Richard FABER (Hrsg.), Konservatismus in Geschichte und Gegenwart, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1991, ISBN 3-88479-592-9.
Deux contributions de cet ouvrage collectif intéressent directement notre propos :
a) Richard FABER, «Differenzierungen im Begriff Konservatismus. Ein religionssoziologischer Versuch» et
b) Arno KLÖNNE, «"Rechts oder Links?". Zur Geschichte der Nationalrevolutionäre und Nationalbolschewisten». Richard Faber, dont nous connaissons déjà la concision, résume en treize points les positions fondamentales du "conservatisme" (entendu dans le sens allemand et non pas britannique):
1) le principe de "mortui plurimi", le culte des morts et des anciens, garant d'un avenir dans la continuité, de la durée.
2) Ce culte de la durée implique la nostalgie d'un ordre social stable, comme celui d'avant la révolution, la réforme et la renaissance (Hugo von Hofmannsthal).
3) Dans l'actualité, cette nostalgie doit conduire l'homme politique à défendre un ordre économique "sain", respectant la pluralité des forces sociales; à ce niveau, une contradiction existe dans le conservatisme contemporain, où Carl Schmitt, par exemple, dénonce ce néo-médiévisme social, comme un "romantisme politique" inopérant, au nom d'un étatisme efficace, plus dur encore que le stato corporativo italien.
4) L'ordre social et politique dérive d'une représentation de l'empire (chinois, babylonien, perse, assyrien ou romain) comme un analogon du cosmos, comme un reflet microcosmique du macrocosme. Le christianisme médiéval a retenu l'essentiel de ce cosmisme païen (urbs deis hominibusque communis). La querelle dans le camp conservateur, pour Faber, oppose ceux qui veulent un retour sans médiation aux sources originales païennes et ceux qui se contentent d'une répétition de la synthèse médiévale christianisée.
5) Les conservateurs perçoivent le ferment chrétien comme subversif: ils veulent une religion qui ne soit pas opposée au fonctionnement du politique; à partir de là, se développe un anti-christianisme conservateur et néo-païen, ou on impose, à la suite de Joseph de Maistre, l'expédiant d'une infaillibilité pontificale pour barrer la route à l'impolitisme évangélique.
6) Les positivistes comtiens, puis les maurrassiens, partageant ce raisonnement, déjà présent chez Hegel, parient pour un catholicisme athée voire pour une théocratie athée.
7) Un certain post-fascisme (défini par Rüdiger Altmann), observable dans toutes les traditions politiques d'après 1945, vise l'intégration de toutes les composantes de la société pour les soumettre à l'économie. Ainsi, le pluralisme, pourtant affiché en théorie, cède le pas devant l'intégration/homologation (option du conservatisme technocrate).
8) Dans ce contexte, se développe un catholicisme conservateur, hostile à l'autonomie de l'économie et de la société, lesquelles doivent se soumettre à une "synthèse", celle de l'"organisme social" (suite p. 67).
9) Le contraire de cette synthèse est le néo-libéralisme, expression d'un polythéisme politique, d'après Faber. Les principaux représentants de ce polythéisme libéral sont Odo Marquard et Hans Blumenberg.
10) Dans le cadre de la dialectique des Lumières, Locke estimait que l'individu devait se soumettre à la société civile et non plus à l'autorité politique absolue (Hobbes); l'exigence de soumission se mue en césarisme chez Schmitt. Dans les trois cas, il y a exigence de soumission, comme il y a exigence de soumission à la sphère économique (Altmann). Le conservatisme peut s'en réjouir ou s'en insurger, selon les cas.
11) Pour Faber, comme pour Walter Benjamin avant lui, le conservatisme représente une "trahison des clercs" (ou des intellectuels), où ceux-ci tentent de sortir du cul-de-sac des discussions sans fin pour déboucher sur des décisions claires; la pensée de l'urgence est donc une caractéristique majeure de la pensée conservatrice.
12) Faber critique, à la suite d'Adorno, de Marcuse et de Benjamin, le "caractère affirmateur de la culture", propre du conservatisme. Il remarque que Maurras et Maulnier s'engagent dans le combat politique pour préserver la culture, écornée et galvaudée par les idéologies de masse. Waldemar Gurian, disciple de Schmitt et historien de l'Action Française, constate que les sociétés ne peuvent survivre si la Bildung disparaît, ce mélange de raffinement et d'éducation, propre de l'élite intellectuelle et créatrice d'une nation ou d'une civilisation.
13) Dans son dernier point, Faber revient sur la cosmologie du conservatisme. Celle-ci implique un temps cyclique, en apparence différent du temps chrétien, mais un auteur comme Erich Voegelin accepte explicitement la "plus ancienne sagesse de l'homme", qui se soumet au rythme du devenir et de la finitude. Pour Voegelin, comme pour certains conservateurs païens, c'est la pensée gnostique, ancêtre directe de la modernité délétère, qui rejette et nie "le destin cyclique de toutes choses sous le soleil". La gnose christianisée ou non du Bas-Empire, cesse de percevoir le monde comme un cosmos bien ordonné, où l'homme hellénique se sentait chez lui. Le gnostique de l'antiquité tardive, puis l'homme moderne qui veut tout modifier et tout dépasser, ne parvient plus à regarder le monde avec émerveillement. Le chrétien catholique Voegelin, qui aime la création et en admire l'ordre, rejoint ainsi le païen catholique Maurras. Albrecht Erich Günther, figure de la révolution conservatrice, définit le conservatisme non comme une propension à tenir à ce qui nous vient d'hier, mais propose de vivre comme on a toujours vécu: quod semper, quod ubique, quod omnibus.
Dans sa contribution, Arno Klönne évoque la démarche anti-système de personnalités comme Otto Strasser, Hans Ebeling, Ernst Niekisch, Beppo Römer, Karl O. Paetel, etc., et résume clairement cette démarche entre tous les fronts dominants de la pensée politique allemande des années 20 et 30. Le refus de se laisser embrigader est une leçon de liberté, que semble reprendre la "Neue Rechte" allemande actuelle, surtout par les textes de Marcus Bauer, philosophe et théologien de formation. Un excellent résumé pour l'étudiant qui souhaite s'initier à cette matière hautement complexe (RS).