du jeune Henri - lequel allait devenir dauphin après la mort en 1536 de l'aîné François au château de Tournon et serait en 1547 le roi Henri II. Diane arrangea le mariage célébré en 1533 du jeune prince avec sa parente Catherine de Médicis, nièce du pape Clément VII.
Servir la paix
Dans ce tourbillon de fêtes et de rivalités, d'allégresses et de cruautés, de jeunesses avides et de maturités résignées, sur fond de poèmes de Clément Marot, de constructions de châteaux, de débats acharnés en matière de goût artistique, et sur un arrière-fond toujours lourd de menaces de guerre étrangère et de guerre religieuse, le règne de François Ier est en lui-même un chef-d’œuvre de la Renaissance.
Christiane Gil le montre excellemment. Ses récits des grandes "entrées" triomphales du roi aux côtés de son épouse devant Dieu (Claude, puis Éléonore) et jamais de la maîtresse du moment, illustrent le tact du souverain donnant à son peuple, par le spectacle d'une famille vouée au pays, des raisons de joie et d'espérance.
De toutes ces grandes dames, Marguerite de Navarre reste la plus attachante. Dominant souvent la Cour, elle aima son frère avec une abnégation extraordinaire. François fut très dur pour elle, allant jusqu'à laisser prendre un moment le flambeau à sa maîtresse Anne, duchesse d'Étampes, ...avant de rappeler de toute urgence Marguerite ! Mais à la Cour, comme dans son refuge de Nérac en Navarre d'où elle lui écrivait sans cesse, elle s'employa tant qu'elle le put à empêcher le roi de se laisser déborder par les extrémistes de la Sorbonne qui envoyaient les protestants sur le bûcher. Pour cette grande mystique, auteur de beaux ouvrages de poèmes et de réflexions spirituelles, tournée tout entière vers la lumière divine, l'ouverture, parfois maladroite, aux tenants des idées luthériennes, ne venait que d'un désir ardent de voir l'Église se réformer. Jamais elle ne remit en cause l'autorité du pape. Elle mourut en 1549 (deux ans après François) atterrée du spectacle des guerres de religion qui se déclenchaient.
Or, sa fille Jeanne avait épousé en 1548 Antoine de Bourbon et allait donner le jour au prince qui serait appelé au trône après l'extinction des Valois : Henri IV, lequel mettrait fin aux guerres de religion dans l'esprit qu'eût sans doute aimé sa grand-mère. Dans l'arbre généalogique d'une lignée royale, la sève du bien commun circule toujours à travers les péripéties politiques et sentimentales..
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000– du 7 au 20 juillet 2005
* Christiane Gil : Les Femmes de François 1er. Éd. Pygmalion, 336 pages, 19,90 euros.

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