Encore un modéré, ce n’est pas le premier
Les médias qui tentent désespérément de trouver des espoirs de démocratisation dans le monde arabo-musulman ont un nouveau chouchou. Déçu cruellement par « l’islamiste conservateur » Erdogan, au pouvoir en Turquie, ils ont trouvé l’ayatollah modéré Rohani (photo), en Iran. On pourrait sourire si ce n’était désespérant. Voilà maintenant qu’en Turquie, les islamistes se tournent vers l’armée qu’ils ont brisée par peur de la voir s’opposer à l’islamisation d’un état laïc et kémaliste. L’armée sauvant les islamistes d’une révolte laïque…. Ce n’est tout de même pas gagné pour le pouvoir.
En ce qui concerne la théocratie iranienne, on fera remarquer que la bête noire de l’occident et d’Israël, le président Ahmadinejad, présenté parfois comme le nouvel Hitler n'a pas été battu contrairement à ce que croient beaucoup de gens mal informés par les médias. Il a joué le jeu démocratique ou en tout cas constitutionnel et ne s’est pas représenté. Drôle de dictateur tout de même !
Le modéré a gagné, car les conservateurs étaient divisés. Une victoire qui dés le premier tour est tout de même une surprise. La joie des femmes et des jeunes montrent cependant que ce vote a un sens : une demande de libéralisation de la vie dans le cercle privé. Avec 18,6 millions de voix, Hassan Rohani a largement devancé les cinq adversaires conservateurs qui se présentaient face à lui. En recueillant 50,68 % des suffrages, il est élu septième président de la République islamique d’Iran dès le premier tour, reléguant le favori, le maire de Téhéran Mohammad Bagher Ghalibaf, à 12 millions de voix derrière lui. Il y aura donc plus un changement de forme que de fond.
Le dossier nucléaire en est un exemple.
Rohani veut la reconnaissance des droits de l’Iran qui ne sont pas négociables mais il promet le dialogue dans la transparence. Il a été surnommé le «cheikh diplomate» pour son rôle en tant que chef de la délégation de son pays, de 2003 à 2005, dans les négociations avec les européens sur le nucléaire iranien, ayant abouti à la suspension du programme d’enrichissement de l’uranium. Mahmoud Ahmadinejad avait ensuite mis fin à l’embellie. «On ne s’attend pas à un bouleversement, mais c’est l’occasion peut-être de prendre les choses différemment», commente un diplomate européen, selon lequel le nouveau président «ne va rien changer de fondamental dans le fond, mais peut-être dans le style», forcément différent de celui de Mahmoud Ahmadinejad.
A l’annonce de la victoire d’Hassan Rohani, la plupart des états se sont dits prêts à travailler avec lui, l’invitant à trouver «une nouvelle voie», notamment sur le dossier nucléaire et la crise syrienne. Denis McDonough, secrétaire général de la Maison Blanche, ce dimanche sur la chaîne de télévision CBS, a voulu voir dans son élection «un signe porteur d’espoir».
Israël craint un état de grâce qui permette à l’Iran, au contraire, d’atteindre son objectif alors qu’une ligne rouge militaire avait été élaborée contre le nucléaire de l’ancien président. Benjamin Netanyahu a appelé à ne pas «se bercer d’illusions», à maintenir la pression et à faire cesser le programme nucléaire iranien «par tous les moyens nécessaires». Il n’y croit pas et redoute que des partenaires ne se laissent abuser.
Geneive Abdo, du groupe de réflexion Stimson Center à Washington, prédit, reprise par Libération, «une probable lune de miel au début», mais se dit «très sceptique sur de réels progrès dans le dossier nucléaire» et «en Syrie, je pense qu’il n’y aura pas de changements», souligne-t-elle. Le régime iranien estime en effet que la Syrie était d’un intérêt vital et stratégique. L’Iran est un pays qui a une stratégie à long terme et le président aura du mal à tempérer le vrai pouvoir, celui du guide Khamenei.
Âgé de 64 ans, Hassan Rohani (dont le nom de famille signifie “religieux” en persan) possède un long passé de responsable politique en République islamique. Fervent soutien du fondateur du régime, l’ayatollah Khomeiny, il a été député entre 1980 et 2000, avant d’être élu membre de l’Assemblée des experts, une instance chargée de superviser le Guide suprême. Il est d’ailleurs toujours le représentant de l’ayatollah Khamenei au sein du Conseil suprême de la sécurité nationale. C’est dire si les deux hommes se font confiance. Hassan Rohani est également membre de l’Association du clergé combattant, qui réunit les religieux conservateurs.
Un “modéré”, au discours plat, dépourvu de charisme et d’envergure politique, que personne en Iran ne voyait triompher il y a à peine un mois. Mais le soutien prononcé des deux anciens présidents Khatami et Rafsandjani puis le renoncement du seul candidat réformateur, Mohammad Reza Aref, en faveur de Rohani ont propulsé ce dernier au rang de candidat frondeur. À Téhéran, ce sont des milliers de personnes qui sont descendues, à pied ou en voiture, dans la rue pour célébrer la victoire à coups de klaxon et même avec de danses endiablées. Ces images rappellent la victoire tout aussi inattendue du réformateur Mohammad Khatami à la présidentielle de 1997, et surtout les scènes de joie et d’espoir de la campagne réformatrice de 2009, rebaptisée Mouvement vert, qui se sont achevées dans le sang.
À l’époque, Hassan Rohani n’avait eu aucun mot pour condamner la répression féroce des manifestants pacifiques, dont beaucoup ont voté pour lui aujourd’hui. Durant la campagne de 2013, le candidat modéré a veillé à ne pas prononcer, au cours des débats télévisés, les noms de Mir Hossein Moussavi et de Mehdi Karroubi, les deux leaders du Mouvement vert, emprisonnés à domicile depuis plus de deux ans. De la même manière, il s’est bien gardé d’évoquer la chape de plomb sécuritaire qui s’abat depuis quatre ans sur les journalistes, activistes, avocats ou politiciens réformateurs en Iran.
Modéré peut-être, mais pas dans tous les domaines apparemment.
Jean Bonnevey http://fr.novopress.info/
Source : Metamag.