1. Parce que l'Amérique est l'ennemi géopolitique:
Quand l'Amérique a proclamé la Doctrine de Monroe en 1823, elle souhaitait chasser les puissances européennes hors du Nouveau Monde et les remplacer en Amérique latine. C'était de bonne guerre. Mais elle n'a pas poursuivi cette politique de domination de l'hémisphère occidental, où un nord développé entendait organiser un sud moins développé. Infidèle à la Doctrine de Monroe, elle n'a cessé d'intervenir en Extrême-Orient et en Europe, pour empêcher les processus d'unification continentale à l'¦uvre dans ces régions du monde. D'isolationniste, l'Amérique est devenue interventionniste, mondialiste, globaliste. Elle a cassé les axes de développement nord-sud, créant en chaîne des conflits est-ouest. Or toutes les oppositions est-ouest de l'histoire génèrent des conflits insolubles, des guerres civiles au sein des unités civilisationnelles. Pour nous, l'avenir réside a) dans une collaboration nord-sud eurafricaine, où la Russie est partie intégrante de l'Europe et où les flux migratoires s'écoulent vers le sud, et b) dans une synergie pacifique nippo-centrée où les flux migratoires et culturels s'écoulent également vers le sud, sans interférences américaines.
2. Parce que l'Amérique est l'ennemi intérieur:
L'Amérique est en nous, parce que le parti américain détermine la gestion de nos Etats et influe leur diplomatie. L'Amérique parie toujours sur les strates sociales corruptibles pour installer son pouvoir. C'était évident au Sud-Vietnam comme ce l'est depuis toujours en Amérique latine. Mais, à regarder de près, cette règle ne vaut-elle pas pour l'Europe aussi? Lutter contre l'Amérique signifie lutter contre les strates sociales qui hissent l'économisme au rang de valeur cardinale, oubliant que les règles de la politique nécessitent d'autres vertus, non matérielles, et que la "plus-value de légitimité" repose sur la mémoire historique et non sur le présentisme de la jouissance. Le parti américain regroupe ceux qui ont perdu le sens de l'Etat, du devoir politique, pour poursuivre des objectifs lucratifs, toujours axés sur le court terme. A ces politiques à court terme, nous opposons le long terme de la mémoire historique.
3. Parce que l'Amérique est l'ennemi culturel:
Les Etats-Unis véhiculent une culture purement individualiste et dépourvue de racines pluriséculaires voire plurimillénaires. Cet individualisme et cette absence de mémoire ont un effet dissolvant sur les cultures périphériques, ne disposant pas d'emblée d'un "marché" de 250 millions de consommateurs. Sur l'ensemble de la planète, la culture léguée par les ancêtres fait peu à peu place à une culture artificielle, construite à l'aide d'affects psychologiques, de lambeaux de mythe, de fiction minable, collés bout à bout. Cette culture artificielle n'est pas arrivée en Europe et en Asie de manière fortuite: elle y a été sciemment greffée. Rappellons que la France a été mise au pied du mur en 1948: ou elle acceptait sans restriction l'importation massive de produits culturels et cinématographiques américains ou elle était rayée de la liste des bénéficiaires du Plan Marshall. L'Amérique, en tant que puissance dominante, pratique l'ethnocide culturel; quand les peuples auront perdu leur mémoire, ils seront archi-mûrs, c'est-à-dire suffisamment pourris, pour accepter le super-ersatz offert par Washington. Mais cette éradication à l'échelle planétaire des mémoires recèle le danger de l'uniformité: elle ôte quantité de potentialités à l'humanité, quantité d'alternatives, qui auront été gommées irrémédiablement.
4. Parce que l'Amérique est l'ennemi du genre humain:
L'Amérique a réintroduit dans la pratique politique et diplomatique la notion d'"ennemi absolu", c'est-à-dire d'un ennemi qu'il ne s'agit plus seulement de vaincre mais d'exterminer. Tous les peuples de la planète peuvent devenir, au gré des circonstances, ennemis de l'Amérique. Ils risquent l'extermination, à l'instar des populations amérindiennes, liquidées par des couvertures vérolées, de l'alcool frelatée, les balles de la cavalerie, etc. Le XVIIIième siècle et l'Europe du XIXième, régie par la Pentarchie (France, Angleterre, Prusse, Autriche, Russie), avaient tenté d'humaniser la guerre, de traiter correctement les prisonniers, de soigner les blessés, de mettre les populations civiles à l'abri des conflits. L'irruption de l'Amérique dans les conflits du monde, surtout à partir de la dernière guerre mondiale, a conduit à la destruction massive d'objectifs civils (Dresde, Hiroshima, Hanoï, villages vietnamiens, Panama), au pilonnage de colonnes en retraite (Koweit/Irak), au meurtre collectif des prisonniers de guerre (les "morts pour raisons diverses", dont a parlé l'historien canadien James Bacque). Cette déshumanisation de la guerre dérive en droite ligne de l'idéologie messianique américaine: quand une personne, un pouvoir ou une puissance politique croit détenir la Vérité Ultime, elle ne tolère plus la moindre déviation idéologique, la moindre entorse à sa volonté. Et elle frappe. Cruellement. Sans égard pour autrui. Parce qu'il incarne le Diable. Aux guerres messianiques, réintroduites par les Etats-Unis, nous entendons substituer un nouveau jus publicum qui redonnera à la guerre une dimension moins absolue.
5. Que faire ?
A l'heure où le capitalisme américain semble triompher, où il est de fait la dernière idéologie économique en lice, des lézardes strient déjà l'édifice. Au sein de l'économie-monde capitaliste, des contradictions apparaissent; ses pôles accusent des divergences entre eux parce que des mémoires culturellement déterminées les agissent en dépit de l'arasement que Washington avait voulu. Incontournable demeure la solidité des communautés japonaises et de l'épargne allemande, soit autant de signes que les peuples non-américains, même largement américanisés, ont le sens de la durée et ne se contentent pas de jouir de l'instant. Qu'ils privilégient le long terme et ne s'abandonnent pas entièrement à l'"individual choice", indice économique de l'American Way of Life. Et que ce pari pour le long terme, amorcé depuis plusieurs décennies déjà, en dépit de Reagan et de Thatcher,engrange désormais de formidables succès. L'éducation japonaise, le taux d'épargne nippon, scandinave et germanique, la formation des apprentis allemands en tous domaines, la plus-value que donnent tous les enracinements, battent à platte couture la permissivité américaine, l'économie basée sur le crédit, l'absence d'investissements pour la formation du personnel, l'absence de racines stabilisantes. Les Etats-Unis battent de l'aile parce que leurs écoliers demeurent analphabètes, ne maîtrisent même plus un anglais simplifié, parce que leurs ménages dépensent plus qu'ils ne gagnent, parce que l'angoisse de vivre, dû à l'absence de racines solides, conduit à la toxicomanie. Les rodomontades de Panama ou du Golfe n'y changeront rien.
Nous Européens devons adopter le modèle rhénan du capitalisme (comme nous l'enjoint Michel Albert dans Capitalisme contre capitalisme), car ce modèle, malgré ses insuffisances, porte quand même en lui la volonté de parier sur l'éducation, d'investir dans la recherche et dans la formation, parce qu'il
lie le passé au futur grâce à l'épargne de ses citoyens. En germe, cette forme incomplète de capitalisme génèrera la puissance,précisément parce qu'elle conserve des formes qui ne sont pas libérales: rigueur de l'enseignement et de la formation, qui ne sont possibles que si l'on ne se laisse pas aveugler par le profit à court terme, tare du libéralisme. Concrètement, lutter contre l'américanisme aujourd'hui, c'est soutenir toutes les politiques qui visent le renforcement de l'épargne des ménages, l'investissement massif dans la recherche et dans l'éducation, l'euro-centrage de nos énergies. Car alors nous aurons les armes qu'il faudra pour contenir les folies américaines au-delà de l'Atlantique. Et pour laisser, là-bas où le soleil se couche, l'anomalie historique américaine imploser, lentement mais sûrement.
Robert Steuckers
Source: http://robertsteuckers.blogspot.fr/2012/09/pourquoi-faut-...
Note du C.N.C: Bien que nous soyons plutôt favorable au socialisme qu'à n'importe quelle forme de capitalisme, y compris rhénan, nous jugeons secondaire cet aspect du texte de M. Steuckers dont la pertinence est totale sur la question "américaine".