Les propos de Moscovici, énoncés triomphalement le 5 mai (1)⇓ : "l'austérité en Europe c'est fini" méritent plus qu'une simple interrogation, plus qu'un haussement d'épaules, plus qu'un ricanement dans les autres capitales de l'Union européenne.
Tout d'abord on doit les ramener à leur dimension franco-française : l'austérité en France, et même ce qu'on appelle la rigueur, et même ce que les socialistes français appellent, sans rire, le "sérieux budgétaire", à Paris cela n'a jamais commencé.
Les dépenses publiques hexagonales, en effet, sur les trois dernières années constatées, ont été:
- en 2010 : 1 094 milliards d'euros
- en 2011 : 1 119 milliards d'euros
- en 2012 : 1 149 milliards d'euros
Les ministres ont passé, l'eau a coulé sous les ponts de Bercy, à l'équipe Lagarde-Woerth a succédé le tandem Baroin-Pécresse, et celui-ci a laissé la place il y a 12 mois à l'attelage Moscovici-Cahuzac, ce dernier ayant cédé son maroquin à Bernard Cazeneuve pour les raisons que l'on sait.
En vérité la haute direction des finances publiques n'a jamais cessé de dépendre de hauts fonctionnaires dont le grand public ignore les noms et dont les préoccupations échappent au commun des contribuables.
Contentons-nous ici de constater le résultat.
Malgré les discours sur la RGPP, révision générale des politiques publiques, devenue MAP, modernisation de l'action publique,
- malgré les efforts de la défunte DGME, direction générale de la modernisation de l'État, remplacée par le SGMAP, secrétariat général pour la modernisation de l'action publique,
- malgré le tournant verbalement courageux des discours lus à la tribune de l'assemblée par Mme Pécresse à partir de septembre 2011,
- au plan des actes : la collectivité française n'a pas réduit d'un centime le périmètre de ses gaspillages institutionnels.
Elle les a même accrus.
On a été choqué, à fort juste titre, de la volonté explicite de la classe politique de ne pas rogner d'un euro sur ses propres prébendes, indemnités, avantages en nature, régimes de retraites dérogatoires, etc.
Mais les communiquants ne se sont pas attardés à reprendre les questions que pose Agnès Verdier-Molinié dans son excellent petit livre "60 milliards d'économies" (2)⇓ notamment sur les privilèges de la haute fonction publique et sur l'opacité organisée du système.
Moscovici présentait, le 5 mai, l'accord de tolérance avec Bruxelles du 3 mai, différant de deux ans la mise aux normex des comptes publics de la République comme une "victoire des thèses françaises".
Il aurait pu remarquer que cette décision se traduit surtout par un approfondissement du fossé franco-allemand.
La veille de ses déclarations, dès le 4 mai, Le Monde (3)⇓ soulignait en effet les réactions négatives outre-Rhin. Elles ne viennent ni du porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert, qui parle d'un "processus normal" ni même du ministre des finances. Habituellement plus ronchon, Wolfgang Schäuble observe de façon neutre que : "le pacte de stabilité (...) permet une certaine flexibilité dans l'application des règles". (4)⇓
Au contraire, plusieurs parlementaires de droite, plus libres de leurs déclarations, désapprouvent ouvertement ce sursis. (5)⇓
Citons :
Michael Stübgen, responsable des questions européennes du groupe parlementaire CDU-CSU : "C'est le mauvais signal. Je ne constate pas que la France entreprenne des réformes. Allonger le délai, c'est simplement dire: continuez comme cela".
Alexander Dobrindt, secrétaire général de la CSU bavaroise : "ne donnons pas un bonus spécial pour la politique d'échec du président François Hollande."
Hermann-Otto Solms, expert financier du FDP : "Les Etats doivent faire leurs réformes aussi vite que possible, assainir leurs finances publiques et améliorer la compétitivité de leurs entreprises".
Patrick Döring secrétaire général du FDP :"On voit maintenant où mène la mauvaise politique de la France. Un plus grand chômage, des impôts au plus haut, de faibles investissements et pas de croissance".
Voilà ce que pensent les Allemands.
Au-delà de ce discord de plus en en plus visible on doit beien mesurer que la politique et les déclarations de Moscovici ressemblent comme deux gouttes d'eau à celles que suivit à partir de 2009 le gouvernement de Papandréou et de son ministre des Finances. Ce dernier, membre comme Moscovici du groupe de Bilderberg, croyait possible de "finasser" avec les exigences du FMI auquel le gouvernement d'Athènes fit appel.
Alors le directeur général de cette énorme technocratie s'appelait Dominique Strauss-Kahn.
Aujourd'hui son successeur Madame Lagarde ne tient pas le même discours. Elle intervenait officiellement au symposium de Saint-Gall des 2 et 3 mai "déclarant la guerre au consensus mou. Récemment, le FMI semblait recommander d’alléger l’austérité. Christine Lagarde refuse cette interprétation." (6)⇓. Ses propos vont désormais dans le sens, non de la "rigueur", non du "sérieux budgétaire", mais de la "consolidation fiscale" et même explicitement de "l'austérité". Tout en préconisant une "combinaison" entre pression fiscale et réduction des dépenses, elle reconnaît aujourd'hui qu'il n'y a "pas d'alternative à l'austérité" (7)⇓. Voilà qui, certes peut faire sourire dans la mesure où cela tranche avec la politique du gouvernement Fillon auquel elle avait appartenu pendant quatre ans, de 2007 à 2011.
Moscovici trompe les Français et peut-être se trompe-t-il lui-même en croyant possible de ne pas réduire la dépense publique. Les solutions existent et elles se révèlent bénéfiques à moyen terme pour les pays qui manifestent le courage de les mettre en œuvre. Puis-je me permettre de souligner ici que dès 2012 j'indiquais quelques pistes en vue de cet assainissment libérateur, nécessaire à la France, afin que "plus léger soit notre tribut". (8)⇓
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
1 sur Europe N°1.⇑
2 cf. "60 Milliards d'économies" par Agnès Verdier-Molinié, 240 pages, 2013, éditions Albin Michel ⇑
3 cf.Le Monde.fr avec AFP | 04.05.2013 à 12h07⇑
4 cf.Bild am Sonntag 5 mai⇑
5 cf.Focus daté du 5 mai.⇑
6 cf.Temps de Genève du 3 Mai 2013⇑
7 cf.interview à la RTS et repris par AFP et cité par Le Monde 02.05.2013 à 17h41⇑
8 cf. "Pour une libération fiscale".⇑