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Comme une rébellion qui s’annonce par Georges FELTIN-TRACOL

 

En cette fin de décennie 2000, la réflexion non-conformiste, radicale et réfractaire virerait-elle à gauche ? La victoire de Sarkozy en France, la crise financière mondiale, les années Bush ont-elles favorisé la redécouverte des penseurs du socialisme européen ? Oui, si on suit Rébellion, un essai publié par les sympathiques Éditions Alexipharmaque.

 

Le titre n’est pas anodin. Depuis 2003 sort tous les deux mois une revue éponyme, sobre et dense, d’esprit révolutionnaire dont le siège se trouve à Toulouse, ville connue pour sa nature contestataire. Ce recueil de textes s’assigne la mission de diffuser le plus largement possible les principes anti-capitalistes de l’équipe.

 

Bénéficiant d’une chaleureuse préface d’Alain de Benoist qui replace le cheminement intellectuel de la revue dans la tradition réfractaire française, Rébellion réhabilite les concepts de socialisme, d’anti-libéralisme radical, de lutte des classes, de défense du peuple, dans une vue grande-européenne. En effet, ses rédacteurs se revendiquent du principe de subsidiarité, proposent une Europe solidaire, écologique, fédérale, « à vocation impériale », et vomissent a contrario la pesante et impuissante Union européenne technocratique, atlantiste et ultra-libérale.

 

On aura compris que leur radicalité est totale. La présente époque, toute orientée vers le matérialisme et la quête effrénée du pognon, les exaspère. Contre cette horreur moderne, Rébellion veut changer la société et de société. Loin de singer le gauchisme parasitaire du Facteur, des pseudo-« anar » et des décroissants verdâtres du dimanche, les sempiternels valets du Système, les auteurs œuvrent et préparent dans les têtes d’abord une inévitable révolution. C’est dans cette perspective que la rédaction a d’abord suscité la formation de Cercles Rébellion avant de constituer une Organisation socialiste révolutionnaire européenne (O.S.R.E.). L’investissement est aussi sectoriel. Aucun champ social (urbanisme, syndicats, éducation, économie) n’est délaissé ! Il s’échafaude ainsi les prochaines tempêtes qui renverseront le Système actuel.

 

Qu’on ne s’étonne par conséquent de leurs vastes références culturelles : Karl Marx bien sûr, mais aussi Pierre-Joseph Proudhon. Les auteurs prennent le meilleur des deux et jugent que « la pensée de Proudhon et celle de Marx, au lieu de s’exclure, se complètent et se corrigent mutuellement », ce qui ne peut pas être la moindre des choses de la part du théoricien du mutualisme.  Mieux, ils estiment que « l’œuvre de Karl Marx s’imposera naturellement en fournissant des outils d’analyses théoriques en phase avec l’évolution du monde ouvrier. Elle sera certes à l’origine d’interprétations arides et de froides dérives, mais elle conserve jusqu’à nos jours sa pertinence et son utilité dans l’élaboration d’une nouvelle pensée rebelle. Pensée anti-totalitaire et anti-réformiste, qui se nourrira également de l’élan du Socialisme français et du fédéralisme européen ». Pourquoi alors l’auteur du Capital n’est-il pas présent dans la rubrique « Nos figures » de l’ouvrage ? Il aurait très bien pu y figurer à côté de Proudhon, des Communards de 1871, de Jack London, de Georges Orwell, des enfants Scholl de La Rose Blanche anti-nazie, du socialiste indépendantiste irlandais James Connoly ou des fondateurs du « national-communisme » allemand, Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim. Regrettons aussi l’absence de ce grand socialiste européen fort attaché à la vie des peuples qu’était Jean Mabire (il serait profitable que les auteurs lisent ses articles politiques en faveur d’une vision certaine du socialisme enraciné).

 

Avec les grands ancêtres du socialisme déjà cités, Rébellion intègre dans sa réflexion d’autres penseurs de l’ultra-gauche : le conseillisme de Pankoeke, les travaux bordiguistes, Debord et les situationnistes, Claude Lefort et Cornélius Castoriadis du temps de Socialisme ou Barbarie… Ne soyons pas en outre surpris de lire ici ou là une citation de Julius Evola ou de Carl Schmitt.

 

Par cette brève énumération, Rébellion n’hésite pas à franchir les limites de la convenance politique et à se proclamer national-bolchevik sans s’attarder vraiment sur cette autre personnalité attachante que fut Ernst Niekisch. Est-il néanmoins possible de concilier le national-bolchévisme et l’idée fédérale continentale ? Alain de Benoist y répond par la négative : « On ne peut à la fois rejeter le “ nationalisme centralisateur ” et se réclamer d’un “ État de type fédéraliste ”, tout en adhérant à un national-bolchevisme dont l’esprit révolutionnaire se fondait sur un centralisme jacobin exacerbé. » Conscients de cette contradiction, les rédacteurs paraissent aujourd’hui abandonner cette étiquette pour se dire « communistes nationaux ». Ils considèrent que « le cadre de la nation n’est pas neutre, il peut servir à l’élaboration de formes d’existence sociale différentes de celles vécues jusqu’à maintenant ». De ce fait, ne s’inscrivent-ils pas dans cette Modernité finissante, d’autant que Rébellion conçoit la lutte des classes comme le point central d’interprétation du monde actuel ? Est-ce vraiment sensé ? L’acceptation du fait national n’invalide-t-elle pas, par son existence même, le concept de lutte des classes au profit d’une atténuation, voire d’une sublimation, des antagonismes de classes ?

 

Il est incontestable qu’un conflit mortel oppose actuellement l’hyper-classe ou les oligarchies transnationales mondialistes – dont Jacques Attali en est le symbole le plus évident – aux peuples du monde entier dont certains sont déjà en première ligne avec Hugo Chavez, Mahmoud Ahmadinejad, Evo Moralès, Alexandre Loukachenko ou Hassan Nasrallah. Doit-on pour autant transposer dans la nation l’affrontement entre possédants et salariés alors que se maintiennent péniblement les petits patrons eux-mêmes victimes de la mondialisation ? Et puis, quitte à passer pour provocateur, existe-t-il encore des peuples ou bien n’assistons-nous pas aux débuts de la « multitude » ? Dubitatifs, les auteurs eux-mêmes s’interrogent. « Le peuple est largement manipulé par des “ faiseurs d’opinion ” à la solde de l’oligarchie. La “ démocratie ” n’est plus qu’un paravent politiquement correct pour faire accepter ce que les puissants ont décidé d’imposer aux peuples. » Pis, la société occidentale des droits de l’homme renforce le contrôle social et conditionne les esprits. Informations biaisées, surveillance généralisée des ordinateurs, inculture de masse accélérée, célébration de la consommation et du paraître aux dépens de l’épargne et de la citoyenneté, bref, « là où les nazis et les staliniens ont mis en place le camp de concentration et le goulag, la société de consommation a créé le supermarché ». La notion de peuple est en train de disparaître, mais Rébellion s’attache à la sauvegarder et à la ragaillardir. Dans ces conditions, la lutte des classes n’est-elle pas incongrue ? La priorité n’est-elle pas à la concorde nationale face à l’ennemi globalitaire ?

 

C’est dans cette vision d’unité populaire que nous invitons les auteurs de Rébellion à examiner ces cas de communisme national (voire nationaliste) que sont la Chine de Mao, la Yougoslavie de Tito (qui était fédérale et autogestionnaire !), l’Albanie d’Enver Hodja et la Corée du Nord de la famille Kim. Rappelons-leur que les cinq étoiles du drapeau de la Chine populaire évoque un consensus « inter-classe » entre la grande étoile incarnant le Parti et les quatre petites (les ouvriers, les paysans, les petits bourgeois – en clair, les classes moyennes – et les capitalistes patriotes).

 

Nonobstant ces quelques critiques, il est importe de lire cet essai. Certains textes sont excellents comme ceux consacrés au philosophe, poète et dramaturge roumain Lucian Blaga ou l’extraordinaire « Aperçu sur l’ordre politique dans la philosophie européenne ».

 

Considérer l’ouvrage comme une émanation gauchiste serait au final une ineptie ou la preuve flagrante d’une très grande paresse intellectuelle, d’autant que les auteurs réfutent ce sordide clivage politico-électoral stérile. Rébellion a le mérite de redonner au socialisme son acception originelle. Dans un livre passé bien trop inaperçu, Naissance de la gauche (Michalon, 1998), Marc Crapez démontre qu’à la fin du XIXe siècle, les courants socialistes français ne se trouvaient pas encore à gauche (il faudra attendre les retombées de l’affaire Dreyfus et l’influence de Jean Jaurès pour positionner le socialisme à gauche de l’éventail politique) et s’acquoquinaient avec le nationalisme, « ce nationalisme de 1900, déjà d’extrême droite, note Crapez, et encore d’extrême gauche, reste fondamentalement égalitaire ».

 

Mieux que Luc Michel et le Parti communautaire national-européen, qu’Alain Soral et Égalité & Réconciliation, qu’Emmanuel Todd et son républicanisme nationiste, Rébellion serait le digne héritier des socialistes patriotes français. Il faut s’en réjouir. Pourtant, à la réhabilitation du socialisme, terme historiquement connoté et lourdement chargé, ne devrait-on pas plutôt repenser le solidarisme ?

 

Georges Feltin-Tracol septembre 2009 http://www.europemaxima.com

 

• Louis Alexandre et Jean Galié, Rébellion. L’Alternative socialiste révolutionnaire européenne, Alexipharmaque, coll. « Les Réflexives », 2009, préface d’Alain de Benoist, 275 p., 25 €.

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