L’année scolaire qui s’ouvre est lourde d’orages, grevée de cyclones, inquiétante comme un nuage de sauterelles qui s’avance barrant l’horizon. Le moindre des dangers annoncés n’est pas la lancinante question du « genre » que l’idéologie qui a pris figure d’hommes pour nous gouverner s’apprête à décliner en d’habiles refrains anodins. On sait déjà la « désexuation » des jeux de l’école maternelle, laquelle portera d’ailleurs bientôt un nom moins discriminant, l’idiote éducation sexuelle pour sixièmes hilares, ou encore la révision générale des programmes d’histoire pour convenir à certaine égalité.
Mais précisément, quelle égalité ? Il ne faut pas oublier, ou l’apprendre en lisant Judith Butler, que le trouble, aussi provoqué que constaté, qui serait dans le genre comme le malaise dans la civilisation et comme le ver dans la pomme, est l’effet immédiat et direct du féminisme des années 60. C’est dire si la question n’est pas neuve, et si elle est insoluble. C’est dire encore si elle est justement présentée comme désirable parce qu’insoluble. L’immense travail, admirable d’ailleurs dans sa cohérence et la persévérance de ses réalisateurs, mené depuis plus d’un demi-siècle par certaine école dominante d’Occident, aura consisté non seulement dans la déconstruction de tous les rapports sociaux et économiques mais encore et surtout la construction, si l’on peut dire, d’un chaos nouveau dans l’intérieur même de l’humain. La motivation en est simple, et comme tout sophisme, d’apparences lumineuses : le défaut est déjà dans l’homme, il s’agit de le mettre au jour et de se repaître concomitamment de la déconfiture des systèmes anthropologiques censément rigides qui régnaient jusque-là.
En réalité, cet affrontement par où la pensée déconstructionniste croit abattre les ordres anciens, tels l’Église, le christianisme, le patriarcat, la bourgeoisie, tout ceci assimilé en un vague tas d’ennemis, est celui de « moderne contre moderne », comme disait Muray. Car il est bien vrai que le trouble, qu’on pourrait aussi dans un langage plus classique appeler le mal, est déjà dans l’homme. Et il est bien vrai encore que l’on ne naît pas femme, mais qu’on le devient. Le souci, c’est qu’il en est de même pour l’homme, en tant que sexe masculin. Nos féministes sont sûrs d’avoir fait un pas de géant en assurant les bonnes gens de ce truisme. Ils en déduisent, et c’est là le sophisme, que toute la civilisation, notamment chrétienne, a été bâtie pour voiler cette évidence, par le moyen puissant de l’asservissement des femmes. Que toute culture avait comme mission de déguiser cette domination, et sa cause qui est le manque d’assurance de chacun sur son identité.
Toute culture ou toute civilisation procède évidemment de ce donné naturel que l’humain naît dans un état non d’indétermination, mais de non-achèvement ; que son passage sur terre sera en grande partie dévoué à aller vers cet achèvement, inatteignable certes mais désirable. On se demande à quoi servirait un père qui ne dirait pas « deviens un homme, mon fils », et qui surtout ne lui en montrerait pas les moyens à sa disposition. Mais que l’homme ou la femme soient jetés dans le monde dans cet état de néoténie, c’est-à-dire de larves, n’implique en aucun cas qu’ils ne soient tenus de se conduire aussi bien que possible vers une plénitude de leur être.
Jacques de Guillebon La suite sur le site de La Nef
http://www.actionfrancaise.net/craf/?La-destruction-de-l-etre