Cernunnos est un nom d'Hermès. Il est le Gardien des portes des Trois Mondes. Hermès désigne les yeux du dieu. Quand l'homme voit avec les yeux du dieu, alors il comprend les messages des Trois mondes. Il ne lit aucune lettre de plus, aucune image de plus – il voit, tout simplement, ce qu'il avait sous les yeux depuis toujours, toujours déjà présent.
Recevoir un message des Trois mondes est voir. Cernunnos est celui qui contemple la forêt, les jambes croisées, selon la posture hiératique du sage des bois, l'ermite, l'homme suprêmement sage et suprêmement sauvage. La forêt est une image du monde, est microcosme. Il s'y trouvent les chemins de la vie, les croisements saints, les mystères des chemins ouverts parmi les ronces, les lents regards des fleurs. Il s'y trouvent les ruisseaux et les étangs empruntés de brumes.
Le secret de la puissance.
Ils s'y trouvent les troncs moussus des arbres qui vivent là depuis la naissance du monde. Leur écorce est l'image de la peau de l'antique Dragon. L'homme qui sait le Dragon sait l'entière histoire du monde, et des hommes. Il a bu le lait noir de la connaissance aux lèvres des Maîtres, au cœur de la forêt, au centre du monde marqué par la poussée des roches vers le Ciel.
Comme la sainte colonne de feu d'Arunachala.
Cernunnos enseigne les mystères du Temps apparu après la chute et la mort du Dragon. Le temps est figuré par le serpent ouroboros. La Vie est un cercle. On sort du Suprême, et on revient vers le Suprême. L'axe du monde est une flèche vers le suprême, le centre invisible du Serpent. Cernunnos tient le serpent déroulé, en vainqueur des cercles, mais aussi en homme de la périphérie, en homme qui a choisi la Voie du Dragon et bu le jus, le venin issu des cuisses de la Jusquiame mystique.
Il a été plongé dans l'eau noire des ténèbres, et se tourne vers la Lune, image tremblante et mobile du Soleil invaincu – image de ce monde. Les mots sont comme la lune – rien ne s'y trouve au suprême degré. Lors de l'invocation, quelque chose s'ajoute secrètement aux mots – et de la boue, fait de l'or.
Sans souffle les mots ne sont rien.
Il a bu la mort, et il vit ; il a maîtrisé le serpent qui est désormais à son service, comme les autres puissantes bêtes sauvages qui vivent en lui. Il est la puissance et la volonté de puissance qui jaillissent dans la forêt au printemps, l'odeur musquée des feuilles mortes et des marais, le puissant parfums des feuilles et des fleurs, les eaux et les rosées, la sueur salée, le sperme et la cyprine. Il est à la fois tueur, puissance de génération sauvage, maître des rapts, tonnerre et terreur. Il porte à la main la puissance torque qui soumet les vaincus. Il est le messager de la nécessité unique, du trépas, père de la douleur.
Ce qui est détruit est ce qui vit. Le monde est fait de cycles qui se sédimentent. Rien n'est jamais perdu à jamais.
Cette torque qui soumet les vaincu par le cou gracile est signe de règne, du règne de l'Empire. Celui qui se plie à la nécessité de fer des dieux, si visible dans la violence des chasses sauvages, dans les crocs du loup, est aussi le roi de ce monde. Le guerrier porte ainsi la torque, comme la femme puissante, la torque d'Or.
Il est libre par amour du destin, comme le Cerf. Il n'est libre que par l'amour du destin. Il n'est vivant que par l'âpre mort et le goût du sang. Il n'a plus guère de peur pour avoir affronté la terreur de la chair.
Il sait qu'il mourra comme les bêtes de la forêt – ni plus ni moins. L'éternité réside dans l'instant. L'idée puissante se montre dans les couleurs et les formes des forêts, présente mais insaisissable, comme l'évoque l'art de l'arabesque. Elle se montre comme le Serpent et enroule ses énigmes comme les anneaux du Serpent. Elle est la fleur sur les ronces, et déchire l'âme qui veut les traverser, par la solitude et les épines tranchantes. Elle porte des fruits et encercle, elle envoûte et étouffe.
Tel est le secret de Cernunnos. C'est dans la soumission que se trouve l’élévation, dans l’acceptation que se trouve le secret de la plus haute révolte.
(Un autre secret se prononce au sujet de sa mélancolie. Ce sujet est abordé dans le Livre des deux principes.)
Cernunnos est l'indomptable et le suprême raffinement – comme l'Archange, le tueur du Dragon, mais aussi le combat entre l'Ange et le Dragon – le Dragon lui-même, car on ne combat valablement, enfin, que contre soi-même.
Mais peu nombreux sont les hommes qui se cherchent eux mêmes – et combien peu ceux qui se cherchent eux-même pour se tuer.
Tel est le règne, telle est la puissance, telle est la gloire.
- J'ai longuement médité aux côtés de Cernunnos, dans les fumées des encens.
Vive la mort !