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Les anxiétés anti-européennes de la Turquie (arch 2011)

 

Ankara persiste dans sa demande d’adhésion à l’U.E. mais, simultanément, élève la voix contre Bruxelles et contre Chypre

La Turquie est prête à respecter n’importe quelle décision de l’U.E. quant à la demande d’adhésion turque, même un « non », mais le processus des négociations doit être mené jusqu’au bout. Telle est la teneur de la requête formulée récemment à Berlin par le président turc Abdullah Gül, au cours d’une visite de quatre jours en Allemagne, pays où vivent 3,5 millions de personnes d’origine turque, et en présence de son homologue allemand, Christian Wulff. « Nous accepterons de ne pas être membres de l’U.E. si le peuple d’un seul pays de l’U.E. le refuse ou considère que la Turquie constituera un poids », a souligné Gül lors d’une conférence de presse, en présence de Wulff; Gül se référait à l’éventualité d’organiser des référendums nationaux à propos de l’adhésion d’Ankara à l’Union. « Je pense que les débats récents sur l’adhésion ou la non-adhésion de la Turquie ne sont pas nécessaires. Avant toute chose, la Turquie doit recevoir la possibilité de mener les négociations jusqu’au bout », a poursuivi Gül. Ces paroles ont reçu l’accord du président allemand, qui semble avoir pris ses distances par rapport à la Chancelière Merkel, qui demeure ferme dans son opposition claire et nette à toute adhésion turque. Pendant le dîner officiel organisé en l’honneur de son hôte turc, Wulff a affirmé que les négociations en vue d’une adhésion à l’U.E. doivent être menées de manière plus correcte, plus ouvertes aux espérances turques. « L’U.E., elle aussi, doit travailler de manière plus active, afin que le processus d’adhésion puisse progresser, et doit également garantir à ses interlocuteurs turcs une attitude réceptive jusqu’au moment où la Turquie, finalement, aura concrétisé toutes les conditions nécessaires pour entrer dans l’Union », a souligné le chef de l’État allemand.

Madame Merkel, tout comme le chef de l’Élysée Nicolas Sarközy, propose un partenariat privilégié entre l’U.E. et la Turquie, soit un projet que Gül a défini « difficile à comprendre », vu que l’Union douanière en vigueur consent déjà des rapports privilégiés. Ankara, en 2005, avait entamé les négociations en vue de l’adhésion après avoir reçu le feu vert unanime des partenaires de l’Union. Mais ces négociations se déroulent au ralenti : seuls treize chapitres sur vingt-cinq ont été abordés. Qui plus est, la Chancelière allemande a exprimé au Président turc ses préoccupations à propos des tensions croissantes entre Ankara et le gouvernement israélien, tiraillements qui ont miné les rapports entre les deux pays du Proche-Orient.

Lors de l’entrevue qui eut lieu dans les bureaux de la Chancellerie, les deux parties ont réitéré leurs positions quant à l’entrée de la Turquie dans l’U.E. et abordé ensuite la question du printemps arabe. Gül a répété publiquement que la Turquie demeurait toujours candidate à devenir membre à part entière de l’U.E. Officiellement, l’Allemagne est ouverte à cette éventualité mais le parti de la Chancelière, la C.D.U., entend offrir aux Turcs une forme différente d’association, c’est-à-dire un partenariat stratégique qui exclurait l’adhésion à plein titre à l’U.E. Au cours de la même journée, les interlocuteurs ont abordé aussi les attaques proférées par le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, contre les pays européens, accusés par lui de donner asile aux séparatistes kurdes du P.K.K. (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui, au départ de l’Europe, continuent à financer des activités terroristes, à procéder à du recrutement, à diffuser de la propagande et à se livrer au trafic d’armes. Cette attaque du chef de la diplomatie turque s’est effectuée à l’occasion d’une conférence sur la lutte internationale contre le terrorisme, qui s’est tenue à New York pendant la 66e Assemblée générale des Nations Unies. Davutoglu a expliqué qu’au cours de ces derniers mois, la Turquie a été confrontée à une recrudescence des attaques du P.K.K., une formation politique, a-t-il ajouté, « qu’Ankara continuera à combattre avec toutes les mesures qui s’avèreront nécessaires », toutefois dans le respect des principes démocratiques.

Mais les tensions entre Ankara et Bruxelles ne se limitent pas à la question kurde. Il y a aussi les rebondissements dans la question cypriote : Nicosie entend aller de l’avant dans les travaux de prospection, lancés en vue de découvrir des gisements d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Or cette zone d’exclusivité chypriote, les Turcs la réclament pour eux aussi. Un fonctionnaire responsable de l’énergie auprès du département du commerce à Nicosie a confirmé que la firme Noble Energy, basée à Houston, a commencé ses explorations en vue de trouver pétrole et gaz au large de la côte méridionale de Chypre. Entretemps, un communiqué, publié sur le site du ministère des Affaires étrangères de Nicosie, a répété que « la République de Chypre maintient ses propres droits souverains sur la plate-forme continentale en accord avec les lois internationales et aucun autre accord ou aucune décision de la part de la Turquie aura des conséquences sur l’exercice de ces droits ». Et le communiqué souligne : « L’annonce faite par la Turquie constitue un nouvel acte de provocation contraire aux lois internationales ». Ces termes condamnent expressis verbis la décision du gouvernement turc de faire surveiller par des navires de guerre et des avions militaires, prêts à intervenir, les opérations de forage et de sondage que Chypre vient d’entamer en mer. Ces moyens militaires devront en outre défendre le bon déroulement de travaux de même nature que la Turquie commencera très prochainement.

Les tensions actuelles éloignent encore davantage dans le temps le projet de réunifier l’île, divisé en un Sud grec-chypriote et un Nord colonisé par les Turcs. Ankara a en outre menacé de suspendre les relations avec l’U.E. si, l’an prochain, Bruxelles concède à Chypre la présidence des institutions européennes, à laquelle l’île a droit selon le principe de rotation en vigueur. Nous faisons donc face à une ligne politique, délibérément choisie par Ankara, qui contribue à éloigner toujours davantage la Turquie de l’U.E. La Turquie a donc bel et bien opté pour une stratégie néo-ottomane visant le contrôle direct et absolu d’Ankara sur toute les zones voisines, au Proche Orient comme en Méditerranée orientale.

Andrea Perrone http://www.europemaxima.com/?p=2259

• D’abord paru en italien dans Rinascita, Rome, 21 septembre 2011, puis mis en ligne sur Euro-Synergies, le 2 octobre 2011.

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